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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Archives du tag : Résistance et droits de l’homme en Algérie

ECLAIRAGE 11: Les « disparitions forcées » pendant la décennie noire en Algérie 13 juillet 2012

Pendant la décennie noire des années 90 la pratique des enlèvements a fait partie des méthodes de guerre, comme cela avait été le cas pendant la guerre d’indépendance : environ 8000 personnes ont été officiellement portées « définitivement disparues » par l’état algérien. Un chiffre largement sous-estimé selon la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) et d’autres ONG qui évaluent à 18.000 le nombre de disparus. Il y a peu de doutes que la quasi totalité de ces disparus sont en fait morts et gisent dans des charniers creusés à travers tout le pays.

Depuis 1998, tous les mercredis, quelques dizaines de femmes algériennes se rassemblent devant le siège de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH) à Alger, avec les photos de leurs disparus à bout de bras. La CNCPPDH est la commission dont l’état s’est doté en espérant convaincre le peuple algérien et les organismes internationaux que la question des droits de l’homme est au cœur de sa politique. Celles qu’on appelle les mères de disparus demandent à l’état de répondre à leurs questions : où est mon fils (mari, frère…) ? Fait-il partie des corps qu’on trouve à chaque fois qu’un charnier est découvert ? Qui l’a enlevé ? Comment est-il mort ? Pour toute réponse elles ont droit aux barrages de policiers ou aux dispersions violentes de leur rassemblement comme ce fut le cas en aout 2010. Elles ont droit aussi aux déclarations à la presse de Farouk Ksentini, le président de la CNCPPDH installé par Bouteflika. Selon Ksentini « la plupart de ces disparus ont pris le maquis, ce sont des terroristes » ; le même accuse les familles de vouloir ressortir d’anciens dossiers qui peuvent nuire à la ’’notoriété de l’état Algérien’’.

Qui sont les auteurs des enlèvements ? Les représentants de l’état ne peuvent pas nier certains dérapages de la part des forces de sécurité ou des milices anti-islamistes, mais la thèse officielle est que la quasi-totalité des enlèvements et des assassinats de civils ont été commis par des terroristes. En fait, on estime à 5000 le nombre de personnes enlevées par les groupes islamistes et dont les corps n’ont pas été retrouvés. Différentes associations, comme Somoud, cherchent la vérité sur ces disparitions. Mais pour d’autres associations comme Jazaïrouna, SOS disparus ou le Collectif des familles de disparus algériens (CFDA) et pour des ONG comme Algeria-Watch(1), une partie importante des disparitions des années 90 sont en réalité des « disparitions forcées » définies comme « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi » (cette définition est extraite d’un article de Wikipédia sur les disparitions forcées dans le monde, article dans lequel le cas algérien est présenté de façon très documentée http://fr.wikipedia.org/wiki/Disparition_forc%C3%A9e). Ces organismes réclament des enquêtes sur les circonstances de ces disparitions forcées, et s’efforcent de les faire reconnaître par des instances internationales. La multiplication des plaintes pour disparition forcée devant ces instances contribue à maintenir la pression sur l’état algérien. Ainsi, en 2011, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a, pour la septième fois, condamné l’Algérie pour disparition forcée pendant la décennie noire.

Que s’est-il passé dans les années 90 ? Il est notoire en Algérie qu’à la terreur pratiquée par les islamistes, les forces de sécurité ont répondu par une terreur équivalente en commettant des massacres imputés aux maquisards et en liquidant des sympathisants islamistes ou supposés tels avec les mêmes méthodes que ces derniers. Une enquête coordonnée par plusieurs ONG (cf l’article de Wikipédia cité plus haut) a porté sur 477 cas de disparitions bien documentés ; les auteurs des enlèvements, identifiés par des témoins (les familles le plus souvent), sont les forces spéciales combinées dans 152 cas, l’armée seule dans 119 cas, la police dans 105 cas, la gendarmerie dans 14 cas, les services de sécurité militaire opérant en civil dans 21 cas, les forces de sécurité accompagnées de civils dans 16 cas, les Gardes de Légitime Défense dans 9 cas etc. On ne s’étonnera pas que la police, la gendarmerie ou l’armée ne se soient pas vues confiées de telles enquêtes.

Et que s’est-il passé après ? Cela a déjà été évoqué dans cette rubrique (cf Eclairage n°6 : L’islamisme algérien), l’action du président Bouteflika s’est orientée dès 1999 vers une politique de réconciliation nationale. Clairement, il s’agissait d’aboutir à une amnistie générale permettant tout à la fois d’alléger autant que possible les peines encourues par les combattants des maquis islamistes (dans la perspective de prochaines alliances) et de protéger l’armée et la police contre toutes poursuites pour les exactions commises pendant la guerre civile. La « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » adoptée par référendum et promulguée sous forme de loi en février 2006 répondait à cet objectif. Or l’article 45 de la charte stipule l’irrecevabilité par les tribunaux de toutes les plaintes ou dénonciations déposées contre les forces de sécurité et leurs agents. L’évocation de culpabilité d’un agent de l’état, par d’autres moyens écrits ou verbaux est sanctionnée par des peines de prison de 3 à 5 ans et des amendes selon l’article 46. Dans ce contexte, 6448 familles (contre l’abandon de toute poursuite judiciaire et l’engagement à ne plus porter plainte et parfois contraintes de signer des formulaires attestant que leur parent disparu a été enlevé par des « terroristes » ou qu’il a rejoint les maquis) ont fini par accepter de clore les dossiers, et ont perçu une indemnisation et un certificat de décès, sans obtenir la moindre information sur le sort de leur père, mari, frère ou fils. L’impunité garantie aux islamistes et aux forces de sécurité, conduit les familles de victimes à côtoyer au quotidien les bourreaux de leurs parents disparus.

Il existe des milliers de charniers dans tout le pays. Dans beaucoup d’endroits la police et l’armée ont fait en sorte de les démanteler et de détruire les corps pour rendre toute identification impossible. Car la demande principale des familles est celle de l’identification des cadavres retrouvés, qui leur permettrait d’être certaines de la mort de leur proche et de leur donner une sépulture décente. Cette revendication s’est vue opposer l’argument selon lequel l’identification par l’ADN reviendrait trop cher.

Le combat mené à Relizane par Mohammed Smaïn est exemplaire de ce que l’état redoute le plus : la mise à jour des charniers et la revendication des familles concernées que toute la lumière soit faite sur l’identité des personnes retrouvées et sur les circonstances de leur mort. A Relizane, une seule famille et ses alliés ont dirigé les milices de la wilaya et ce dès 1994, alors que les Groupes d’auto-défense n’ont été officialisés par décret qu’en janvier 1997. Parallèlement à ces fonctions paramilitaires, les membres de cette famille avaient été désignés comme délégués exécutifs communaux (DEC) en remplacement des maires élus qui avaient été destitués après le coup d’État en janvier 1992. Ces miliciens-maires régnaient en maîtres sur la plupart des mairies de la région de Rélizane, et terrorisaient la population. Mohammed Smaïn a entrepris dès 1995 des enquêtes sur leurs agissements et a pu dresser une liste non exhaustive de plus de 200 personnes disparues, dont la plupart ont été enlevées par des miliciens, souvent en compagnie de militaires, d’agents du DRS ou de gendarmes. Aujourd’hui Mohamed Smaïn est en prison.

(1)Algeria-Watch, association de défense des droits humains en Algérie, poursuit un important travail de recensement des disparus ; voir un excellent article sur la question à l’adresse

http://www.algeria-watch.org/fr/mrv/mrvdisp/cas_disparitions/disparitions_introduction.htm

A la veille des élections législatives : une société sans illusions (02 – mars, avril 2012) 3 mai 2012

Mort de Ahmed Ben Bella, cinquantième anniversaire de l’indépendance, prise en otages du consul d’Algérie à Goa par les islamistes qui annexent le nord-Mali et même élections législatives du 10 mai : aucun de ces événements ne sort les algériens de leur résignation devant les difficultés et les violences de la vie quotidienne.

Front social et vie quotidienne

Il y a un an, les dernières braises du mouvement citoyen qui avait donné naissance à la CNCD (Coordination nationale pour le changement et la démocratie) s’étouffaient lentement et la société algérienne renouait avec ses rites protestataires suscités par les difficultés de la vie quotidienne, économique et sociale. Rien n’a changé depuis. Sur le front de la vie quotidienne, les émeutes et protestations populaires (logement, services publics, emploi…) continuent de faire l’actualité à Alger comme dans les villages les plus reculés. Dernier événement en date, des échauffourées ont opposé dimanche 29/04 les forces de l’ordre à plusieurs jeunes à Jijel (360 km à l’est d’Alger) après qu’un vendeur a tenté de s’immoler par le feu pour protester contre la démolition de son local commercial de fortune. Sur le front social, les revendications sectorielles, incessantes depuis les promesses gouvernementales consécutives au printemps arabe, sont réactivées par la période électorale, propice aux engagements clientélistes. Chaque jour, les syndicats de la santé, de l’éducation, des collectivités locales, de la justice et d’autres corporations organisent des grèves, des sit-in et des marches dans les rues des principales villes du pays et devant les ministères à Alger.

Mais en ce printemps 2012, deux actualités dominent la vie quotidienne des algériens : la flambée des prix sur les produits alimentaires et la violence dans les stades de football.

Depuis plus d’un mois, les prix des fruits et légumes ont augmenté de façon spectaculaire. La pomme de terre, aliment de base, a quasiment quadruplé. Outre les fruits et légumes frais, c’est tout le marché de détail des produits alimentaires qui connaît un emballement des prix y compris les légumes secs (pois chiches, haricots blancs, lentilles), les produits laitiers (fromages, yaourts…), les céréales, les viandes, la sardine…. A l’origine de ces hausses, les intempéries de fin février qui ont entrainé une baisse des récolte, suivie d’une spéculation aggravée par la multiplicité des intermédiaires tout au long des chaînes de distribution. En pleine campagne électorale, ces difficultés, qui touchent les plus pauvres du pays, nourrissent les diatribes contre les gouvernants (“Ils n’ont même pas prévu la flambée des prix de la pomme de terre ; comment peuvent-ils planifier l’avenir des générations”.) ; on a même vu la pomme de terre s’inviter sur les affiches électorales de certains partis.

Dans la même période (mars-avril), la fin du championnat national de football et la Coupe d’Algérie ont donné lieu à des déchainements de violence et des affrontements très durs entre supporters, et avec les forces de police. A Saïda, le 14 avril, les joueurs de l’USM Alger, à peine le match terminé, ont été attaqués à l’arme blanche par les supporters de l’équipe locale. Six joueurs, ainsi qu’un dirigeant du club algérois ont été blessés par les coups de couteau qui pleuvaient sur eux. Ils ont dû être hospitalisés alors que les supporters ont poursuivi leurs actes de vandalisme en dehors du stade. Le phénomène s’est renouvelé à l’occasion d’un grand nombre de matchs. Le vendredi 20 avril, plus de 10 mille policiers ont été mobilisés pour encadrer la première demi-finale de la coupe d’Algérie. Cette situation ne surprend pas Youcef Fates, politologue français d’origine algérienne, et maître de conférences à Paris-X, interviewé par le journal Jeune Afrique : « Ce que l’on observe dans les stades reflète le désarroi d’une partie de la jeunesse, issue d’une société dont les transitions se sont toujours faites dans la violence »

Dans le climat décrit ci-dessus, des événements comme la mort de Ben Bella (survenue le 11 avril) ou le cinquantenaire de l’indépendance, passent au second plan des préoccupations des algériens. On peut en dire autant des élections législatives qui s’annoncent.

Elections législatives

Le 10 mai prochain, près de 22 millions d’électeurs algériens seront appelés aux urnes pour élire leurs nouveaux députés, et leur donner un mandat de 5 ans. 25 800 candidats, représentant 44 partis politiques, brigueront les 462 sièges que comptera alors l’Assemblée Populaire Nationale (contre 389 dans l’assemblée actuelle). Combien d’électeurs iront voter ? Fin mars, une enquête révélait que 56 % des algériens seulement savaient qu’il y aurait des élections législatives le 10 mai. Selon la même enquête, la participation atteindrait 44%, chiffre qui semble très surestimé : le taux de participation officiel lors des élections de mai 2007 était de 35 % alors qu’en réalité le chiffre ne dépassait guère les 20 %. Outre l’incrédulité massive de la population à l’égard de la politique et des politiciens, l’existence notoire de fraudes, élection après élection, n’encourage pas l’exercice civique. Pour cette élection, deux commissions nationales seront chargées de veiller à la régularité des opérations de vote, et 500 observateurs étrangers s’efforceront, en vain comme dans les précédentes élections, de scruter le fonctionnement de plus de 48 000 bureaux de votes.

A quelques jours de l’élection comment se présente le rapport des forces politiques ? (cf. Eclairage n° 7 pour la présentation des partis politiques mentionnés ci-dessous).

On se rappelle que la coalition parlementaire et de gouvernement qui a dirigé le pays ces 5 dernières années a subi un premier éclatement avec la rupture du Mouvement de la société pour la paix (MSP) en janvier dernier.

Le 7 mars, le MSP, le parti El Islah et le parti Ennahda, trois formations islamistes, ont officiellement annoncé la création de l’ »Alliance de l’Algérie Verte » en vue des législatives, en avançant un programme unique et des listes communes. L’Alliance verte (rien à voir avec nos écologistes, le vert est un des symboles de l’islam) se présente comme l’équivalent des partis religieux qui sont arrivés au pouvoir par les urnes dans les autres pays du Maghreb, à la suite du printemps arabe. Deux autres partis islamistes n’ont pas rejoint l’Alliance et iront aux élections sous leur propre bannière : il s’agit du Front pour la justice et le développement (FJD), populaire dans les milieux intellectuels et universitaires, et du Front du changement (FC), récemment créé et dissident du MSP.

Le FLN, premier parti de l’actuel parlement, apparaît profondément divisé et son secrétaire général, A. Belkhadem, fortement contesté (cf. Le Monde du 21 avril). Il s’en est fallu de peu que ce dernier soit destitué par les membres du comité central du parti. Les contestataires lui reprochent d’avoir, à l’occasion de la constitution des listes de candidats, écarté des figures du parti et « islamisé » la représentation de ce même parti dans la perspective de préparer sa propre candidature à l’élection présidentielle de 2014.

Le Rassemblement national démocratique (RND) est le deuxième parti représenté dans le parlement actuel. Son leader, Ahmed Ouyahia, fort de l’image et de l’expérience que lui a donné son statut de Premier ministre mène une campagne technique et moderniste mais résolument nationaliste.

Du côté des partis de gauche, le Front des forces socialistes (FFS), le plus ancien parti d’opposition en Algérie, présentera des candidats. Il avait boycotté les élections législatives de 2002 et de 2007, ainsi que l’élection présidentielle de 2009. Parti laïc et fortement présent et populaire en Kabylie, le FFS participe cette année aux élections pour proposer une « construction pacifique de l’alternative démocratique ». A signaler que la tête de liste du FFS dans la capitale est Mustapha Bouchachi, l’ex-président de la Ligue algérienne des droits de l’Homme. De son côté, le Parti des travailleurs (PT) de Louisa Hanoune creuse son sillon de parti anti-capitaliste et dénonce l’emprise des multinationales sur l’économie algérienne, emprise favorisée par une classe politique corrompue.

Aucun sondage en Algérie ne permet d’anticiper les résultats de ce scrutin qui aura lieu dans quelques jours. Les « nationalistes » (FLN et RND) pourraient garder la majorité, mais il est probable que les islamistes auront un nombre important de députés ; des islamistes dont le discours n’a plus grand’chose de commun avec celui du FIS en janvier 1992, et dont la victoire électorale n’entrainera pas l’intervention de l’armée.

Mali

Peu de temps après le putsch militaire du 21 mars au Mali, les rebelles touaregs (MNLA : Mouvement national de libération de l’Azawad) ont ouvert la porte à la domination du Nord-Mali (Azawad) par les groupes salafistes et terroristes de la mouvance Aqmi. Ces groupes, pourchassés par l’armée algérienne et puissamment armés depuis le conflit lybien, se trouvent maintenant à l’abri derrière une frontière et occupent un territoire plus grand que la France, territoire qui menace de devenir un nouvel Afghanistan au cœur du Sahel. Il suffit de regarder une carte du nord de l’Afrique pour constater que l’Algérie a une frontière commune avec tous les pays du Maghreb et du Sahel. Tous ces pays, y compris ceux qui ont connu le printemps arabe et qui ont mis des islamistes au pouvoir, se réjouiraient que l’Algérie, la plus importante puissance militaire d’Afrique, les protège du terrorisme islamiste. L’enlèvement, le 5 avril, du consul d’Algérie et de six de ses collaborateurs à Gao, par le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest) aurait pu conduire le gouvernement et l’armée, en cette période d’élections législatives, à exploiter la fibre nationaliste des algériens en dramatisant la situation dans le sud. Il n’en a rien été, l’Algérie a dit qu’elle refusait d’opérer hors de ses frontières. On annonce la libération des otages algériens pour la fin avril.

Du côté de la LADDH

D’abord, bref retour sur les organisation de défense des droits de l’homme en Algérie. Il y a de quoi s’y perdre, dans la presse et sur les sites. Ces précisions complètent –et corrigent !- celles déjà données dans le tout premier Eclairage de 2011.

La CNCPPDH (Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme) est une organisation gouvernementale fortement critiquée par le CIC (Comité International de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme) aux motifs suivants : sujétion de la Commission au pouvoir exécutif, absence de transparence dans la nomination de ses membres, manque de coopération avec les organes de l’ONU et avec les ONG indépendantes de défense des droits de l’homme.

La LADDH (Ligue algérienne de défense des droits de l’homme) créée en1985 est affiliée à la FIDH (Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme). Sa légitimité est largement reconnue ; elle a été un des principaux acteurs du printemps algérien de 2011, créateur de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) pendant cette période. Ses militants sont régulièrement menacés et malmenés par le pouvoir. Jusqu’au 25 mars, son président était Mostefa Bouchachi.

Enfin la LADH (Ligue algérienne des droits de l’homme) apparue à la suite d’une scission au sein de la LADDH lors du Congrès de Boumerdes en 2005. Cette scission est survenue après la destitution du président en exercice, Hocine Zehouane, et son remplacement par une équipe proche du FFS et du mouvement berbère. La LADH est actuellement présidée par Hocine Zehouane.

L’actualité de la LADDH est triple.

Organisationnelle d’abord : Engagé dans la course pour les législatives, tête de liste du Front des forces socialistes (FFS) à Alger, Mostefa Bouchachi a démissionné officiellement de son poste de président. Depuis le 13 avril, Me Noureddine Benissad, élu par le Conseil national de la Ligue est le nouveau président de la LADDH.

Militante ensuite : Abdelkader Kherba militant de la LADDH a été arrêté par des agents de la sureté d’Alger le 18 avril 2012 pour le seul fait d’avoir apporté son soutien au mouvement de protestation des greffiers lors d’un sit-in pacifique devant le tribunal de Sidi M’hamed. Des témoignages font état de brutalités lors de son arrestation et de la confiscation de sa caméra. Présenté devant le parquet du tribunal local, le militant des droits de l’Homme s’est vu inculpé d’incitation à l’attroupement. Placé en détention provisoire à la prison de Serkadji, sa comparution devant le tribunal correctionnel était prévue pour pour le 26 avril.

Internationale enfin : La LADDH avec des ONG algériennes et internationales ont élaboré et rendu public le 20 avril, un rapport intitulé « Réformes politiques ou verrouillage supplémentaire de la société et du champ politique en Algérie « . A l’heure où l’échéance électorale du 10 mai 2012 est l’objet de toutes les attentions (…) », souligne le rapport, « l’adoption des nouvelles lois est en réalité devenue pour le pouvoir algérien une occasion de maîtriser davantage la société civile et le champ politique et un moyen de renforcer le contrôle de la société algérienne dans son ensemble ». Ce rapport fait l’objet de l’Eclairage de ce mois-ci.

L’Algérie vue par les ONG et par le dessinateur DILEM 3 mai 2012

Pour cet éclairage, deux documents, deux regards politiques sur la situation de l’Algérie à quelques jours des élections législatives. Le premier document est une analyse critique des lois votées par le parlement sortant dans le cadre des réformes gouvernementales consécutives au printemps 2011. Le deuxième est un recueil de dessins de presse dont l’auteur est DILEM, chroniqueur féroce de la vie quotidienne, politique et internationale de son pays.

Premier document (d’une grande qualité graphique) : « Réformes politiques ou verrouillage supplémentaire de la société et du champ politique en Algérie ? Une analyse critique »

Le document peut être téléchargé sur le site de la LDH ( la notre !) à l’adresse : http://www.ldh-france.org/Reformes-politiques-ou

Dans un rapport conjoint publié le 19 avril 2012, le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH), le Collectif des Familles des Disparu(e)s en Algérie (CFDA), la Ligue Algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH) et le Syndicat National du Personnel Autonome de l’Administration Publique (SNAPAP) présentent un rapport sur les nouvelles lois adoptées en Algérie et sur les violations des libertés fondamentales et des droits humains qui s’intensifient en Algérie.

Ce rapport s’intitule « Réformes politiques ou verrouillage supplémentaire de la société et du champ politique en Algérie ? Une analyse critique » . Il révèle que contrairement aux annonces du Président Bouteflika faisant état « d’approfondissement du processus démocratique », l’adoption des nouvelles lois est en réalité devenue pour le pouvoir algérien une occasion de maîtriser davantage la société civile et le champ politique, un moyen de renforcer le contrôle de la société algérienne dans son ensemble.

Ce rapport offre un panorama des différents textes de loi à travers des fiches thématiques et des recommandations, portant sur : la loi relative au régime électoral (fiche 1), la loi fixant les modalités augmentant les chances d’accès de la femme à la représentation dans les assemblées élues (fiche 2), la loi relative aux partis politiques (fiche 3), à l’information (fiche 4) et aux associations (fiche 5).

Ces lois, adoptées en janvier 2012 en Algérie dans le cadre des prétendues réformes politiques, marquent une régression notable en matière des libertés fondamentales et ce en violation flagrante des engagements internationaux pris par l’Algérie, notamment des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies (PIDCP). Les organisations signataires dénoncent fermement le décalage entre les annonces officielles et les pratiques répressives auxquelles les autorités algériennes ont recours et interpellent le public algérien ainsi que les observateurs internationaux présents en Algérie, notamment les observateurs de la mission de l’Union européenne, sur les nouvelles lois adoptées en Algérie et sur les violations aux libertés fondamentales et aux droits humains qui s’intensifient en Algérie.

Deuxième document (d’une très grande qualité graphique !!) : les dessins de DILEM dans le quotidien algérien Liberté.

http://www.liberte-algerie.com/dilem/galerie

Voici comme Plantu le présente en janvier 2012 quand les deux dessinateurs échangent leur place à la une de leur journal « Dilem est un dessinateur qui ne ressemble pas aux autres. Déjà tout jeune, il transgressait un énorme tabou dans son pays, l’Algérie : oser dessiner le président. Il y a plus de 15 ans, ce président s’appelait Chadli et le jeune Dilem osa pour la première fois se moquer et… caricaturer le numéro 1 du pays. Il retint son souffle… Et puis rien : il ne fut pas inquiété.

C’est alors qu’il commença sa carrière de dessinateur de presse. Aujourd’hui, il travaille pour la Liberté, un quotidien qui arrive à publier ses pages sans trop de problème. Autant la télévision algérienne est cadenassée, autant la presse papier jouit d’une belle ouverture. Depuis, Dilem a quand même eu quelques ennuis ; l’année dernière, il a séjourné pas mal de temps dans les tribunaux car ses dessins ne passent pas vraiment inaperçus. Et, côté barbus, il a reçu de grosses menaces. En 2004 encore il apprenait que tel imam de telle mosquée avait demandé qu’on l’égorge, toute affaire cessante ; ça met comme une ambiance. »

Et en plus a) quotidiennement, le dessin du jour s’ajoute à la galerie ; et b) il dessine beaucoup et très méchamment Sarko

Exaspération populaire et incertitudes politiques 28 février 2012

Actualité sociale.

Le 26 janvier à Tiaret, Hichem Gacem (22 ans), vendeur “informel”, s’immole par le feu après que les policiers aient renversé son étal de lunettes. Il succombe des suites de ses brûlures au CHU d’Oran le 31 janvier. Son enterrement le 2 février a donné lieu à des manifestations violentes et des affrontements très durs avec les forces de l’ordre : plus de trente blessés et des arrestations. Les émeutes et les heurts entre manifestants et forces de l’ordre restent les symptômes les plus visibles du climat de frustration dans lequel vivent les algériens aujourd’hui. Les problèmes de logement et de relogement constituent le motif le plus fréquent de ces manifestations. Depuis le début de l’année, on a dénombré, à Mostaganem, à El Oued, à Alger, à Oran, à Laghouat, et ailleurs des émeutes quotidiennes liées aux critères et aux méthodes d’attribution des logements sociaux. Sur tout le territoire algérien, la vétusté des logements anciens (A Constantine par exemple, de nombreux immeubles menacent de s’effondrer) et l’essor d’une population venue se réfugier en masse dans les villes depuis les années 90 provoque une explosion des besoins de logements ; de vastes programmes de construction sont actuellement en cours (concédés à des entreprises chinoises et turques) et des listes d’ayant droits sont constituées. Rien que pour Oran et les localités attenantes, plus de 45.000 demandes de logements sont en attente. Figurer sur ces listes et se voir attribuer un appartement est un combat de plusieurs années pour beaucoup d’Algériens qui constatent que la corruption, les fausses promesses, les retards de construction font reculer indéfiniment leurs chances d’être logés. Les réactions de la population sont d’une extrême violence (comparables à celles que la France connaît aussi, à la Réunion lors des émeutes contre la vie chère) à chaque fois que les listes ne sont pas publiées ou qu’elles ne sont pas respectées, et les affrontements aux forces antiémeutes font chaque semaine des centaines de blessés et d’arrestations. D’autres motifs comme le chômage, les problèmes d’équipement en eau et en électricité mais aussi, par exemple, la mort de deux jeunes contrebandiers poursuivis par la police, l’interpellation d’un footballeur connu, l’insatisfaction à l’égard d’une cantine scolaire, des conflits de voisinage, dégénèrent en combats de rue extrêmement brutaux.

Cette exaspération ambiante et chronique a été aggravée ces dernières semaines par un épisode de très grand froid et d’enneigement aux conséquences dramatiques pour une partie importante de la population (au minimum une cinquantaine de morts). Selon la LADDH, « Les intempéries qu’a connu le pays ont montré les limites d’un système de gouvernance quant à la prise en charge des citoyens et la protection de leurs droits sociaux économiques les plus élémentaires ».

Dans ce contexte, faut-il s’étonner que le phénomène des harragas, plutôt réservé aux saisons clémentes de l’année ait connu cet hiver une recrudescence inhabituelle ? Le 15 janvier le journal L’Expression titrait : « L’année 2012 s’annonce mortelle pour la jeunesse algérienne. Chaque jour, des candidats à l’émigration clandestine, dont des jeunes, des femmes et des enfants sont interceptés au large de nos côtes. » Ainsi rien que pour la région de Mostaganem (à l’ouest, vers l’Espagne), plus de 50 harragas ont été arrêtés en mer pendant le mois de janvier. Quarante-deux en 24 heures au large de Annaba (à l’est, vers la Sardaigne). Combien ont réussi à échapper aux gardes-côtes ? Combien ont survécu ? Combien croupissent dans des centres de rétention en Espagne ou en Italie ?

Dans le même temps, la position financière de l’Algérie n’a jamais été aussi favorable : grâce au marché des hydrocarbures, les réserves algériennes de change, qui ont franchi les 182 milliards de dollars en 2011, atteindront un niveau spectaculaire en 2012.

Islamisme armé

Selon les chiffres officiels, les attentats ont coûté la vie à 200 algériens en 2011 (la petite criminalité a fait 300 victimes durant la même période). Il semblerait que la fréquence des attentats revendiqués par les islamistes armés accuse une baisse significative ces derniers mois. Mais la Kabylie et les Aurès restent le foyer d’affrontements meurtriers entre l’armée et des groupes armés identifiés à l’ex-GSPC ou à AQMI selon les sources. Ces affrontements ont été particulièrement intensifs début janvier quand l’armée a entrepris le ratissage et le bombardement de zones de maquis islamistes dans la région de Tizi Ouzou. Deux maquisards ont été tués et d’importantes caches d’armes et d’explosif auraient été découvertes lors de ces opérations. Dans la même semaine trois militaires ont été blessés lors de l’explosion d’une bombe placée sur le passage de leur véhicule. Plus récemment, le 19 février, près de Boumerdés, quatre passagers d’un car suivant un convoi des forces de sécurité ont été tués et plusieurs autres grièvement blessés. La riposte de l’ANP ne s’est pas fait attendre puisque dans les 4 jours qui ont suivi, 17 maquisards ont été tués et autant ont été blessés et faits prisonniers. Le ministère de la Défense semble craindre l’action de kamikases dans cette région et a mis à contribution trois opérateurs téléphoniques pour envoyer des SMS aux citoyens, leur demandant de signaler une éventuelle menace ou présence terroriste.

Le 23 janvier quatre condamnations à mort par contumace ont été prononcées pour des actes terroristes par la Cour criminelle d’Alger.

Les élections législatives

La préparation des élections du 10 mai suscite un débat récurrent en Algérie au moment des élections : le débat sur la fraude. Comme pour les scrutins précédents, des gages ont été donnés par le gouvernement (des urnes transparentes, la présence d’observateurs étrangers par exemple), mais avec 45 000 bureaux de votes à surveiller qui peut croire que le bourrage des urnes et les doubles inscriptions seront évités cette fois. La principale innovation est la création d’une commission de magistrats désignés par le Président de la République pour assurer le contrôle du déroulement du scrutin ; l’indépendance de la justice (cf Eclairage n°9) étant loin d’être garantie en Algérie, cette mesure n’a pas vraiment rassuré. Pratiquement tous les partis (mis à part ceux qui gouvernent actuellement) considèrent la fraude en faveur du régime comme inéluctable. Les partis islamistes (cf Eclairage n°7) mettent en garde contre les risques de guerre civile qu’entraîneraient des irrégularités qui les écarteraient du suffrage. Quant aux partis de gauche (cf Eclairage n°3), depuis vingt ans qu’ils prennent part aux élections, ils ont une longue tradition de non participation à des scrutins qu’ils estiment truqués, mais aussi qu’ils sont sûrs de perdre. Cette fois, c’est le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie de Saïd Sadi) qui le premier a décidé de boycotter ; la question est encore en débat dans les instances du FFS (Front des forces socialistes de Hocine Aït Ahmed). La possible abstention des “démocrates” ne fait pas l’affaire des “nationalistes” du gouvernement (FLN et RND) qui craignent la victoire des “islamistes”. En effet, alors que le FLN affiche ses divisions internes, trois partis islamistes (Ennahda, El Islah et le MSP) viennent de réaliser une alliance électorale avec l’engagement de présenter des listes communes et de constituer un seul groupe parlementaire dans la prochaine assemblée. Bouteflika mène une campagne résolue contre l’abstention par des discours (Arzew, 23 février : « L’algérie est en danger ») et par des moyens plus inhabituels comme l’envoi massif de SMS encourageant la participation au scrutin.

En vrac : Instauration d’un quota de 33% de femmes sur les listes électorales aux élections législatives et locales. Agrément de 17 nouveaux partis autorisés à présenter des candidats aux élections. Interdiction à tout citoyen algérien ayant une double nationalité d’être candidat aux élections locales, législatives et présidentielle. Le nombre des députés à élire passe de 389 à 462, soit une augmentation de 73 sièges. Enfin, sur décision du Président, chaque député de l’assemblée actuelle touchera une prime de 30 millions de dinars (300 000 Euros) à la fin de son mandat…pour services rendus ?

Une semaine ordinaire à la LADDH

Le conseil national de la LADDH, s’est tenu les 17 et 18 février à Zeralda. Voici une présentation de ses conclusions par Ahmed Selmane dans le journal La Nation du 21 février. Les “amis” d’occident, c’est nous…

« Des faux témoins de la “civilisation”

Le conseil national de la LADDH, réuni à Zéralda les 17 et 18 février, a résumé, de manière succincte dans son communiqué, pourquoi il ne faut accorder aucun crédit à un régime qui, fondamentalement, ne fonctionne que sur le double levier de la répression et de la corruption. Sans efficacité minimale au plan de la gestion économique et administrative. Dans l’atmosphère de rapine qu’il a instituée comme norme et malgré une conséquente disponibilité des ressources financières, le service public ou le service du public n’existe pratiquement plus. Quelques flocons de neige et l’on a redécouvert de très nombreux Algériens esseulés et les niveaux de pauvreté que les temps cléments permettent de cacher. Les perturbations climatiques, indiquent le communiqué de la LADDH, ont montré « les limites du système de gouvernance en matière de prise en charge du citoyen et de la protection de ses droits sociaux et économiques fondamentaux ». Le langage des militants des droits de l’homme est fortement marqué par la volonté de faire du « constat ». Il ne rapporte que très faiblement le niveau de l’écœurement de très nombreux Algériens face à la gabegie d’un système si « présent » pour surveiller, contrôler, réprimer et empêcher le mouvement naturel de la société vers l’émancipation, la liberté et la citoyenneté. Le régime ne fonctionne qu’à la manœuvre, la manipulation et aux faux semblants. Il réprime les Algériens et négocie, avec les occidentaux, pas avec les forces politiques du pays, des opérations cosmétiques qui n’illusionnent que ceux qui veulent bien faire semblant d’y croire. Depuis que le régime a entrepris ses fausses réformes en faisant mine de modifier les textes – et en le verrouillant davantage le plus souvent – nos « amis » d’occident ont multiplié les exclamations d’admiration… Comme d’habitude, ils ont leurs propres soucis et les tenants du régime savent y répondre. On finira, bien sûr, par saisir la « contrepartie » qui a été concédée, pour obtenir le faux témoignage de « civilisés » sur les réformes « impressionnantes » menées par le gouvernement algérien. Le conseil national de la LADDH a appelé, avec une certaine pudeur, la communauté internationale « à faire preuve de réserve et à s’abstenir de prendre des positions dans le sens d’un soutien aux soi-disant réformes, attentatoires, dans les faits, aux libertés » ». On peut penser que les militants des droits de l’homme prêchent dans le désert. Les occidentaux privilégient leurs intérêts et non les valeurs des droits de l’homme. Mais la LADDH n’a pas tort d’envoyer ce message à nos très « chers amis » pour leur signifier que nous ne sommes pas dupes. Et que nous prenons acte de leurs faux témoignages et de leur long compagnonnage avec des autocraties et des dictatures bien commodes. C’est sans doute cela la supériorité de la « civilisation » de M.Guéant si fortement « impressionné » par les virgules que le régime algérien a déplacées dans des textes de loi qui ne s’appliquent jamais. »

Dans l’Eclairage n°10 on trouvera un long entretien de Mostefa Bouchachi, président de la LADDH, auquel fait écho un texte de Ali Yahia Abdenour, président d’honneur de la Ligue, publié dans EL Watan du 22 février

http://www.djazairess.com/fr/elwatan/360021 le pouvoir judiciaire est inconditionnellement soumis au pouvoir exécutif-22-02-2012-160021_120.php

Le thème de ces interventions est celui de l’indépendance de la justice en Algérie.

Le même jour, Taher Belabes du comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) et Malika Fallile affiliée au Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (SNAPAP), ont été arrêtés par la police, alors qu’ils voulaient interpeller le ministre du travail Taid Louh à l’occasion d’une conférence sur l’emploi.

Quatre jours plus tard, le 26 février, le président et le secrétaire général du Conseil national des enseignants contractuels ainsi que 40 enseignants contractuels syndicalistes affilié au Snapap étaient arrêtés lors d’un sit-in devant la présidence pour faire entendre leur protestation contre le mépris du ministre de l’Education nationale qui refuse l’intégration des enseignants hors spécialité qui ont exercés cette fonction depuis 5 a 13 ans.

A la ligue algérienne de défense des droits de l’homme, la mobilisation est permanente car « Le régime a fabriqué des hommes et des femmes qui ne croient pas à la souveraineté de la loi » (M. Bouchachi)

La justice et le régime en Algérie 28 février 2012

Entretien de Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) avec Ahmed Selmane, La Nation, 7 Février 2012.

La Nation – Comment expliquez-vous la tendance de plus en plus forte au sein de la société à résoudre les problèmes à travers les institutions sociales traditionnelles ? N’est-ce pas un indice de l’aggravation de la crise de confiance à l’égard de l’appareil judiciaire ? Le métier d’avocat et la magistrature sont à l’image de la société. Ce système est corrompu et la plupart des institutions sont sans crédibilité ; et cela ne se limite pas aux seules institutions de l’Etat. Je crois que le plus grave et le plus dangereux est qu’il existe un plan pour détruire la nation dans sa conscience même. Ma fonction d’enseignant et d’avocat me permettent de constater que la corruption est générale. La question qui se pose est la suivante : est-ce une corruption programmée ou est-elle spontanée ? Je ne crois pas à cette dernière éventualité car nous sommes face à un Etat et à un régime qui disposent de tous les laboratoires. Il est difficile de croire que ce qui se passe se limite à des simples erreurs de gestion. Il y a au contraire une entreprise de destruction des institutions de l’Etat et en même temps un anéantissement de la conscience chez les gens de ce pays. Cela concerne toutes les institutions de l’Etat et toutes les professions.

Mais quel serait le but d’une telle entreprise de destruction ? C’est une question légitime et nous devons la poser et l’examiner. Ceux qui planifient la destruction, le font-ils pour leur profit ou pour le profit d’autres ? C’est une question à laquelle je ne suis pas en mesure de répondre car je ne connais pas les centres de prise de décision et on ne peut les personnifier et les évaluer ; mais ce qui est certain est que la destruction de l’université, de la magistrature, de la profession d’avocats et d’autres institutions n’est pas une opération spontanée mais planifiée.

Ne pensez-vous pas que ce qui se passe aujourd’hui dans la région arabe avec les appels de certaines élites et de certaines catégories de la population à demander une intervention de l’occident contre les régimes est un effet de cette destruction que vous évoquez ? Il y a des régimes dictatoriaux dans la région qui œuvrent à assurer leur pérennité mais en même temps il existe des dictatures qui ont une certaine vision. Ce sont bien des dictatures mais elles veulent créer des institutions et développer la société afin d’entrer dans l’histoire sous cet aspect.

Quelles sont ces dictatures ayant une certaine culture de l’Etat ? En Tunisie, malgré la dictature et la corruption, le régime à essayé de s’inscrire dans l’histoire à travers certains projets, en Algérie la dictature est sans programme, elle est sans but ; c’est une dictature sans vision, une dictature qui gère le pays au jour le jour ; une dictature où le régime entreprend de détruire les cadres compétents et à les éloigner des centres de décisions économiques, culturels et sociaux. Le régime n’est même pas en mesure de travailler pour lui-même, c’est une situation qui laisse perplexe. Je ne pense pas que les hauts responsables eux-mêmes soient en mesure d’être fiers même vis-à-vis de leurs enfants de ce qui se passe en Algérie. Aussi je dis que les régimes arabes ont des similitudes mais le régime algérien est le plus sordide dans le domaine de la destruction de la conscience de la nation et des institutions.

Le paradoxe est que l’Algérie est un pays d’une grande révolution. Comment est-on arrivé jusqu’à la destruction de la conscience de la nation et des institutions ? La réponse à cette question nous amène à soulever des interrogations. Détruit-on cette nation ? Détruit-on cet héritage révolutionnaire au profit de tiers ? Et qui sont ces tiers ? Voilà de grands points d’interrogations. Mais je ne peux pas spéculer et dire que le régime politique sert tel ou tel Etat. La seule chose certaine est qu’il existe un plan pour détruire la nation dans ses institutions et dans sa conscience. Le résultat que l’on voit est cette tendance forte à l’égoïsme, à l’individualisme ; il n’existe pas au sein de la société de lutte pour les principes, pour l’Etat de droit, pour la justice et la liberté. Il y a des luttes sociales pour des revendications matérielles pour un secteur ou pour une catégorie. Cela vaut également pour la profession d’avocat qui en tant qu’institution de défense doit normalement mettre fin à une situation où le pouvoir judiciaire est entre les mains d’un régime. Dans cette profession, au cours de la dernière décennie, on ne s’est pas insurgé quand des affaires de tortures ont été posées, quand des citoyens ont été tués dans des prisons, quand les tribunaux spéciaux ont été mis en place. Durant toute cette période, cette profession a été absente mais elle s’est subitement manifestée quand a été soumise la loi régissant la profession d’avocat. Soyons clairs, les revendications des avocats sont légitimes mais leur acceptation de la situation qui a prévalu, leur acceptation de se transformer en pur décor, sont des indices de situation de destruction des consciences.

Mais l’Algérie a perdu durant les deux décennies les catégories sociales – médecins, professeurs et autres intellectuels – qui pouvaient réellement soulever les questions des libertés et des droits collectifs. N’est-ce pas cet exil massif qui explique que cette revendication est entravée. Les questions des libertés peuvent-elles aujourd’hui être prises en charge d’un point de vue plus large ? Il est certain que l’hémorragie qu’a connue la classe moyenne a eu une incidence négative sur le parcours des luttes. Mais cela est insuffisant pour expliquer la situation. Prenons l’exemple du Pakistan qui subit ce qu’on appelle le terrorisme. Quand le régime a commencé à porter atteinte aux droits de l’homme et a eu recours à la torture, le pouvoir judiciaire incarné par le président de la Cour suprême a convoqué le premier responsable de la sécurité au Pakistan qui avait le grade de général. Une situation qui avait poussé le président du Pakistan à le démettre et à mettre fin à ses fonctions. Les avocats sont alors sortis dans des manifestations et ont exercé des pressions sur le président jusqu’à le pousser à la démission. Ce sont des magistrats et des avocats du Pakistan… La même situation prévaut en Algérie mais je ne connais pas un seul juge qui a la capacité ou le courage moral de convoquer un responsable, sécuritaire ou non sécuritaire. Au cours des deux dernières semaines, dans le cadre du procès des cadres de la sureté nationale parmi lesquels se trouve M.Oultache, les avocats ont demandé un document établi par l’administration de la sûreté nationale soulignant la légalité des contrats conclus. Il n’aurait pas été honteux si le juge demande le document et que l’administration de la sureté nationale refuse de le transmettre. Mais le plus grave est que le juge qui est tenu par la Constitution, laquelle souligne qu’il n’est soumis qu’à la loi et à conscience, n’a pas osé demander ce document ! Ce juge algérien pourra-t-il convoquer un général alors qu’il n’a même pas osé demander un document ?

Pourquoi les magistrats algériens sont-ils si timorés, selon vous ? Pour la simple raison que les appareils sécuritaires sont au-dessus des institutions et que la magistrature en Algérie est une fonction. Le juge ressent qu’il est un fonctionnaire révocable à tout moment et qu’il est sans protection. Il peut être mis à ses fonctions par un simple fax. Aussi n’ose-t-il pas convoquer un responsable d’une institution. Peut-être qu’on ne lui a pas demandé de ne pas le faire, mais il ne le fait de lui-même, par peur… Le ministère de la justice n’a plus besoin de faire usage du téléphone pour demander aux juges ce qu’ils doivent faire. Ces juges connaissent les tendances du régime. Et la tendance en vigueur est que plus vous êtes durs et plus vous êtes en phase avec le régime. Et plus vous êtes en phase et moins vous avez de craintes pour votre carrière professionnelle. Et plus vous cherchez à appliquer la loi et à agir selon la conscience, plus vous avez des raisons d’avoir peur pour votre carrière. C’est ainsi que nait une autocensure…

Ce sont ces juges qui superviseront les prochaines élections ! Une journaliste m’a dit que le ministre (de la justice) défiait quiconque de lui citer un seul exemple d’une ingérence du ministère dans le travail des juges. Je lui ai répondu : j’aurais souhaité que le ministre prenne quotidiennement son téléphone pour parler aux juges afin qu’il leur dise que telle ou telle affaire a un lien avec l’image de l’Etat et de ses intérêts et qu’ils doivent veiller à appliquer la loi afin que les algériens ne soient pas ridiculisés. Le problème est qu’ils ont poussé les magistrats à s’adapter et à se normaliser et à suivre le régime sans qu’il ait besoin de le leur demander. Prenons l’exemple des évènements de janvier 2011. En une semaine, il y a eu des centaines de jeunes arrêtés, 1200 jeunes ont été poursuivis et 600 ont été condamnés et emprisonnés pour l’accusation d’avoir commis des infractions d’incendie, de destruction…. Une semaine plus tard, tous les détenus, de Bir Al Ater à Maghnia ont été élargis. L’affaire ne concernait pas un seul tribunal mais tous les tribunaux et cela est affligeant. Du point de vue social, nous avons accueillisde manière positive l’amélioration des rémunérations des juges. On se disait qu’ils ont ainsi les moyens de ne pas se soumettre aux pressions du pouvoir exécutif, mais rien de tel n’est arrivé car nous ne sommes pas dans un Etat de droit. Quand le ministre de l’intérieur clame qu’il n’agréera pas des partis, on donne une idée de la manière dans les affaires publiques sont gérées. Et on fabrique des hommes et des femmes qui ne croient pas à l’idée de la loi. Je vous cite un exemple que peu osent évoquer. Je reçois, en tant que président de la Laddh, des lettres d’algériens qui ont quitté l’Algérie en 1966 et qui sont accusés d’être des harkis. Ils me disent qu’ils sont interdits de passeport et interdit de se rendre en Algérie. On leur dit qu’ils sont sur une « liste noire ». La question qui se pose est : qui a établi cette liste noire ? Et qu’elle est la place de la loi dans cela ? Existe-t-il un droit de recours contre cette liste ? Dans un Etat de droit, on doit connaître l’institution qui a établi cette liste et sur quelle base et si ceux dont le nom est cité ont un droit de recours. Il n’existe aucune institution qui peut corriger cette situation. Il est incroyable que la loi soit si peu présente à ce point ! C’est ce qui démontre bien qu’il y a une destruction de la conscience morale et professionnelle. Et du moment que nous parlons de la supervision des élections par les juges, je vous rappelle que cela n’a rien de nouveau. Je vous donne un exemple. Un confrère avocat dans une des wilayas du pays a présenté une liste électorale pour les élections. La liste a été rejetée par la Wilaya. L’avocat fait un recours devant le tribunal administratif. La wilaya a présenté le dossier des services de sécurité au tribunal administratif. La loi oblige qu’une copie soit donnée à la partie adverse mais le juge a refusé de le faire sous le prétexte que le dossier comporte des enquêtes sécuritaires. L’avocat qui aurait dû se retirer ne l’a pas fait. Il est arrivé à l’idée que l’Etat est au-dessus de la loi. Et c’est une idée qui s’est ancrée dans la société.

On a donc créé une sacralisation des rapports des services de sécurité ? De fait, car ces rapports sont pris en haute considération par l’appareil judiciaire. Je vous cite le cas d’une affaire de douaniers. Quand des accusés viennent devant le juge et disent qu’ils ont fait des déclarations sous la torture qui a été pratiquée contre eux par les services de sécurité, normalement le procureur de la république ouvre une enquête sur ces accusations. D’autant que l’Algérie a ratifié les accords internationaux contre la torture. Il n’en est rien.

Cela signifie que la justice n’a pas de sens et que les rapports sécuritaires sont essentiels. C’est juste. Le danger est que nous tous, citoyens ou professionnels du secteur de la justice, nous en arrivons à banaliser la torture

Les victimes elles-mêmes ont tendance à penser que ce qui leur arrive est normal. Je ne fais pas de reproche au citoyen ordinaire. Le plus grave est la situation de démission collective des avocats, journalistes, intellectuels et élites au sens large. La loi ne peut s’appliquer que dans un Etat réellement démocratique où la séparation des pouvoirs est une réalité.

Mais dans le cas des affaires de corruption, le problème ne réside-t-il pas aussi dans un problème de spécialisation des juges ? Il y a des juges spécialisés même si leur formation n’est pas parfaite. Mais le problème n’est pas dans la formation. Je pense que la véritable corruption n’arrive pas devant les tribunaux. Dans l’affaire des cadres de la sureté nationale, le contrat conclu avec la société ABM est bien meilleur que les autres contrats. Mais ceux-ci sont poursuivis, comme d’autres, de manière sélective qui ne convainc ni les juges, ni la défense. Comme vous le savez, les poursuites relèvent du procureur général et du procureur de la république, tous deux sont soumis au pouvoir exécutif. Le plus grand exemple a été l’affaire Khalifa. C’est une seule affaire dans laquelle certains ont été poursuivis et d’autres non. Or les faits se rapportant à ceux qui n’ont pas été poursuivis sont plus graves que ceux pour lesquels les autres ont été poursuivis. Qui donc décide qui doit être poursuivi et qui ne doit pas l’être ? Le régime, le pouvoir exécutif, bien sûr ! Quand le dossier arrive chez le juge, ceux qui ont été désignés par le régime sont poursuivis, ceux qui ont été exclus des poursuites par lui ne le sont pas. L’odeur de la politique et de règlement de comptes domine à l’ombre de cette gestion sélective. En outre, la loi anticorruption qui a été promulguée encourage la corruption. Je vous donne un exemple. Un tribunal à Alger a condamné une dame travaillant dans le service des impôts à deux ans de prison ferme pour avoir dilapidé 1400 dinars. A l’opposé, il y a quelques jours un autre tribunal a condamné à trois ans de prison ferme une personne accusée d’avoir détournée 60 milliards de centimes ! Pourquoi ? Parce que la loi met sur le même pied d’égalité celui qui vole un dinar et celui qui vole tout un pays ! Ceux qui pillent un pays sont ceux qui sont à des postes de haute responsabilité et après ce pillage, la pire des sanctions est de 10 ans de prison. Le résultat est que la corruption est encouragée puisque que voler un téléphone portable et voler 100 millions d’euros revient au même ! La législation a donc été mise en place avec une intention malsaine et non pour lutter contre la corruption. Notre grand problème est que nous avons démissionné ! Nous avons acquis la conviction que nous ne pouvons rien faire et c’est une erreur. Les luttes menées par les gens le sont, souvent, pour des calculs mesquins… Je milite pour devenir députés, pour obtenir ceci ou cela… Même dans le langage social on dit un « tel règle » les affaires, un tel est une « charika guadra »…. Au plan social, ceux qui sont honnêtes sont à la marge.

Comment un juge qui est censé assurer la protection du citoyen par la loi peut-il le faire alors qu’il n’a aucune garantie professionnelle et qu’il est révocable à tout moment. Comment la loi peut-elle régner dans tel pays ? Au cours des 20 dernières années, on a connu un véritable problème de formation qui a nui à la classe moyenne et aux intellectuels. Les universités ne sont plus un lieu de réflexion et de luttes, mais des centres de formation professionnelle. Quand le titulaire d’une licence en psychologie, en sociologie ou en droit aborde les choses avec la même logique de celui qui est sans instruction, il y a un problème. La seule différence est que celui qui a un diplôme connait des articles de lois, mais cela en fait un technicien, pas un universitaire. Le mal est profond. Au moment des évènements de janvier 2011, j’ai adressé une lettre au bâtonnier national dans laquelle je faisais valoir que les jeunes poursuivis sont des pauvres qui n’ont pas pu exprimer leurs préoccupations de manière pacifique et qu’ils sont des victimes d’un régime autoritaire. J’ai appelé à ce que le syndicat constitue des groupes d’avocats pour les défendre. Le bâtonnier ne m’a pas répondu. Il a déclaré cependant à la presse : « nous on ne se mêle pas de politique ». Une attitude qui est tout le contraire de ce qui s’est passé après les évènements d’octobre 1988. Le syndicat des avocats s’était constitué au niveau national pour défendre toutes les victimes. Il y a une régression grave dans les professions juridiques, dans les universités et ailleurs.

Le changement est-il possible en Algérie ? Il est possible ! Mais les élites doivent sortir de leur silence. Quand le président décide quatre mois avant l’élection de changer la constitution sans que les enseignants universitaires, les professeurs de droit et de sciences politiques, ne bougent pour dire que cela ne se fait pas, cela nous donne une idée de l’état de démission collective de la classe instruite dans ce pays.

Existe-t-il une possibilité de changement de régime ou bien ce changement va être reporté et ne viendra que de manière violente ? Je crois en la mort naturelle d’un régime corrompu. J’aurais souhaité que ceux qui sont en charge de la gestion de ce régime permettent sa mort naturelle et aillent vers un transfert pacifique du pouvoir. Malheureusement, les indices vont dans le sens contraire. Je pense que les lois qui ont été adoptées et les partis qui ont été agréées confirment que le régime est dans une stratégie d’autoperpétuation. C’est grave pour le pays. C’est même dangereux pour eux peut-être… Car si le changement pacifique n’a pas lieu, l’explosion viendra. Et si l’explosion a lieu, cela veut dire de la violence et des destructions. J’ai la conviction que tous les changements violents ne mènent pas nécessairement à la démocratie. Ceux qui disposent de la légitimité des armes se donnent la légitimité… et notre expérience depuis l’indépendance pourrait se répéter. Aussi, j’espère qu’ils penseront à leurs propres enfants et auront peur pour leur avenir.

Printed from : http://www.algeria-watch.de/fr/article/just/bouchachi_systeme_judiciaire.htm

La presse algérienne 9 janvier 2012

Cet Eclairage ne concerne que la presse algérienne d’expression française, qui représente une grande partie des quotidiens et des journaux électroniques lus en Algérie. Il existe évidemment une presse en arabe, très lue également.

La liberté de la presse en Algérie : un paradoxe apparent

Examiner la situation de la presse algérienne confronte à un paradoxe. D’une part, il est manifeste qu’il existe une multiplicité de titres dans les kiosques (environ 45 journaux ou magazines en Français et en Arabe) et en ligne qui reflètent un réel pluralisme journalistique : pour être clair, la presse d’opposition existe en Algérie, elle est très professionnelle et très offensive. Mais d’autre part, en 2010, l’Algérie occupait la 133e place sur un total de 178 dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans Frontières. Un peu d’histoire permettra d’aller au-delà de cet apparent paradoxe.

Jusqu’au soulèvement d’octobre 1988 il n’y a pas de presse privée en Algérie, les questions du pluralisme et de la liberté d’expression ne se posent pas. A partir de 1989 (nouvelle constitution qui ouvre la voie au multipartisme) une presse indépendante voit le jour qui va subir de toutes parts et jusqu’à aujourd’hui les pires pressions. Pendant la décennie noire, 101 journalistes algériens ont été assassinés, la plupart par les islamistes mais certains aussi par les services de sécurité ; ils ont payé de leur vie le courage de dénoncer les attentats et la répression dont ils ont été les témoins. Depuis une dizaine d’années, c’est le harcèlement judiciaire des journalistes et des directeurs de publication qui est la manifestation la plus visible des pressions exercées sur la presse. Quelques exemples. Le quotidien El Watan, journal indépendant et généraliste de référence en Algérie a été suspendu à 5 reprises entre 1990 et 1998, toujours pour des atteintes aux institutions ou aux autorités du pays ; en 20 ans, ses journalistes ont été condamnés à plusieurs reprises ; en 2009, son directeur de publication a reçu, à lui seul, 15 convocations devant les juges. Le sort des autres journaux indépendants n’est pas plus enviable. En 2005, plus d’une centaine d’affaires de presse ont été enregistrées et de nombreux procès se sont terminés par la condamnation de pas moins de 20 journalistes à des peines de prison ferme. Une des affaires les plus célèbres car elle a entrainé une réprobation internationale est celle qui a concerné, en juin 2004, la fermeture du quotidien Le Matin et l’emprisonnement pour une durée de 2 ans de son directeur et fondateur, Mohamed Benchicou. Ce dernier avait été condamné à la suite d’une plainte du ministère des Finances pour « infraction régissant le contrôle des changes et les mouvements des capitaux ». En fait, M. Benchicou, opposant virulent au régime, avait publié, en février 2004 (soit deux mois avant les élections présidentielles), un violent pamphlet contre le chef de l’Etat, intitulé Bouteflika, une imposture algérienne. Comment ce harcèlement judiciaire, dont on vient de donner une vision très partielle, est-il possible depuis dix ans ? Il faut savoir que dans le sillage de l’Etat d’urgence, le Code pénal algérien a été amendé le 17 juin 2001 par l’ajout de deux articles (144 bis et 146) criminalisant le délit de presse y compris par l’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 5 années fermes.

On comprend mieux alors qu’en effet, s’il existe une presse d’opinion et d’opposition en Algérie, sa liberté d’expression publique est étroitement encadrée par un dispositif judiciaire au service du pouvoir, et aussi, mais ce point ne sera pas développé, par le contrôle économique sur les organes de presse (distribution de la manne publicitaire).

La nouvelle loi sur l’information

Le projet de loi organique relative à l’information, qui s’inscrit dans le cadre des réformes politiques annoncées par le président Bouteflika dans son discours du 15 avril 2011, a été adopté par les députés de l’Assemblée populaire nationale (APN) le 14 décembre dernier. Ne sera évoquée ici que la partie de la loi concernant les droits et devoirs des journalistes. La réforme de l’audio-visuel publique incluse dans la loi fera (peut-être) l’objet d’un prochain Eclairage.

Merouane Mokdad, journaliste sur le site TSA (dont il sera question plus loin) donne du contenu de la loi, la description suivante que je ne saurais pas présenter mieux que lui.

« Ce projet que Nacer Mehal, ministre de la communication, qualifie de moderne, trace des lignes rouges que les professionnels des médias ne doivent pas dépasser. Cela est précisé dès l’article 2 de ce texte. Ainsi, et avant d’exercer son métier, le journaliste doit se plier devant « les exigences de la sûreté de l’État et de la défense nationale », « les valeurs culturelles et spirituelles de la nation » , « le secret de l’instruction judiciaire », « les juridictions et les décisions de justice », « la sauvegarde de l’ordre public », « les impératifs de la politique étrangères du pays » , « les intérêts économiques du pays » … En tout, treize “grosses” conditions écrites noir sur blanc.

Mais ce n’est pas tout. Dans l’article 80, des obstacles limitant l’accès à l’information sont clairement dressés devant les journalistes. Voilà ce que stipule cet article : « Le droit d’accès aux sources d’information est reconnu aux journalistes professionnels excepté lorsque l’information concerne le secret de défense nationale tel que défini par la législation en vigueur, l’information porte atteinte à la sûreté de l’État et/ou à la souveraineté nationale de façon manifeste, l’information porte sur le secret de l’enquête et de l’instruction judiciaire, l’information concerne le secret économique stratégique, l’information est de nature à porter atteinte à la politique étrangère et aux intérêts économiques du pays ». Autrement dit, à suivre cette logique, TSA – ou tout autre média – n’a plus le droit d’avoir des informations, par exemple, sur la conduite de la politique extérieure du pays ou sur la conclusion de gros contrats dans les secteurs des travaux publics ou de l’énergie. L’administration ou les entreprises peuvent invoquer cette disposition pour empêcher le public algérien d’être informé sur des dossiers pourtant stratégiques, car engageant d’importantes sommes d’argent.

De plus, les notions de « secret défense », « sûreté d’État », « secret de l’enquête », « secret économique stratégique », utilisées dans le texte demeurent vague et ambiguës. Elles sont sujettes à des interprétations qui peuvent être erronées ou utilisées comme prétextes pour interdire aux médias d’engager des investigations. Considérer la diplomatie et l’économie comme domaine relevant du « sacré » est déjà une grave atteinte à la liberté d’expression.

Pire : le projet de loi sur l’information est porteur dans son chapitre II d’une « charte » d’éthique et de déontologie. Pas moins de 17 points sont portés dans l’article 89 du projet. Le gouvernement s’est même autorisé à inventer de nouvelles règles, oubliant que le journaliste a des droits et des devoirs. Selon cette disposition, le journaliste « doit », entre autres : « s’interdire de porter atteinte à la souveraineté et l’unité nationales », « s’interdire de porter atteinte aux attributs et aux symboles de l’État », « s’interdire toute atteinte à l’histoire nationale », « s’interdire l’apologie du colonialisme », « s’interdire de diffuser ou de publier des propos et des images amoraux ou choquants pour la sensibilité du citoyen », « s’interdire de porter atteinte aux intérêts économiques et diplomatiques de la Nation », « s’interdire de mettre en danger des personnes », « s’interdire tout acte de nature à porter atteinte de manière directe ou indirecte à la vie privée des personnalités publiques »…. Le mot « s’interdire » est utilisé douze fois ! »

Quant à la dépénalisation du délit de presse, la modification du code pénal a essentiellement entraîné la suppression de peines d’emprisonnement en matière de délits de presse, mais diffamation et outrage commis à l’encontre, notamment du Président de la République, des corps constitués, des juridictions et du Parlement restent des délits sanctionnés par de lourdes amendes.

Deux semaines avant le vote au parlement, le Syndicat national des journalistes (SNJ) avait adressé un mémorandum aux députés dénonçant l’inefficacité de la loi sur l’information et un grave recul des acquis de l’ouverture démocratique de 1988. Il soulignait notamment le retour au musellement par l’article 2 de la loi « qui impose énormément de contraintes dans l’exercice de la profession. Cette série d’interdiction constituent réellement des handicaps pour les journalistes et limitent leur liberté d’action et d’initiatives. ». Manifestement la représentation nationale dans sa majorité n’a pas entendu le SNJ.

Quelques titres, quelques liens

Presse écrite

La quasi-totalité des quotidiens publiés en français sont accessibles sur internet ; c’est notamment le cas de :

El Watan  : qui a obtenu le Trophée de la liberté de presse à la 1ère édition des Victoires de la Presse organisée, à Lyon, par la WAN-IFRA -Association Mondiale des Journaux et des Editeurs de Médias d’Information – le 5 décembre dernier.

Le Matin DZ  : des news, des articles de fond, très virulents à l’égard du pouvoir, plus diverses contributions de journalistes, analystes, universitaires et intellectuels de l’opposition.

Liberté  : national mais très lu en Kabylie, proche du RCD.

Le quotidien d’Oran  : premier quotidien francophone du pays, sérieux, surtout lu par les cadres, il rassemble d’excellentes signatures de journalistes et d’intellectuels d’Algérie dans son édition du jeudi (ne pas manquer les billets d’humeur de la rubrique Raïna Raïkoum !).

EL Moudjahid  : répercute les analyses officielles et la voix du régime.

A signaler aussi de bonnes synthèses de l’actualité algériennes dans Jeune Afrique

On peut accéder aux versions électroniques de ces journaux en passant par des portails comme :

www.pressealgerie.fr/

www.mediatico.com/fr/newspapers/africa/algeria/

www.journalalgerie.net/

Sites d’informations ou journaux électroniques, plus audacieux, car moins soumis à la pression économique.

DNA  : Dernières Nouvelles d’Algérie, le rédacteur en chef des DNA est l’ancien directeur de la rédaction du Matin et de celle de Liberté.

TSA  : Tout sur l’Algérie, le premier quotidien électronique algérien. Sérieux et professionnel, il regorge d’informations souvent reprises par la presse nationale.

Algérie-Focus  : donne la parole aux personnalités qui n’ont pas droit de cité dans les médias algériens, publie des articles qu’on n’ose pas publier dans la presse écrite. Bref : « parle des sujets qui fâchent ».

Et enfin, on ne dira jamais assez à quel point les dessinateurs de presse sont extraordinaires de talent et de courage (certains on fait de la prison d’ailleurs). Pour n’en retenir que 4 parmi beaucoup d’autres : Ali Dilem dans Liberté, Le Hic dans Le soir d’Algérie, Islem dans Le temps, Lounis dans Le jour.

Vers les élections législatives 9 janvier 2012

Pour clore l’année 2011, cette rubrique prendra la forme d’un rapide bilan de l’année écoulée, marquée par la résistance du pouvoir algérien au vent de contestation qui a soufflé sur le Maghreb et dans le pays. Marquée aussi par la préparation des futures législatives dans un contexte de forte instabilité politique des principaux partis au pouvoir ou dans l’opposition.

La préparation des échéances électorales : l’après-Bouteflika.

2011 a commencé par un mouvement de protestations populaires et politiques sans précédent depuis 1988, au diapason avec les autres soulèvements dans le Maghreb et ailleurs qui devaient donner naissance à ce qu’il est convenu d’appeler le printemps arabe. Alors qu’au Maroc, en Tunisie, en Lybie, en Egypte, sous des formes et par des voies différentes, un coup d’arrêt a été mis aux régimes autocratiques en place depuis des dizaines d’années, en Algérie le “Système” n’a pas fléchi et l’élan démocratique s’est brisé au bout de quelques semaines. Tout a été dit sur les causes de cet échec : la peur d’un retour à la guerre civile, la dureté de la répression militaire et policière, la division des oppositions…

Il reste que pour les dirigeants algériens, une réaction s’imposait, destinée à contenir d’éventuels sursauts des aspirations à la liberté. Un double mouvement a été enclenché par le pouvoir : annoncer des réformes et composer avec les islamistes.

L’annonce des réformes

L’offensive réformiste du pouvoir a été inaugurée par des consultations des différents partis politiques et une concertation tripartite gouvernement, patronat, UGTA. Mais très tôt, les forces d’opposition ont dénoncé une parodie de dialogue social, certains partis ont refusé d’y participer et ont critiqué des promesses peu crédibles tant que le pouvoir resterait aux mains d’une oligarchie constituée de profiteurs de la rente pétrolière, gangrénée par la corruption et protégée par l’armée et les services de renseignements (DRS). Les projets de réformes qui ont alors fleuri, suivis de l’adoption de nouvelles lois par l’APN ont été vivement critiqués par les démocrates et défenseurs des droits de l’homme ; en voici quelques exemples.

Loi sur les associations. Jugée particulièrement restrictive et répressive par la LADDH, la loi a été vivement critiquée principalement à 5 niveaux : 1) la procédure de création des associations soumise à autorisation préalable ; 2) le mode de financement des associations ; 3) les limitations à la coopération avec des organisations étrangères ; 4) le régime auquel sont soumises les associations étrangères et 5) les conditions particulièrement larges dans lesquelles les associations peuvent être suspendues ou dissoutes

Loi sur les partis politiques destinée à restreindre le champ d’action de l’opposition et faire barrage à tout retour du Front islamique du salut (FIS), interdit depuis 1992. Le Front des forces socialistes (FFS) du vieux militant nationaliste Hocine Ait Ahmed, qui vit en exil en Suisse, a remis en cause cette nouvelle loi, considérant qu’elle « impose l’hégémonie du ministère de l’intérieur sur la vie politique et empêche d’amorcer une dynamique de changement démocratique en Algérie. »

Loi sur l’information. (cf l’Eclairage de ce mois-ci) « Le texte comporte des restrictions graves, introduites au nom de la défense de la politique étrangère et des intérêts économiques du pays » selon Mostefa Bouchachi, président de la LADDH. Pour lui, la liberté d’expression est contrôlée dans la nouvelle loi par « une série de considérations adaptées par le régime à ses propres intérêts. »

D’autres lois comme le projet d’un quota de 33% de femmes sur toutes les listes électorales ont été rejetées par les députés.

Les tractations avec la mouvance islamiste.

Depuis 1999, début de son règne présidentiel, Bouteflika a donné des gages aux occidentaux (et au peuple algérien) en combattant le terrorisme islamiste tout en négociant en permanence le soutien des partis religieux à sa politique (en particulier par le biais de la réconciliation nationale). Cette attitude avait un but déclaré : atomiser la mouvance islamistes. Les tentatives en ce sens se sont multipliées ces derniers mois. Mais de ce côté non plus, la stratégie n’a pas eu les effets escomptés. D’une part, les divisions, réelles, provoquées au sein de la mouvance islamiste ont conduit cette dernière à occuper un espace politique extrêmement large : présents dans la coalition présidentielles au parlement et au gouvernement (le MSP), dans l’opposition légale (Ennahda…) et dans certaines organisations ayant recyclés les militants de l’ex-FIS, les tenants d’un islam politique semblent être partout. A cela s’est ajouté l’effet des révolutions arabes. Le succès des islamistes dans les premières élections organisées dans les pays voisins, a ouvert, en Algérie, des perspectives inespérées à des courants jusqu’alors concurrents dans leurs stratégies de conquête du pouvoir ; des courants qui se prennent à rêver maintenant d’une union leur assurant un triomphe aux prochaines législatives en 2012. Du coup, pour les islamistes, l’époque des compromis avec Bouteflika (condition de la survie politique) est dépassée ; c’est l’après-Bouteflika qu’il faut préparer.

Les élections législatives de mai 2012 (ou de février en cas d’anticipation) ne manqueront pas d’influencer les présidentielles de 2014. Dans l’état actuel du paysage politique algérien, la coalition présidentielle éclate. Le FLN connaît une importante crise interne opposant « les caciques et les jeunes cadres, les conservateurs et les modernistes et, pis encore, les corrompus contre les partisans d’une pratique politique saine ». Le MSP prépare, contre ses alliés d’aujourd’hui, une union des partis islamistes (il devrait logiquement quitter la coalition gouvernementale à brève échéance) et le parti nationaliste du premier ministre (le RND) est isolé dans une défense inconditionnelle de réformes critiquées de toutes parts.

Qu’en est-il de l’opposition progressiste ? On l’a dit dans de précédentes rubriques le FFS et le RCD, outre qu’ils doivent assumer historiquement des contradictions importantes dans leurs relations avec le pouvoir et avec les islamistes, outre qu’ils sont perçus par une partie des algériens comme les représentants d’une bourgeoisie francisée et par une autre partie comme les représentants de la minorité kabyle, ont échoué à rassembler le peuple révolté en janvier et février derniers. Il est clair que le débat politique aujourd’hui en Algérie entre les islamistes, le pouvoir et l’armée laisse peu de place aux deux partis démocratiques et modernistes. Ainsi, ces derniers conditionnent leur participation aux prochains scrutins à la présence d’observateurs internationaux, alors que Bouteflika a déjà assuré que ce serait le cas ; ils demandent depuis toujours une révision de la constitution algérienne alors que Bouteflika a assuré que cette révision aurait lieu après les législatives. On le voit, les marges de manœuvre sont étroites aujourd’hui pour les démocrates algériens. On imagine mal, dans ces conditions, que les prochaines élections soient l’occasion d’une alternance démocratique en Algérie.

Mouvements sociaux et droits de l’homme

Depuis un an que cette rubrique existe, chaque compte rendu mensuel sur la situation dans le pays commence par une longue liste d’émeutes, de grèves, de manifestations, d’attentats, de bavures qui sont le quotidien de la vie des algériens. Pour cette dernière rubrique de l’année, on n’entrera pas dans les détails. On se contenter d’indiquer que la gendarmerie algérienne elle-même a recensé 11.500 émeutes à travers tout le territoire en 2011. Par ailleurs, le climat d’insécurité et de violence n’a pas faibli dans la dernière période. Le nombre élevé de victimes des tensions politico-sociales en novembre et décembre en reste la preuve la plus dramatique : neuf “terroristes islamistes” abattus par l’armée, deux chasseurs tués accidentellement par l’armée ; deux jeunes abattus par des policiers lors de manifestations ; un lycéen et un jeune chômeur morts après s’être immolés par le feu.

Les révoltes, comme la création de multiples syndicats corporatistes indépendants, témoignent indiscutablement de la combattivité et des aspirations des algériens. Mais elles révèlent aussi trois choses : d’une part le pouvoir algérien n’a pas l’intention de changer sa stratégie de domination par la répression, les subventions clientélistes et des ersatz de réformes ; d’autre part, les révoltes sont des adresses directes et violentes du peuple à l’état, les élus locaux ne jouant plus aucun rôle de représentation et d’intervention en faveur de la population ; et enfin, l’absence d’une société civile organisée rend impossible pour l’instant l’émergence de contre-pouvoirs susceptibles de peser sur les orientations politiques des gouvernants. Or, de façon circulaire, c’est probablement la nature même du fonctionnement des institutions algériennes (politiques, syndicales, religieuses, militaires, éducatives) qui rend impossible la naissance d’une conscience citoyenne et d’une société civile active. L’Algérie vient d’être classée par Transparency International à la 112e place sur la liste des 180 pays les plus corrompus de la planète.

Au nom de la LADDH, Mostefa Bouchachi conclue en ces termes son message de fin d’année : « Quand on sait que la démocratie sera effective en Tunisie et qu’au Maroc il y a une ouverture, tandis qu’en Libye la dictature est tombée par la force des armes, je dis qu’il vaut mieux qu’il y ait une transition pacifique en Algérie. Mais si les décideurs optent pour le maintien de la situation actuelle, les conséquences seront dramatiques pour le pays et pour eux-mêmes ». Il faut dire que “la situation actuelle” n’est guère favorable pour la LADDH qui s’est vu refuser, le 10 décembre, l’organisation de deux conférences-débats programmées dans le cadre de la célébration de la Journée internationale des droits de l’Homme : l’une prévue à l’hôtel El-Biar d’Alger autour du thème La justice et les droits de l’Homme, et l’autre à la Maison des jeunes de Boumerdès sous l’intitulé La citoyenneté et les droits de l’Homme.

L’islamisme algérien (2) : de la « réconciliation nationale » au « printemps arabe » 7 novembre 2011

Dés son arrivée au pouvoir en avril 1999, Bouteflika entame sa politique de réconciliation nationale par des mesures significatives de main tendue aux islamistes. Les visées électoralistes de cette politique apparaissaient déjà dans la campagne du candidat à la présidence.

La politique de réconciliation nationale

Dés 1997, la Direction des renseignements et de la sécurité (DRS, dépendant de l’ANP) et l’Armée islamique du salut (AIS) négociaient les conditions d’un arrêt de la guerre civile. Ces accords prévoyaient une large amnistie des combattants islamistes. Pendant sa campagne électorale (printemps 1999), le candidat Bouteflika fait de la paix civile l’objectif principal de son programme. Et trois mois après son élection (juillet 1999), il fait voter la Loi de Concorde civile, approuvée en septembre par les algériens par voie de référendum (avec une participation de 85%, et un « oui » massif de 98,63% des voix !). Avec des dispositions non seulement incompatibles avec la constitution algérienne mais aussi violant plusieurs normes de droit international, la Loi propose appelle les terroristes à renoncer à leur combat et à se présenter aux autorités ; une large indulgence est promise à ceux n’ayant pas de sang sur les mains. Elle dispose aussi que les victimes ne pourront pas se porter partie civile pour des faits commis par une personne exonérée ou mise sous probation. Le résultat sera l’autodissolution de l’AIS et la reddition de plus d’un millier de repentis. Mais dans les faits, les terroristes ont tous été amnistiés, à commencer par les plus sanguinaires des émirs du GIA et du GSPC. Certains d’entre eux bénéficieront de rentes substantielles et deviendront de véritables barons dans le commerce et les affaires. La Loi a donc permis une impunité totale pour des milliers d’assassins et les familles des victimes ont dû accepter que la justice ne passerait pas. Mais à cette impunité s’en est ajoutée une autre. Pendant les années noires, les forces de sécurité de l’État ont procédé à des arrestations massives. L’armée a ratissé des quartiers et des villages entiers, de jour comme de nuit, arrêté des étudiants, des médecins, des historiens, des avocats, des ouvriers, des agriculteurs, des mères de famille. Parmi ces hommes et ces femmes, certains ont été libérés, d’autres jugés et emprisonnés mais des milliers d’entre eux n’ont jamais réapparu. En se fondant sur les témoignages des familles on estime à 10 000 le nombre de disparus, après arrestation, pendant cette période.

Pendant les 5 années qui vont suivre, la situation sécuritaire s’améliore mais les violences sont toujours présentes, les gains de la loi de 1999 sont minces. Les familles de victimes des groupes armés islamistes et des forces de sécurité ne cessent de demander la reconnaissance des crimes et exactions commis.

Le 29 septembre 2005, Abdelaziz Bouteflika propose aux algériens une « Charte pour la paix et la réconciliation nationale », censée parachever ce qui avait été entamé, en 1999, par la Loi sur la concorde civile. Il propose ainsi de reconnaître le droit à des réparations aux familles de disparus, d’accorder une forme d’amnistie pour les membres de groupes armés non coupables de massacres, de viols et d’attentats à la bombe et de créer une aide pour les veuves et orphelins de membres de groupes armés tués par les forces de l’ordre. Ces mesures prévoient aussi une amnistie complète pour les membres des forces de sécurité (toutes composantes confondues) responsables de graves violations des droits humains. Toute plainte contre ces individus est désormais considérée comme irrecevable. Fin mars 2006, plus de 2200 activistes islamistes, parmi lesquels plusieurs centaines ont été condamnés pour crimes, sont libérés. L’ordonnance d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, publiée le 28 février 2006, permet également l’élargissement d’anciens émirs des Groupes islamistes armés (GIA) et des membres du groupe terroriste du Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC). Ali Benhadj, ancien n°2 du Front islamiste du salut (FIS), qui était en détention pour apologie du terrorisme, est également libéré dans le cadre de ce dispositif. L’ordonnance de février 2006 sanctionne pénalement toute personne qui engagerait des poursuites judiciaires contre des repentis ou des agents de l’Etat impliqués dans des crimes.

Aujourd’hui, les plaies ne sont pas refermées. Les victimes du terrorisme ont pour voisins les assassins d’hier. Des familles de victimes du terrorisme et des familles de « disparus » réclament vérité et justice. En septembre dernier, le Comité des familles de disparus en Algérie (CFDA), et d’autres associations, fédérées en « Coalition d’associations de victimes de terrorisme et de disparitions forcées » ont cosignés un « projet de charte pour la vérité, la paix et la justice ». Entre la Concorde civile et la Charte pour la Paix et la Réconciliation nationale, les crimes se sont poursuivis impunément. Il n’y a eu ni réparation, ni justice, et il existe toujours un islamisme djihadiste (AQMI) qui terrorise les algériens, notamment en Kabylie.

Les islamistes dans la vie politique algérienne

Rappelons qu’en 1991, le FIS, à l’issue du premier tour des législatives avait déjà 188 sièges (sur 430) du parlement algérien et le deuxième tour devait logiquement lui en amener encore un grand nombre. Aujourd’hui, 20 ans plus tard, le FIS dissous en 1992, vient d’être de nouveau interdit de figurer parmi les partis politiques légaux en Algérie et ses anciens dirigeants interdits de créer de nouveaux partis (projet de loi sur les partis politiques, acté le 12 septembre dernier). La stratégie de conquête du pouvoir par la lutte armée en vue d’établir un état islamique, a échoué au terme de 20 ans d’une guerre civile sans merci. L’islamisme n’a pas disparu pour autant de la scène politique algérienne, il s’est métamorphosé mais reste une composante essentielle des rapports de force entre le pouvoir de Bouteflika et ses oppositions. En simplifiant, cette composante prend aujourd’hui trois visages.

Les organisations islamistes armées

Le groupe le plus connu est celui d’Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Autrefois basée exclusivement en Algérie et nommée Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), l’organisation a adopté la dénomination Aqmi après avoir solennellement prêté allégeance à Oussama Ben Laden le 25 janvier 2007. Sa zone d’action se situe dans les régions désertiques du Sahel, à cheval sur plusieurs pays dont le sud algérien.

Pour beaucoup de spécialistes, le but proclamé d’Aqmi, étendre la guerre sainte (djihad) à l’ensemble du Maghreb, et sa référence religieuse intégriste (le salafisme) ne sont que l’habillage idéologique d’une organisation foncièrement spécialisée dans le trafic des armes et de la drogue. L’enlèvement, à son actif, d’une vingtaine d’occidentaux, depuis 2008, dans la région du Sahel est sa principale source de revenus (rançons). Les derniers en date sont les trois européens travaillant pour des associations humanitaires qui ont été enlevés le 23 octobre dans un camp de réfugiés à Tindouf, dans le sud-ouest de l’Algérie.

Les partis islamistes légalisés

Depuis 1989, trois partis revendiquant leur référence islamique, ont un statut légal et participent aux élections en Algérie. Les trois ont des députés au parlement et l’un d’entre eux a des ministres dans le gouvernement.

Hamas/HMS/MSP (Mouvement de la société pour la paix). Créé en 1990. Prônant un islam modéré, le MSP se revendique des Frères musulmans. Libéral au plan économique mais conservateur au plan des mœurs il est fortement opposé au changement du Code de la famille algérien, largement inspiré de la tradition islamique. La mainmise du pouvoir sur ce mouvement a été totale dès sa création. Favorable à la politique de réconciliation nationale conduite par Bouteflika, il fait partie de la coalition parlementaire qui forme le gouvernement avec le FLN et le RND (quatre ministres du MSP). Son soutien au troisième mandat de Bouteflika a provoqué le départ d’une partie des militants et la création en 2009 d’une autre formation islamiste : le Mouvement pour la prédication et le changement, fidèle à la tradition des Frères musulmans.

Ennahda (Mouvement de la renaissance islamique). Fondé en 1989 sur des bases idéologiques proches du FIS, a opté pour une politique de soutien critique au gouvernement. A cautionné le pluralisme de façade du système, par exemple en présentant un candidat aux élections présidentielles truquées d’avril 2004. Depuis lors, ce parti est régulièrement en proie à des dissensions internes.

El Islah/MRN (Mouvement pour la réforme nationale) né d’une scission d’avec Ennahda, se considère comme une force d’opposition ; El Islah dénonce la pauvreté, la corruption, les inégalités et recueille les votes protestataires d’une partie de l’électorat algérien. Il est le plus radical et le plus religieux des trois partis légalisés. Aux présidentielles de 2009, son candidat promettait une amnistie totale y compris pour les membres d’AQMI.

Evidemment, les partis islamistes algériens pavoisent après la victoire d’Ennahda aux premières élections libres organisées en Tunisie. Plus que jamais « démocrates », ils espèrent bien conquérir à leur tour l’Assemblée nationale aux prochaines élections législatives prévues en 2012.

La da’wa salafiyya.

Ce courant salafiste fortement affilié au wahhabisme saoudien explose littéralement en Algérie ces dernières années. Il ne s’agit pas d’un parti mais d’un réseau social. Fréquentant les mêmes mosquées, les mêmes écoles privées, les mêmes librairies et surtout les mêmes circuits commerciaux (dans lesquels se sont recyclés d’anciens djihadistes), arborant les mêmes attributs physiques (barbe) et vestimentaires (à la saoudienne), se mariant entre eux, les membres d’Al da’wa salafiyya constituent une communauté dans laquelle il est facile d’entrer et qui apporte de très nombreux avantages. La prédication remplace la propagande politique, les partis islamistes sont rejetés, aucun appel à la violence, seulement l’adoption d’un mode vie sensé préfigurer l’avènement d’une société musulmane. C’est là que se prépare la ré-islamisation de la société algérienne.

Sur l’évolution récente de l’islam politique je suis redevable à Amel Boubekeur « L’impact de l’évolution de l’islam politique sur la cohésion nationale en Algérie », texte que l’on trouve sans difficulté sur internet.

Sur les attitudes politico-religieuses auxquelles renvoient les termes fondamentalisme et intégrisme consultez la très instructive conférence de Denis Charbit en 2007 : Les mots et la chose. Fondamentalisme et intégrisme

http://www.akadem.org/sommaire/themes/politique/1/1/module_2631.php

Mouvements sociaux, LADDH 7 novembre 2011

L’Algérie n’est pas un pays endetté, l’Algérie est un pays riche. La rente pétrolière lui permet d’avoir une balance commerciale excédentaire depuis près de 20 ans et des réserves estimées en 2009 à 150 milliards de dollars. La misère et la détresse populaires rapportées chaque mois dans cette rubrique sont à mettre en regard de cette abondance financière.

Mouvements sociaux

L’actualité sociale en Algérie est quotidiennement et minutieusement rapportée et archivée sur le blog « ecoutevoisparle.over-blog.net », tribune libre et engagée de critique culturelle, sociale et politique de l’Algérie au jour le jour.

Les émeutes sont recensées grâce aux informations qu’Alain Bertho, professeur d’anthropologie à l’université Paris8, met sur le site : http://berthoalain.wordpress.com/documents/emeutes-en-algerie/

Conditions de vie. Le 2 octobre les habitants de Toumiate (près de Skikda) estimant que l’eau qui leur est desservie est impropre à la consommation, ont de nouveau (cf. février de cette année) dressé des barricades et affronté les gendarmes pour protester contre l’inertie des pouvoirs publics. Trois gendarmes blessés et six manifestants arrêtés. Le 5 octobre, les habitants d’Oum Chegague (500 km au sud d’Alger) ont dénoncé la situation catastrophique de leur village en en bloquant toutes les entrées. Ils réclamaient la programmation d’un lycée et d’un collège, ainsi que la construction d’un stade avec une salle couverte, comme promis par les autorités. Le manque d’eau, le manque d’entretien des routes et le problème du transport motivaient aussi cette manifestation. Le 12 octobre, à Bordj Bou-Arréridj (Kabylie) des dizaines d’habitants ont bloqué la voie ferrée à l’aide de troncs d’arbre et de blocs de pierre. Certains ont même tenté de déboulonner les rails. Les protestataires manifestaient, entre autres, pour obtenir l’entretien des réseaux d’assainissement et l’eau potable. Le même jour, la population de Béni Khaled (wilaya de Sétif) protestait contre la délocalisation du projet de construction d’un lycée vers une autre localité. La colère des habitants a été attisée par l’arrivée sur les lieux des forces anti-émeutes chargées de disperser les quelque 700 manifestants qui protestaient contre ladite décision. Une vingtaine de personnes ont été arrêtées. Le 27 octobre, des habitants d’Oued Chouiker (près de Skikda) ont bloqué la route conduisant à leur village à l’aide de pneus et de troncs d’arbres, pour protester, comme ils le font depuis avril, pour obtenir des conditions correctes d’alimentation en eau potable et d’éclairage public.

Logement. Les 6 et 7 octobre, de violents affrontements ont opposé, à Bir Ghbalou (à l’ouest de Bouira), des jeunes déchaînés aux forces antiémeute de la police et de la gendarmerie. Plaques de signalisation, poteaux électriques et autres mobiliers urbains ont été la cible des jeunes émeutiers qui ont investi les principales rues du centre-ville. Les sièges de l’APC et de la daïra ont été saccagés. Les émeutiers protestaient contre leur exclusion de la liste des bénéficiaires de 102 logements sociaux rendue publique dans la matinée de mardi et dénoncent la manière avec laquelle ont été distribués ces logements. Le 9 octobre, les habitants de la cité Sonelgaz de Ben Aknoun (Alger) ont investi la rue pour réclamer la cession à leur profit des logements de fonction qu’ils occupent depuis plus de vingt ans. De violents heurts entre les forces de l’ordre, venues nombreuses, et les jeunes du quartier ont éclaté sur-le-champ. Echanges de jets de pierres, cocktail Molotov et gaz lacrymogène, pneus et branchages d’arbres brûlés jonchaient le quartier. Le 6 octobre, une jeune femme âgé de 30 ans, divorcée et sans emploi, mère de deux enfants, s’est aspergée d’essence avant de s’allumer à l’aide d’un briquet au moment où un huissier de justice accompagné d’un agent de police venait exécuter une décision d’expulsion du domicile. La jeune mère et le policier, lui aussi atteint par les flammes sont morts, un des enfants est gravement brûlé.

Harraga. Le 20 octobre, dans la soirée, des jeunes en colère ont incendié, le bureau de poste, le siège de l’APC et le parc de la commune de Hadjadj, près de Mostaganem. Dés 21 heures de longues rafales de fusil mitrailleur résonnaient dans la cité, créant une intense frayeur dans la population. Plus d’une centaine de jeunes, dont des mineurs, ont été appréhendés par les services de sécurité et seront traduits devant la justice. L’élément déclencheur de cette émeute est la mort par noyade au large des cotes espagnoles, de 5 jeunes originaires de Hadjadj. Deux semaines auparavant, 3 embarcations ayant à leur bord plus de 30 harragas partaient du rivage de la plage de Hadjadj ; les 5 victimes étaient à bord de l’une de ces embarcations.

Chômage et conflits du travail. Le Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) avait annoncé la tenue le 9 octobre d’un sit-in devant la résidence présidentielle à Alger. Le 9 au matin, la police procédait à des arrestations préventives à la sortie de la Maison des syndicats à Dar El Beida (banlieue est d’Alger) où des membres de la CNDDC avaient passé la nuit. D’autres militants ont été arrêtés alors qu’ils se rendaient sur le lieu de rassemblement. Créé le 06 janvier 2011, le comité National pour La Défense des Droits des Chômeurs (CNDDC) est une organisation qui lutte pour la défense des droits moraux et matériels des chômeurs. Plusieurs militants de cette organisation ont fait l’objet d’arrestations, d’intimidations et de harcèlements de la part des autorités.

Le 12 octobre, un jeune chômeur de 31 ans s’est immolé par le feu dans la localité de Sidi Lahcen (près de Sidi Bel Abbès)

Parmi d’autres conflits dans les entreprises algériennes, celui de l’entreprise publique économique de construction métallique Batimétal d’Annaba est le plus spectaculaire. Les 600 travailleurs de Batimétal sont en grève depuis le 19 octobre, pour l’augmentation des salaires et des indemnités ainsi que pour la « permanisation » des salariés recrutés dans le cadre des contrats à durée déterminée. Certains salariés ne touchent même pas la moitié du Salaire National Minimum Garanti. Les grévistes demandent aussi une commission d’enquête sur la situation de l’entreprise. Les affrontements avec la gendarmerie ont entraîné des dizaines de victimes et arrestations. Le conflit est toujours en cours.

Grèves catégorielles. La rentrée a été marquée par de nombreuses grèves dans le secteur de l’éducation ; les enseignants des premiers et second degré ont tenu des grèves de plusieurs jours, comme les personnels non enseignants (dits « corps communs de l’éducation ») avec des revendications essentiellement salariales. Deux autres mouvements de grève illimitée ont eu un retentissement considérable dans le pays. Le premier est celui déclenché le 22 octobre par l’Union des barreaux d’Alger. Le mot d’ordre de grève générale a été massivement suivi par les avocats au niveau de toutes les juridictions qui ont été totalement paralysées. Le principal objectif des robes noires est de dénoncer le projet de loi régissant la profession d’avocat récemment rendu public. Les avocats reprochent au texte incriminé d’être en contradiction totale avec les orientations affichées par le président Bouteflika sur les réformes politiques, les libertés publiques et les droits humanitaires et de constituer « une régression pour les droits de la défense ». Une autre grève illimitée déclenchée le 27 octobre par les médecins spécialistes de la santé publique a débouché rapidement sur des négociations et des engagements ministériels sur le statut et les rémunérations de ces médecins. A cela on peut ajouter, un mouvement de protestation des retraités qui à travers tout le pays ont fait pendant plusieurs jours des sit-in pour dénoncer la baisse de leurs pensions, la grève des cheminots, la grève des agents de sécurité et de prévention et les grèves d’étudiants très nombreuses (et parfois violentes) en cette rentrée qui dans certaines université n’a pas encore eu lieu.

Du côté de la Ligue Algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH).

« Projets de textes de loi : un pas vers les réformes ou une consécration du statu quo ? » Tel était le thème d’une conférence-débat organisée, le 27 octobre à Alger, par la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (Laddh). Les conférenciers étaient invités à procéder à l’analyse des principaux projets de textes élaborés dans le cadre des « réformes politiques » promises par le président Bouteflika.

Selon le président de la Laddh, Mostefa Bouchachi, il n’y a aucune illusion à se faire. « Les nouveaux projets de loi présentés comme étant des textes de réformes politiques consacrent, en réalité, un recul dangereux par rapport aux acquis des Algériens »

« Le nouveau projet de loi sur l’information ne présente aucune avancée. Même chose pour les projets de loi sur les associations et celui sur les partis politiques. Pour la création d’un journal, d’une association ou d’un parti politique, le dernier mot revient toujours à l’administration. Ce sont des textes qui ne répondent à aucune des attentes de la société algérienne. Même les propositions du CNES sur le mouvement associatif n’ont pas été prises en compte, alors que cet organisme est proche du pouvoir. » Et d’interroger : « Pourquoi le régime totalitaire algérien accepterait-il, de son propre gré, de nous donner la démocratie ? Il ne le fera pas sans une mobilisation permanente de la société civile. La dictature est comme un cancer, si on ne le traite pas, il prolifère »

Le président de la Laddh, a également réitéré l’appel de la Ligue à l’abolition de la peine de mort en Algérie « Des centaines de condamnations à mort sont prononcées annuellement. C’est une torture quotidienne pour les condamnés « . Analysant les textes législatifs, Me Bouchachi relève que « pas de moins de 15 articles évoquent la peine de mort ; 95% de ces articles condamnent des faits à caractère politique. La peine de mort est donc utilisée pour terroriser l’opposition en Algérie », dénonce-t-il.

Dans ce contexte, a affirmé Me Bouchachi : « Malgré le sacrifice de nos martyrs pour recouvrer notre indépendance, nous évoluons toujours comme des sujets dans un Etat de non droit sous un régime totalitaire » « Notre démission ou notre silence aide le pouvoir à mettre en application son plan anti-changement., il veut seulement gagner du temps pour arriver aux élections de 2012 ».

Dans la dernière semaine d’octobre, la LADDH s’est fortement mobilisée à propos de l’enlèvement de Noureddine Belmouhoub. Ce défenseur des droits de l’Homme âgé de 63 ans, porte-parole du Comité de défense des ex-internés des camps de sûreté (CDICS) a été kidnappé en pleine rue à Alger le 23 octobre. Relâché trois jours plus tard par ses ravisseurs, il confirme les soupçons formulés publiquement par la LADDH. Ce sont « des éléments de la police politique » qui l’ont enlevé et séquestré. Les ravisseurs lui reprochaient d’avoir déposé une plainte contre le général Khaled Nezzar en 2001, et voulaient lui faire signer une renonciation à cette plainte. Pour rappel, les 20 et 21 octobre derniers, le Général Nezzar, Ministre de la défense nationale entre 1991 et 1993, a été auditionné par la procureure fédérale suisse, suite à une plainte déposée contre lui pour « suspicion de crimes de guerre », par deux citoyens algérien en exil. Or, en 2001, N. Belmouhoub avait déposé une plainte pour torture à l’encontre du Général Nezzar. Aucune suite n’avait été donnée à cette plainte par la justice algérienne.

Tensions sociales, négociations, Lybie 30 septembre 2011

Mouvements sociaux

Les émeutes sont recensées grâce aux informations qu’Alain Bertho, professeur d’anthropologie à l’université Paris8, met sur le site : http://berthoalain.wordpress.com/documents/emeutes-en-algerie/

Protestations contre la politique de l’emploi et du logement, résistance populaire contre le naufrage des services publics… en fait depuis le mois de janvier, l’Algérie est en état quasi insurrectionnel. Des centaines de mouvements de révolte se sont déroulés à travers le territoire. Pour le moment le régime répond, soit par la répression à l’égard des plus fragiles, accompagnée de subventions sporadiques de produits de larges consommation, soit par des augmentations de salaires des catégories professionnelles les mieux établies. Visiblement cette politique d’achat de la paix sociale avec l’argent de la manne pétrolière calme ceux qui ont un emploi et sont logés décemment, mais pas une large partie de la population qui connaît une extrême misère.

Chômage

Le chômage en Algérie est estimé à plus de 15% par les observateurs internationaux. C’est l’inefficacité et le manque de transparence dans la gestion du dossier que les chômeurs ne cessent de dénoncer : la corruption au niveau des agences locales de l’Anem (Agence nationale de l’emploi, équivalent de l’ex-ANPE en France) est de notoriété publique.

De violents affrontements entre la gendarmerie et de jeunes chômeurs dans la nuit du 8 septembre à Charouine (près de Timimoun, grand sud algérien) ont provoqué de nombreux dégâts matériels et des arrestations. A Ouargla (sud algérien), pendant plusieurs jours avant et après le 10 septembre, des milliers de jeunes sans emploi se sont heurtés aux forces anti-émeutes : une dizaine de blessés et 4 bus appartenant à l’état incendiés. Tout a commencé par un rassemblement de solidarité avec un jeune chômeur qui a tenté de s’immoler par le feu le 8 septembre sur la place du 1er mai et qui a été blessé par une bombe lacrymogène lancée par les forces anti-émeute. Le 19 septembre, à Mers El Hadjajdj (près d’Oran) plusieurs centaines de jeunes chômeurs ont pris d’assaut le siège de l’entreprise AWA (société étrangère) puis la mairie de la localité pour dénoncer le favoritisme et la corruption dans le recrutement au sein de cette entreprise.

Logement

Actuellement, plus d’un demi million de familles sont installées dans des habitations précaires, dont 50.000 vivent dans des bidonvilles autour de la capitale. La Rapporteuse spéciale des Nations unies sur le logement Raquel Rolnik, avait exhorté le gouvernement algérien à plus de transparence dans l’attribution des logements et à la participation de la société civile dans la définition des critères d’octroi des logements sociaux, à l’issue d’une visite de 10 jours en juillet. La publication des listes des bénéficiaires de logements sociaux que l’Etat octroie à ceux qui perçoivent moins de 24.000 dinars (240 euros) par mois donne lieu à des mouvements de protestation qui dégénèrent parfois en émeutes.

Ce mois-ci c’est à Alger que la colère populaire a éclaté. Les 3 et 4 septembre des émeutes ont éclaté dans plusieurs quartiers de la capitale après l’annonce du relogement de plus de 3000 familles, dans des conditions jugées inacceptables par les intéressés. Le 5 septembre un autre quartier d’Alger (Cité Baraki) s’est enflammé à la suite d’une rumeur faisant état du gel du relogement par le ministre de l’Habitat et le wali d’Alger. Une trentaine de personnes, dont une dizaine de policiers, ont été blessées et le siège du commissariat de Baraki a été attaqué, lors de ces 3 jours de révolte. Enfin, le 21 septembre, des centaines de jeunes du quartier « Climat de France » ont tenté de s’opposer aux bulldozers venus détruire quelques 200 habitations illicites dans cette cité populaire. Au moins 3 véhicules légers et un camion de la police ont été incendiés. Selon des sources hospitalières, ces affrontements ont causé une cinquantaine de blessés.

Emeutes de l’électricité, de l’eau….des ordures

Les émeutes suscitées par les coupures d’eau et d’électricité qui rythment la vie des algériens des quartiers pauvres et des campagnes se poursuivent quotidiennement. Les habitants exaspérés par ces coupures sortent massivement dans les rues dans lesquelles ils dressent des barricades et font brûler des pneus, jusqu’à l’arrivée des forces anti-émeutes et l’affrontement jet de pierres contre gaz lacrymogènes. Le 4 septembre, par exemple, ce scénario s’est répété une fois de plus à Skikda, après des coupures d’électricité en pleine nuit. Les conflits des ordures commencent aussi à se multiplier. Fin aout, les habitants de plusieurs villages prés de Bordj Ménaïel (Kabylie) s’étaient soulevés contre la réouverture d’une décharge publique qu’ils avaient fermé eux-mêmes des mois auparavant car ils n’en supportaient plus la fumée et les odeurs nauséabondes. Le 8 septembre une tentative de déplacer cette décharge vers un autre village a provoqué une réaction très violente de la part des habitants concernés : la presse fait état de 25 blessés parmi les gendarmes. La question du traitement des ordures ménagères est une des plus préoccupantes qui soient en Algérie et on ne compte plus le nombre de décharges, sauvages ou pas, qui pourrissent la vie quotidienne des algériens et menacent leur santé.

Attentats et bavures

Un hélicoptère militaire stationné sur le tarmac de l’aéroport Ferhat Abbas de Jijel (350 km à l’est d’Alger) a été visé dans la nuit du 24 septembre par une attaque au lance-roquettes. Cette attaque dans une zone caractérisée par une forte présence des forces de sécurité confirmerait l’arrivée d’armes et de munitions de Libye. Par ailleurs, l’insécurité continue sur le terrain. Ainsi, deux personnes ont été enlevées le 23 septembre par un groupe islamiste armé (une quarantaine d’hommes) après une attaque menée dans un bar servant illégalement de l’alcool à la sortie de la ville de Mechtras, à 35 km au sud de Tizi Ouzou. De tels enlèvements, et le racket, sont fréquents dans la région où les faux barrages sont devenus monnaie courante. Les otages sont en général libérés contre rançon ou parfois, sous la pression de la population, sans qu’aucune rançon ne soit payée. La population, quant à elle, tourmentée par la menace des actes terroristes et des kidnappings, doit désormais composer avec le danger mortel de se retrouver au mauvais endroit, au mauvais moment, et pas seulement à cause des terroristes. A Fréha (30 km à l’est de Tizi Ouzou) une femme, âgée de 55 ans a été mitraillée par un militaire de garde, dans la nuit du 11 septembre alors qu’elle revenait d’une veillée funèbre en passant près de la caserne de l’ANP. Des jeunes ont attaqué la caserne avec des pierres après l’enterrement de la victime et une grève générale a été décrétée deux jours plus tard, le temps d’une manifestation pacifique réclamant la délocalisation de la caserne. Pour rappel, le 23 juin (cf. Echos de juin 2011), une bavure militaire avait coûté la vie à un ouvrier journalier dans la même région.

La « tripartite », une négociation sociale au plus haut niveau

La contestation sociale était jusque là plutôt circonscrite au secteur de la Fonction publique (enseignement et collectivités locales). Concessions salariales et répression sont habilement opposées aux revendications. Ainsi, la garde communale très revendicatrice depuis janvier, est placée désormais sous la tutelle du ministère de la Défense nationale, ce qui interdit à ses agents : les grèves, les rassemblements non réglementaires ainsi que l’adhésion à des associations à caractère politique, syndical ou professionnel.

Mais les conflits gagnent maintenant tout le secteur économique. Hôtellerie, port, santé, transports et secteur industriel menacent, eux aussi, de débrayer dans les semaines qui viennent. C’est dans ce contexte de tensions sociales que s’est tenu le 29 septembre une négociation tripartite entre le gouvernement, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) et le patronat. Les syndicats autonomes, qui représentent plus de 1,8 million de travailleurs algériens ont été exclus de la négociation. Sans surprise, le patronat et le gouvernement se sont félicités des résultats de cette négociation tandis l’opposition la qualifiait de leurre et réaffirmait que les véritables réformes passaient avant tout par la révision de la Constitution à travers une Assemblée constituante puis l’adoption de la constitution et enfin la définition du régime politique avec la tenue d’élections législatives anticipées.

Des relations très tendues avec la rébellion lybienne

Dans les tous derniers jours du mois d’août, l’Algérie ferme sa frontière avec la Lybie et accueille l’épouse du dirigeant libyen et de trois de ses enfants. Cette dernière initiative, présentée comme un geste humanitaire par les algériens, a été dénoncée comme un acte de provocation par le CNT qui exigeait la remise immédiate des membres de la famille Kadhafi pour les juger (les lybiens continuent de soupçonner l’Algérie d’héberger aussi Kadhafi lui-même).

Dés le début de l’insurrection lybienne les relations de l’Algérie avec la rébellion ont été très tendues. Dés les premières semaines du conflit, le CNT accusait l’Algérie d’aider Kadhafi en envoyant des mercenaires épauler le régime en place ou d’affréter des avions pour transporter des troupes sur le sol libyen. Très tôt également, après l’insurrection tunisienne, le pouvoir algérien a senti que sur les frontières Est du pays la vague « révolutionnaire » menaçait de déferler. Pour s’en protéger et justifier leur hostilité aux insurgés lybiens, les autorités algériennes ont accusé le CNT d’armer les islamistes à la frontière entre les deux pays et d’avoir fait intervenir l’OTAN dans une zone où toute ingérence occidentale risquait de mettre en péril la stabilité toute relative au Sahel. En fait, ce que l’Algérie voyait disparaître en même temps que Kadhafi, c’était un partenaire géostratégique avec lequel elle partageait une solidarité à tout épreuve au sein de l’Union africaine ; ainsi qu’un partenaire économique de premier plan dans l’exploitation et le commerce des hydrocarbures sahariens.

Pendant que le CNT annonçait une rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, l’Algérie restait un des derniers pays à ne pas reconnaître les nouveaux maîtres de Tripoli. Mais le 20 septembre, l’Union africaine reconnaissait le CNT contre la volonté des algériens. Dans les jours qui ont suivi, les autorités algériennes ont amorcé un rapprochement avec Tripoli.