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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Archives du tag : Résistance et droits de l’homme en Algérie

Grèves de la faim, immolations : les gestes du désespoir. 7 mai 2013

Emeutes du logement et de l’emploi, répression des manifestants, le cycle des relations de violence entre l’état et les citoyens se poursuit inexorablement sans que rien ne change fondamentalement dans la société algérienne. Devant les injustices, les humiliations et le mépris dont ils sont victimes les algériens les plus démunis retournent la violence contre eux et mettent leur vie en jeu. Jusqu’où iront-ils ? Qui les écoute ? Quelle crédibilité auront les partis politiques qui vont bientôt prétendre à la succession de Bouteflika ?

Emeutes et résistances

Emeutes du chômage dans les wilayas du sud

Le taux de chômage indiqué par le FMI pur l’Algérie avoisine les 10%, mais il est donné en fonction de la méthode de calcul proprement algérienne et sur la base des données fournies par le gouvernement. Estimé par des économistes algériens appliquant des normes de calcul internationales le taux réel serait situé entre 23 et 30% de la population active.

Alors que le 12 mars, 4 chômeurs ont été condamnés par le Tribunal de Laghouat à 2 mois de prison, et que 15 autres attendaient d’être déférés devant le tribunal de Ouargla, les émeutes du chômage dans les wilayas du sud n’ont pas cessé. Le 14 mars, à Ouargla, une marche organisée par le Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) a rassemblé plusieurs milliers de manifestants venus de toute la région pour protester contre les discriminations et les injustices dont sont victimes les populations du sud. Pour calmer le jeu, le gouvernement a annoncé des mesures favorables aux chômeurs, mais ces derniers n’en voyant pas les conséquences concrètes, la tension n’est pas retombée ; les jeunes ont continué de se rassembler par centaines dans toutes les localités de la région. L’axe routier Ouargla-Ghardaïa a été bloqué pendant plusieurs jours jusqu’au 24 mars où la gendarmerie nationale est intervenue, a arrêté une dizaine de manifestants, et les a tabassés avant de les relâcher. Le 26 mars, à Ghardaïa, une vingtaine de militants de la LAADDH rejoints par des chômeurs ont manifesté lors du défilé d’ouverture de la fête annuelle du tapis la jugeant trop coûteuse au regard des difficultés économiques que connaît la ville (environ 1,9 million d’euros pris sur les impôts locaux). La suite est racontée par une des manifestants « À peine dix minutes après le début de la manifestation, la police a commencé à charger et ça a dérapé : les policiers ont utilisé des gaz lacrymogènes, ont tiré avec des balles en caoutchouc et j’ai même retrouvé la douille d’une vraie balle – qui n’a heureusement touché personne. Nous avons dû utiliser les chaises disposées pour l’ouverture de la fête pour nous défendre. Il y a eu des blessés, avec des hématomes au niveau des yeux et du front. On les a soignés nous-mêmes, car s’ils s’étaient rendus à l’hôpital, ils auraient été très certainement cueillis par la police. D’autres manifestants ont été embarqués, dont le président de notre section de la LAADDH, nous sommes sans nouvelles d’eux depuis. Une commission doit se tenir et décider de leur sort. S’ils ne sont pas libérés, nous retournerons manifester ».

Emeutes du logement

Dans la même région des wilayas du sud, les émeutes du logement se sont ajoutées à celles du chômage, notamment à Ouargla. Suite à la publication d’une liste d’attribution de logements sociaux, des dizaines de citoyens exclus de la liste, et dénonçant la présence sur cette liste de « nombreux bénéficiaires indus » ont investi le centre de la ville le 10 avril. Les manifestants ont brûlé des dizaines de véhicules de particuliers et saccagé une agence de téléphonie (Mobilis), le siège de la CNEP-banque, la fourrière communale, l’unité de la SNTA et une aile de la daïra (sous-préfecture) de Ouargla. Les brigades de police anti-émeutes sont intervenues en usant de bombes lacrymogènes auxquelles les groupes de jeunes en colère répondaient par des jets de pierres et de cocktails Molotov. Les affrontements se sont poursuivis pendant plusieurs jours faisant un grand nombre de blessés de part et d’autre et laissant la ville dans un état “apocalyptique” d’après la presse. « Ouargla brûle » titrait le 12 avril un quotidien national d’information. Des scénarios identiques se sont déroulés le 14 avril dans la commune d’El Maqaria (banlieue d’Alger) et le 25 avril à Aïn Kercha (Est algérien) où le siège de la daïra (sous-préfecture) a été incendié.

Grèves de la faim

Une autre forme de protestation et de pression sur les autorités en matière de logement se déroule actuellement à Ksar el Boukhari (150 km au sud d’Alger, wilaya de Médéa) : 15 femmes et 10 hommes en attente d’un logement décent pour leurs familles depuis des années ont commencé une grève de la faim le 13 avril. Le 21 avril, alors que trois d’entre eux avaient déjà été hospitalisés dans un état critique, aucune autorité n’avait accepté de les recevoir. Ils ont, ce jour rendu publique la déclaration suivante.

« Nous grévistes de la faim à Ksar El Boukhari tenons à préciser ce qui suit :

· En ce Dimanche 21 avril 2013 nous renouvelons notre action, à savoir la grève de la faim et l’occupation du Palais de la daïra.

· Le Jeudi 18 avril suite à la rencontre avec le président de l’Assemblée Populaire de la Wilaya nous fut promis un rendez vous avec le Wali ce dimanche 21 avril. Concernant ce rendez vous nous tenons à préciser que nous n’attendons pas du Wali l’ouverture d’un dialogue sans fin mais l’apposition de son cachet à une liste de logements attribuable aux familles grévistes.

· Il nous fut signifié hier que le rendez vous avec le Wali était reporté. Face au désir des autorités de laisser trainer les choses, face à leur manquement à leur engagement, nous grévistes de la faim reprenons notre action. Nous sommes prêts à aller jusqu’au bout pour que soit appliqué notre droit légitime et international à un logement digne. Les autorités porteront la responsabilité de toute crise sanitaire et de mise en danger de la vie des grévistes ».

Depuis, pas de nouvelles…

Le suicide comme moyen de lutte

Le 2 février 2012, Le Monde, reprenant un article d’El Watan, titrait « Recrudescence de suicides en Algérie…le nombre de jeunes Algériens tentant de s’immoler prend des proportions tout à fait inquiétantes ». Un an plus tard, on peut dire que le phénomène s’est accentué et que sa signification sociale est désormais évidente : l’Algérie est frappée par une vague de menaces ou de tentatives de suicide individuels mais aussi collectifs de la part de personnes désespérées par leur condition sociale et l’absence de réponses des services des collectivités publiques.

Le 24 mars, des enseignants contractuels manifestant devant le palais présidentiel d’El Mouradia menacent (par la voix de la présidente de leur association nationale) de mettre fin à leurs jours collectivement en réponse à la passivité des autorités compétentes concernant leur demande d’intégration.

Le 28 mars à Guelma un garde communal qui souhaitait rencontrer le maire au sujet du traitement de sa demande de logement social déposée depuis des années, se voit refuser tout rendez-vous. Il s’enferme avec sa femme et ses trois enfants dans le studio leur servant de logement, il ouvre le gaz et met le feu au local. Retirées des flammes par des agents de la Protection civile, les cinq personnes ont dû être hospitalisées.

Le 28 mars encore, un homme de 29 ans s’est aspergé d’essence et a allumé son briquet devant le siège de la sûreté de daïra de Kherrata (60 km à l’est de Bejaïa). Des passants et des policiers sont intervenus pour éteindre les flammes. La victime a été évacuée vers l’hôpital de Kherrata, puis transférée au CHU de Bejaïa.

Le 28 mars, toujours, devant l’entrée de la base pétrolière de Skikda, un homme de 30 ans a menacé de s’immoler par le feu après avoir aspergé son corps de trois bouteilles d’essence. Il protestait contre le fait d’avoir été écarté des recrutements. Les services de sécurité ont réussi à l’empêcher de mettre le feu à ses vêtements.

Le 31 mars, des chômeurs de la commune de Sidi Amar (wilaya de Annaba), ont menacé de s’immoler par le feu, des briquets et des bidons d’essence à la main. « Nous demandons du travail et un salaire pour survivre. Nous n’exigeons pas grand-chose. Même un contrat à durée déterminée, nous l’acceptons car nous touchons le fond. Nous n’avons plus de quoi subvenir à nos besoins et manger à notre faim. Nous vivons la misère absolue et nos responsables locaux feignent de ne rien savoir ».

Le 14 avril, cinq travailleurs communaux de Khenchela (dans les Aurès) qui n’ont pas perçu de salaire depuis cinq mois, ont essayé de se donner la mort sur leur lieu de travail. Ils ont escaladé l’enceinte de l’Assemblée populaire communale, menacé de se jeter du haut de l’édifice avant de s’asperger d’essence et d’allumer un briquet.

Le 28 avril, à Alger, lors d’une manifestation d’anciens détenus politiques venus réclamer les indemnités prévues par la loi d’amnistie un des manifestants a tenté de s’immoler alors que deux autres se sont tailladé les veines ; les trois blessés ont dû être hospitalisés d’urgence.

Droits de l’homme

Des rapports internationaux accablants

Manque de transparence dans la passation des marchés publics, justice sous ordre et gangrenée par la corruption, impunité des services de sécurité et des parlementaires, restrictions des libertés individuelles et atteintes à la liberté de la presse : dans son nouveau rapport sur l’état des droits de l’Homme dans le monde, publié le 19 avril, le Département d’Etat américain n’épargne pas l’Algérie. Les USA avaient pourtant en 2012 donné des signes évidents de complaisance et d’indulgence à l’égard du pouvoir algérien en matière de gouvernance et de droits humains. Duplicité ou changement d’attitude ?

Début avril paraissait le rapport 2013 du Bureau international du travail (BIT). Selon le résumé qu’en donne le président du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap) « L’Algérie est citée avec une vingtaine d’autres pays qui ne respectent par la législation en vigueur concernant la liberté d’appartenance syndicale. Le gouvernement algérien est destinataire aussi de remarques concernant les inégalités salariales entre les hommes et les femmes dans les secteurs privé et public et est invité à renforcer sa législation en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et la refonte du code du travail ».

Nouveaux cas de disparition forcée

Le 25 mars, Mustapha Chouia a été enlevé à Msila (250 km au sud d’Alger) par des agents du DRS (Département du renseignement et de la sécurité) alors qu’il venait de quitter son lieu de travail. Des hommes des services de renseignement l’ont interpellé alors qu’il conduisait la voiture de son ami Abdallah Bouammar et ont pris possession du véhicule pour l’emmener vers une destination inconnue. Le lendemain, le propriétaire de la voiture a également été arrêté à son domicile par les mêmes agents. Depuis, leurs familles sont sans nouvelles des deux hommes et continuent à se heurter au silence des autorités qui nient leur détention. En 2009, Mustapha Chouia avait déjà été arrêté et détenu au secret par les services du DRS pendant plus d’un mois

Le 15 avril, Messaoud Boudene, jeune diplômé en ingénierie électronique âgé de 30 ans, a été enlevé par des agents du DRS près de Tahel (wilaya de Jijel dans l’est algérien). Ses voisins ont assisté à la scène : alors qu’il sortait de son domicile, trois voitures banalisées l’ont encerclé, des hommes en civil sont sortis de l’un des véhicules et ont forcé le jeune homme à monter à bord avant de démarrer vers une destination inconnue. A ce jour, on ignore toujours les raisons de l’enlèvement et le lieu de détention, mais le fait qu’il est aux mains des services de sécurité a été confirmé par la gendarmerie nationale. Il est plus que probable que Messaoud Boudene a été interpelé à cause de ses prises de position critiques vis-à-vis des autorités sur Facebook, d’autant plus que sa connexion Internet avait été coupée depuis plus d’un mois sans raison et que les services des PTT ont refusé de la rétablir sans donner de justification.

Depuis, pas de nouvelles…

Répression syndicale, guerre du Mali et crises des partis politiques 8 mars 2013

Le début de l’année 2013 est marqué par de fortes mobilisations sur le front du chômage, surtout dans le sud où la répression du mouvement syndical est particulièrement forte. La prise d’otages de Tiguentourine a fait monter d’un cran la tension dans les régions frontalières du Mali soumises à des menaces extérieures mais aussi à des conflits communautaires internes. Dans le même temps, les principaux partis politiques de l’alliance présidentielle ou de l’opposition, privés de leurs leaders charismatiques, se livrent à des guerres de succession destructrices

Émeutes

Émeutes du logement et du cadre de vie

Deux janvier : A Biskra (450km au sud-est d’Alger), la publication d’une liste de 522 bénéficiaires de logements sociaux (pour plus de 14.000 dossiers de demandes en attente) a provoqué l’occupation du siège de la sous-préfecture (daïra) par des centaines de protestataires contestant les critères d’attribution. L’émeute s’est propagée aux autres administrations dont l’accès était bloqué par des troncs d’arbre et des pneus enflammés. Au moins 7 blessés parmi les forces de l’ordre et plusieurs dizaines d’arrestations de manifestants.

Le même jour, le même scénario s’est déroulé à Khenchela (Aurès), à Skikda, à Constantine… Dans deux villages de la région de Skikda, les tensions ont duré plusieurs jours ; à Tamalous les exclus du relogement sont passés à une attaque en règle contre la résidence du Chef de Daïra (sous-préfet) qui a dû fuir avec sa famille pour échapper à un lynchage.

Dans la première semaine de janvier c’est la région de Mostaganem qui a connu des journées d’émeutes pour des problèmes de relogement (comme à Hadjadj, bourgade qui s’est barricadée pendant plusieurs jours) et des problèmes d’aménagement public (comme à Rehailia douar aux rues non bitumée et non éclairées, sans centre de santé etc…)

Le 12 janvier, près d’une vingtaine de blessés ont été enregistrés parmi des jeunes qui sont sortis dans la matinée protester contre la dégradation de leur cadre de vie à Boudouaou El Bahri (wilaya de Boumerdès). Le pire est que la plupart de ces blessés ont été victimes de l’affrontement entre manifestants, certains réclamant le revêtement des routes et d’autres le raccordement au réseau du gaz de ville !

Emeutes du chômage

Les chômeurs de Ouargla (900 km au s-e d’Alger) organisent presque chaque semaine des manifestations pour revendiquer leur droit au travail dans les nombreuses entreprises pétrolières du pays. Le 2 janvier, pendant toute la journée des centaines d’entre eux ont occupé le centre de la ville et se sont affrontés aux forces de l’ordre (en 2011 pareilles émeutes avaient failli embraser tout le sud Algérien). La manifestation était encadrée par le Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC). Tahar Belabbes, coordinateur du CNDDC a été arrêté par la police avec d’autres manifestants. Après plus de quatre jours d’emprisonnement, les chômeurs de Ouargla ont été relâchés après leur présentation devant le procureur de la République. Le 3 février Tahar Belabbes a été condamné à un mois de prison ferme et 50 000 DA d’amende par le tribunal de Ouargla. Amnesty International a dénoncé ces arrestations. Le 24 février plusieurs milliers de chômeurs de Ouargla ont entrepris une marche vers Hassi Messaoud qui a été bloquée par la police au bout de 20 km. Une grande marche est annoncée à Ouargla pour le 14 mars.

Du 20 au 22 février la tension a été extrême à Laghouat (400 km au sud d’Alger), à la suite de l’arrestation de jeunes chômeurs qui faisaient un sit-in devant le bureau de la main-d’œuvre. La réaction d’autres chômeurs ne s’est pas fait attendre et les heurts se sont soldés par l’arrestation de 18 jeunes et l’hospitalisation de 13 blessés. Certains blessés parmi les émeutiers ont refusé d’êtres transférés à l’hôpital par crainte d’être fichés par les services de sécurité. Le 22 un important rassemblement devant le palais de justice, conduit en particulier par la LADDH a réclamé la libération des 18 militants et chômeurs qui ont été présentés la veille devant le procureur de la République. Au même moment, les échauffourées se poursuivaient dans la ville.

Le 19 février dans la zone industrielle de Fornaka (Mostaganem), très violente confrontation entre des jeunes chômeurs et les forces anti-émeutes, accompagnée de barrages et de saccages d’équipements publics. Seize manifestants ont été arrêtés et déférés en justice.

Affrontements communautaires

Ghardaïa (600km au sud d’Alger) est la capitale du M’zab, région berbérophone jalouse de son identité. Autour du 25 janvier, pendant plusieurs jours, des affrontements ont eu lieu entre les Mozabites (berbérophones) et les Chambis (arabophones). Ces tensions sont chroniques (elles avaient fait 2 morts en février 2009) ; cette fois, les affrontements ont éclaté suite à la construction par un membre de la communauté arabophone d’un mur de clôture sur un terrain situé à proximité d’un cimetière mozabite. Les agressions sporadiques entre membres des deux se sont multipliées, dans les rues et au lycée, causant de nombreux blessés ; des maisons ont été incendiées. Un mois plus tard, le 23 février, nouveaux affrontements, à la suite d’une agression de jeunes mozabites travaillant dans les champs, par plusieurs dizaines de jeunes Chambis venus à bord de camions pour les provoquer. Les militants locaux de la Laddh s’efforcent de jouer les médiateurs.

Attaques terroristes

La plus spectaculaire et dramatique est évidemment celle du site pétrolier de Tiguentourine survenue le 16 janvier à 40 kilomètres d’In Anemas, près de la frontière avec la Libye (1500 km au sud-est d’Alger). Une trentaine d’hommes (dont 11 tunisiens) ont investi la base et finalement gardé en otages plusieurs dizaines d’expatriés travaillant sur le site (Américains, Français, Britanniques, Japonais, Norvégiens, Philippins et Irlandais). L’assaut final donné par l’armée algérienne s’est soldé par la mort de 29 djihadistes, 37 otages étrangers et 1 otage algérien (voir Eclairage N°15). L’initiateur de ce raid, Mokhtar Belmokhtar, l’a revendiqué au nom d’Al-Qaida en déclarant qu’il visait le régime algérien « pour avoir permis au colonisateur d’hier d’utiliser son sol et son espace aérien pour tuer les nôtres au Mali ». Cette explication est discutable étant donné qu’il a fallu certainement plusieurs semaines au commando pour mettre sur pied l’attaque et pour arriver sur site. Les observateurs ont noté la méthode expéditive utilisée par les forces algériennes au mépris de la vie des otages ; ils ont aussi noté qu’il a fallu attendre un mois avant que le Président Bouteflika fasse allusion à cet événement dans une déclaration publique. L’armée est bien encore le premier pouvoir en Algérie.

Le 6 février au soir, une cinquantaine d’hommes lourdement armés (lance-roquettes antichars) ont attaqué la caserne de Khenchela (540 km au sud-est d’Alger). A l’issue d’un assaut qui a duré trois heures, la garnison a été dégagée grâce à l’intervention de d’avions de chasse et de tirs d’artillerie. Les assaillants (qui ont eu des tués) seraient des algériens, des tunisiens et des lybiens.

On aura noté que sous des formes et pour des motifs divers (émeutes, attentats), les régions du sud du pays, aux portes (Biskra, Laghouat, Ouargla, Ghardaïa, Hassi-Messaoud) ou au cœur du Sahara (Tiguentourine), sont sujettes à une agitation qu’on observait plutôt dans les banlieues surpeuplées du nord ou en Kabylie. Le sud algérien est devenu une région hautement sensible. C’est l’objet de l’Éclairage (n°15) de ce mois-ci.

Liberté d’expression, libertés syndicales

Nasreddine Rarrbo, est un militant de 25 ans, membre du Mouvement des Jeunes du 8 mai 1945, un groupe qui dénonce la corruption et appelle à l’instauration de la démocratie par des moyens pacifiques en Algérie. Son activité politique sur facebook lui a valu d’être arrêté le 5 février à Larbaa (Blida) par des agents des services de sécurité algériens et torturé pendant deux jours au commissariat de police avant d’être inculpé de « troubles à l’ordre public » et d’ « outrage à corps constitués » . Son cas a été soumis au Rapporteur spécial sur la torture des Nations unies et au Rapporteur spécial sur la liberté d’expression.

Mais les atteintes aux droits de l’homme en ce début d’année 2013 ont surtout concerné les chômeurs (notamment à Ouargla, cf. ci-dessus) et ceux qui les défendent, les militants syndicaux.

Le 18 février, une dizaine de syndicalistes membres de plusieurs syndicats autonomes ont été arrêtés à Alger alors qu’ils tentaient d’organiser un sit-in devant le ministère du Travail pour protester contre la non délivrance du récépissé d’enregistrement de leurs organisations pourtant actives sur le terrain depuis des années. « Les arrestations ont été très musclées. Des dizaines de camions de police ont été stationnés devant le ministère du Travail. Des policiers ont contrôlé les papiers de tous les passants et dés qu’ils s’apercevaient qu’une personne n’habitait pas à Alger, ils l’embarquaient. » Le secrétaire national aux mouvements sociaux du FFS, Youcef Aouchiche a été également embarqué par la police.

La répression antisyndicale a pris un tour particulièrement radical à l’occasion du 1er forum maghrébin pour la lutte contre le chômage et le travail précaire. Cette conférence a été empêchée dans des conditions que rapporte l’extrait suivant du communiqué du Collectif Vérité et Justice pour l’Algérie.

« Mercredi 20 février 2013 à 9h du matin, 11 chômeurs, de nationalité tunisienne, marocaine et mauritanienne, venus assister au premier forum des chômeurs et des travailleurs précaires, initié par le SNAPAP (Syndicat National Autonome de l’Administration Publique), se sont vu arrêtés à leur hôtel à Alger et reconduits à la frontière comme de vulgaires délinquants après avoir passer la journée au commissariat de Bab Ezzouar. Le siège du SNAPAP à Alger a été également encerclé pour empêcher toute participation à la rencontre. Deux des organisateurs algériens ont été arrêtés et ont passés la journée au commissariat avant d’être relâchés en fin d’après midi. Dans une déclaration rendue publique le 21 février, la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme dénonce « cette tentative de réprimer une réunion pacifique portant sur le droit au travail et appellent les autorités algériennes à mettre un terme aux violations des libertés de réunion, d’association, d’expression ainsi qu’aux libertés syndicales dont sont victimes les défenseurs des droits de l’Homme en Algérie ».

Les partis politiques en crise de renouvellement

A un an d’une élection présidentielle évidemment cruciale, le tissu des partis politiques se déchire de toute part.

Au FLN. La destitution d’Abdelaziz Belkhadem secrétaire général du FLN le 31 janvier a révélé la profonde division interne du parti : le vote de défiance du Comité central s’est joué à 4 voix (160 contre 156). Ses adversaires lui reprochaient d’avoir utilisé « les institutions de l’État pour assouvir ses ambitions personnelles », une accusation assez cocasse en Algérie. Un successeur consensuel provisoire (jusqu’à la tenue du 10ème congrès ordinaire prévu au second semestre 2013) avait été trouvé en la personne d’Abderrazak Bouhara. Malheureusement, le nouveau secrétaire général, âgé de 79 ans, est décédé dix jours plus tard emporté par une crise cardiaque. A défaut de pouvoir trouver un nouveau personnage qui fasse consensus, le parti envisage de faire voter ses militants : 8 candidats dont deux femmes se sont d’ores et déjà déclaré.

Au RND. A la tête du Rassemblement national démocratique (2ème parti de l’Alliance présidentielle) depuis 1999, l’ancien Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, a démissionné de ses fonctions le 3 janvier. Depuis juin 2012 un mouvement de “redresseurs” s’opposait au secrétaire général, mais sa démission peut aussi être vue comme le signe d’une course à la présidentielle de 2014. Jusqu’au mois de mai quand se déroulera le prochain congrès du parti, c’est Abdelkader Bensalah, actuel Président du Conseil de la nation qui assure l’intérim.

Au FFS. Hocine Aït Ahmed (86 ans), créateur et leader historique du Front des forces socialistes a annoncé sa décision de quitter la présidence du parti le 21 décembre 2012. Le premier secrétaire national du FFS depuis 2011, Ali Laskri doit faire face à des démissions de plusieurs dizaines de militants ; il prépare le 5ème congrès du FFS qui se tiendra avant juin prochain à Alger et qui devra procéder à l’élection du nouveau président du parti.

Au RCD. Après 23 ans à la tête de ce parti d’opposition en Algérie, Saïd Saadi, démissionnaire, a été remplacé par Mohsen Belabbas en mars 2012 lors du quatrième congrès du parti. Des cadres et militants du RCD ont dénoncé, le 9 février dernier « les dérives » de l’actuel président du parti qu’ils accusent notamment de vouloir soutenir le président Abdelaziz Bouteflika pour un 4e mandat ; ils exigent le retour de Saïd Sadi.

Une page se tourne donc, les crises de “redressement” suscitées par ces changements laissant craindre, malheureusement, que les guerres de clans et de factions, principales sources du renouvellement du personnel politique algérien ne permettent pas vraiment à des visions d’avenir ambitieuses et rénovatrices de voir le jour.

Nord-sud : nouvel axe géopolitique de l’Algérie? 8 mars 2013

Jusqu’à 1957, l’Algérie désigne une bande littorale de 1200 km de long et de moins de 200 km de large. Le sud, aujourd’hui partie intégrante de l’état nation algérien, représente plus de 80% de son territoire et recèle les ressources naturelles qui font sa richesse. Un sud déstabilisé par de nombreuses tensions, crise sociale, conflits ethniques, guerre du Sahel qui annoncent peut-être un basculement de la géopolitique intérieure de l’Algérie de l’axe est-ouest vers un axe nord-sud.

« Cette petite portion au bord de la mer qui se prend pour le centre du monde, qui ne parle que d’elle-même, qui agit au nom de tous et qui résume l’histoire nationale à ses frasques et vanités et qui s’appelle le nord algérien. » Sonia Lyes, TSA, 24 février 2013

Un peu de géographie, un peu d’histoire.

Schématiquement, on peut découper l’Algérie en trois zones géographiques se succédant du nord au sud. Au nord le Tell, riverain de la Méditerranée, large au maximum de 200 km et où vit 90% de la population. Puis, en descendant vers le sud, l’ensemble de montagnes, plaines et hauts plateaux formé par l’Atlas tellien et l’Atlas saharien, profond d’environ 300 km, borné par les oasis des “portes du désert”. Et enfin le Sahara qui occupe plus de 80 % du pays et qui s’enfonce jusqu’à plus de 2000 km du littoral.

Le Tell, au nord, est le théâtre de l’histoire algérienne depuis l’antiquité ; les invasions, la colonisation, la guerre d’indépendance, les rivalités régionales anciennes ou actuelles, se sont déployés dans cette région, selon un axe est-ouest qui structure la géopolitique intérieure de l’Algérie.

Un peu d’histoire maintenant, forcément schématique elle aussi, pour rappeler une chose : jusqu’en 1957 le Sahara ne faisait pas partie, administrativement, de l’Algérie française et il a failli ne pas faire partie de l’Algérie algérienne en 1962. En fait, entre 1848 et le milieu des années 1950, le Sahara avait un statut administratif de territoire qui n’en faisait pas une partie de la France alors que la région du nord était découpée en départements ayant le statut de départements français (par exemple, le département d’Oran portait le n° 92 en continuité avec la numérotation des départements de métropole). Au milieu des années 50 deux faits se sont conjugués pour remettre en cause cette partition et le statut particulier des territoires du sud. En février 1956, le pétrole a jailli à Edjeleh, non loin de la frontière libyenne et 6 mois plus tard à Hassi Messaoud ; au même moment on découvrait du gaz naturel à Hassi R’mel. Or la découverte et l’exploitation des richesses du sous-sol saharien a correspondu exactement avec (deuxième fait) le début de la lutte politique et militaire organisée pour l’indépendance de l’Algérie. Cette co-occurrence a suscité la crainte de la France que l’indépendance de l’Algérie entraîne la perte du Sahara, de ses richesses colossales ainsi que de ses bases d’expérimentation nucléaire. D’où la création en 1957 des « départements français du Sahara » (la France renforce sa tutelle sur le Sahara) puis le refus quelques temps plus tard de négocier leur inclusion au sein d’une future Algérie indépendante (projet d’une indépendance accordée aux départements français d’Algérie, pas aux départements français du Sahara). Ce n’est que lorsque de Gaulle a compris, en septembre 1961, que les négociations n’aboutiraient pas si le Sahara ne faisait pas partie intégrante de l’Algérie indépendante, que les négociations d’Évian ont pu aller à leur terme. On voit que l’unité nationale de l’Algérie, des rives de la Méditerranée aux rives de l’ « Afrique noire », est un fait très récent, consacré par l’indépendance algérienne.

Aujourd’hui, les régions pré-saharienne et saharienne, vastes tâches blanches sur les atlas de géographie, et aussi sur la carte mentale de la plupart des algériens, font irruption dans l’actualité de plusieurs façons : crise sociale, conflits ethniques, guerre du Sahel. L’instabilité créée par ces secousses annonce peut-être un basculement de la géopolitique intérieure de l’Algérie de l’axe est-ouest vers un axe nord-sud.

La richesse de l’Algérie vient du sud, mais elle profite surtout au nord

Chômage, exclusion sociale, misère, manque d’infrastructures, bureaucratie chronique, passe-droits, problèmes de sécurité…plus qu’au nord encore, cette situation génère dans les populations du sud le sentiment d’être marginalisées et condamnées au sous- développement. Peu nombreuses, ces populations ont un faible poids électoral ; ce que l’état ne fait pas au bénéfice du peuple algérien des villes du nord, il met encore moins de zèle à le réaliser dans les provinces du sud. A ce sentiment d’abandon s’ajoute l’expérience d’un chômage dramatique, d’autant plus dur à accepter que cette région est une des plus riches au monde en hydrocarbures et en minerais. A titre d’exemple, près de 1000 sociétés nationales et multinationales sont en activité dans la zone de Hassi Messaoud où règne un chômage endémique ; des milliers d’emplois existent mais qui profitent peu aux populations autochtones. Les émeutes du chômage se sont multipliées ces derniers mois à Hassi Messaoud, Ouargla, Laghouat…jetant dans la rue des manifestants accusant les entreprises de donner les emplois à ceux du nord : algérois, oranais, constantinois. Le mécanisme est simple, l’Institut algérien du pétrole a trois écoles de formation l’une à Boumerdès, l’autre à Oran et la dernière à Skikda, trois villes du littoral méditerranéen ; c’est donc dans le nord que sont formés et recrutés les cadres et techniciens qui viendront travailler dans le sud. Le sud est géré comme une colonie d’exploitation par le nord.

Conduits par le Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC), les manifestants du sud ne se contentent plus de vaines promesses, ils veulent du concret : un programme de développement ciblé mettant en avant les spécificités climatiques, géographiques et culturelles du Sahara, un plan de valorisation des ressources humaines de la région tant dans la Fonction publique qu’au niveau de l’industrie pétrolière, une prise en charge effective et une mise à jour des lois régissant l’emploi, la sous-traitance ainsi que l’affectation du personnel des instances de l’emploi ayant fait preuve de mauvaise gestion et de corruption. Ces revendications sont portées par des militants responsables et organisés. Les travailleurs de l’éducation, de la santé, de l’enseignement supérieur et des collectivités locales ont rejoint le mouvement de protestation. Ils réclament des primes spéciales et des indemnités pour régler le problème des inégalités sociales majeures existant entre le nord et le sud. Le sud se politise.

Dans le même temps, l’énorme frustration engendrée par cette situation précipite une partie de la jeunesse privée d’emploi et sans ressources dans les filets de plusieurs types de réseaux qui prospèrent sur ce terreau et qui sont le plus souvent interconnectés, en particulier les réseaux de la contrebande (carburants, cigarettes, drogue, voitures, armes…) et de la délinquance qui lui est associée.

Confronté à ces revendications sociales lors de son déplacement le 24 février à Illizi (près du site gazier de Teguentourine attaqué le 16 janvier) le Premier ministre Abdelmalek Sellal a avancé la thèse du complot en révélant l’existence d’un « groupuscule » qui vise à semer la division entre le nord et le sud du pays. Il n’a fourni aucune indication sur ce « groupuscule ». Mais, ce faisant, il soulevait deux questions bien présentes, elles, dans les esprits, la question du séparatisme et la question de l’insécurité extérieure, toutes deux réactivées par la guerre du Sahel.

La guerre du Sahel facteur de déstabilisation du sud algérien

Non seulement l’Algérie a plus de la moitié de son territoire immergé dans une zone de tensions religieuses, ethniques et criminelles explosives mais en plus, cette partie du sol national est son coffre fort, où sont entreposées ses principales sources de richesse. Or, avec ses deux phases successives, l’invasion du Nord Mali par Aqmi puis la reconquête par la Misma, la guerre du Mali a fait du sud algérien une région très exposée, menacée comme jamais sur le plan de sa sécurité du fait des risques de franchissement massif des frontières par les groupes armés djihadistes avec ou sans l’aide des touaregs. L’enjeu est de taille : garder au sud algérien le caractère de sanctuaire industriel qui est le sien depuis plus de cinquante ans pour le plus grand bénéfice de l’Algérie elle-même et des multinationales qui y sont installées. C’est un fait, pendant la guerre d’indépendance le FLN n’a jamais attaqué les installations pétrolières ; pendant la décennie noire les islamistes ne s’en sont pas approchés non plus ; et dans la dernière période, les narco-terroristes opérant dans la région n’ont surtout pas pris le risque de compromettre leur juteux commerce alors que depuis des années l’Algérie ferme les yeux sur leurs trafics de migrants clandestins, de cocaïne qui transite d’Amérique du Sud vers l’Afrique de l’Ouest puis à travers l’Algérie vers l’Europe, de pétrole qui descend vers le Sahel, de marchandises diverses et d’armes.

Le conflit malien risquant de rompre cet équilibre, l’Algérie s’est efforcée, dans un premier temps, de prévenir les risques de déstabilisation en prêchant et en pratiquant le dialogue et en faisant assaut de diplomatie. On lui a assez reproché son attentisme, son opposition à l’intervention militaire planifiée par les organisations internationales, et même ses efforts de conciliation. C’est ainsi qu’Alger a demandé à Bamako d’associer les Touaregs du nord dans le processus de négociations et de prendre en considération leurs revendications et, symétriquement, a obtenu de deux des groupes armés occupant le nord du Mali (Mnla et Ansar Eddine), l’engagement de cesser les hostilités et de négocier avec les autorités maliennes.

Mais à la mi-janvier l’Algérie entre ouvertement dans le conflit : le 13 janvier en ouvrant sans limite son espace aérien aux Rafale qui vont bombarder les positions d’Aqmi et du Mujao, et le 14 janvier en “fermant” sa frontière avec le Mali. La conséquence (les interprétations divergent sur cette causalité) est immédiate, le 16 janvier un commando fortement armé investit le site gazier de Teguentourine (wilaya de Illizi, près de la frontière lybienne) dans une opération organisée par le chef islamiste algérien Mokhtar Belmokhtar. C’est la première fois qu’un puits gazier ou pétrolier du sud algérien est attaqué avec succès. Les auteurs de l’attaque sont dirigés par les patrons d’al-Qaida au Maghreb islamique c’est-à-dire des Algériens, anciens membres du GIA (Groupe islamique armé) et du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat). La menace extérieure est sérieuse, et elle vient de terroristes qui ont aussi leurs partisans à l’intérieur du pays.

Rivalités ethniques et aspirations indépendantistes

Les deux sources d’instabilité signalées plus haut (les conflits sociaux et les menaces terroristes) en alimentent une troisième : la revendication identitaire.

Le discours autonomiste ou indépendantiste n’est pas absent des analyses et revendications des chômeurs de Ouargla ou de Hassi Messaoud. En fait, les velléités d’indépendance des populations du sud algérien ne sont pas nouvelles. Elles s’appuient, comme en Kabylie, sur des identités culturelles fortement ancrées et revendiquées, associées à une hostilité à l’égard du pouvoir de l’état centralisateur et répressif détenu par les arabes. D’un autre côté, la guerre au Mali commence à provoquer des tensions entre des tribus touaregs et arabes. Par exemple, à Bordj Badji Mokhtar, poste frontière algérien à la lisière du Mali, les Touaregs empêchent les membres des tribus arabes d’emprunter certaines routes situées sur leur territoire ; à l’origine de ce conflit, l’aide apportée par des chefs de tribus arabes aux forces françaises engagées dans des opérations militaires au Nord Mali et précisément dans les villes de Gao et Tombouctou, où des Touaregs ont été tués. Les Touaregs d’Algérie ne peuvent pas ignorer les liens qui les unissent aux Touaregs des autres pays sahariens, même si leurs leaders affichent une loyauté de façade à l’état-nation algérien auquel la colonisation les a intégrés. L’état algérien, qui en 1976 avait envoyé son armée contre le Maroc pour défendre le droit à l’autodétermination des sahraouis observe aujourd’hui avec inquiétude les velléités indépendantistes des populations du sud.

La synergie entre détresse sociale, tensions identitaires et risques terroristes dans le sud algérien fait de cette région un nouveau foyer d’insécurité et de menace sur l’unité nationale que l’état algérien pourrait avoir du mal à contrôler.

Lettre ouverte à M. le Président de la République française, à l’occasion de sa visite officielle en Algérie 2 janvier 2013

A l’occasion de la visite d’Etat de F. Hollande les 19 et 20 décembre en Algérie, plusieurs organisations de défense des Droits de l’Homme, françaises, algériennes et internationales ont attiré l’attention du président français sur la situation des Droits dans ce pays. Ils l’ont fait sous forme d’une lettre ouverte, intégralement reproduite dans cet Eclairage.

Lettre ouverte à M. le Président de la République française, à l’occasion de sa visite officielle en Algérie

Paris, le 17dé́cembre 2012

A l’attention de : M. François Hollande, Président de la République Française

Monsieur le Président de la République,

Vous vous apprêtez à effectuer une visite officielle en Algérie – visite qui a pour ambition de « rétablir une relation politique de confiance à la hauteur des ambitions de nos deux peuples et tournée vers l’avenir ». A cette occasion, nous, organisations signataires, souhaitons attirer votre attention sur les questions relatives aux droits de l’Homme, y compris les droits économiques, sociaux et culturels, et aux libertés fondamentales dans le cadre des relations entre la France et l’Algérie.

Nous tenons, tout d’abord, à saluer votre décision de reconnaître le massacre, le 17 octobre 1961, de manifestants algériens, en plein cœur de Paris. Cette décision, nous l’espérons, sera suivie d’une dénonciation du système colonial et des crimes qu’il a engendrés alors, afin de permettre notamment un travail de mémoire conjoint et apaisé sur l’Histoire commune, une plus grande capacité des nouvelles générations d’origine algérienne à assumer leur citoyenneté française ainsi que l’établissement de relations normalisées entre la France et l’Algérie. Nous sommes également convaincus que le droit de vote aux élections locales accordé aux étrangers établis en France, ce qui concerne donc les Algériens y vivant, devrait contribuer positivement à cette évolution.

Monsieur le Président, parmi les « 60 engagements » de votre projet présidentiel, vous vous promettez de « [développer] la relation de la France avec les pays de la rive sud de la Méditerranée sur la base d’un projet économique, démocratique et culturel […] en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité » . Cette visite officielle en est une première étape. Nos organisations croient que cette « relation de confiance » que vous souhaitez développer pendant votre présidence avec les autorités algériennes doit se faire au bénéfice de certains progrès en matière de droits de l’Homme et des libertés démocratiques, ainsi que de tous les acteurs de la société civile indépendante en Algérie.

Or, depuis l’annonce des réformes politiques en avril 2011, la répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des militants syndicaux n’a fait que s’amplifier en Algérie. En contradiction avec la Constitution du pays et les conventions internationales que l’Algérie a ratifiées, le harcèlement judiciaire à l’égard de défenseurs des droits de l’homme et de militants syndicaux, la répression policière, l’interdiction injustifiée de manifestations et réunions publiques, le recours à des pratiques administratives abusives entravant la création et le fonctionnement des associations et des syndicats autonomes élèvent des obstacles considérables à l’action de la société civile algérienne. Plusieurs lois promulguées en janvier 2012 et présentées comme des “réformes démocratiques” sont en réalité une régression des libertés publiques, en particulier la loi n° 12-06 qui rend plus difficile la création, le financement et le fonctionnement quotidien des associations et la loi n° 12-05 sur l’information qui entrave l’indépendance des journalistes et la liberté d’opinion et de publication. Par ailleurs, plusieurs demandes de création de nouveaux syndicats autonomes dans différents secteurs se heurtent à un refus d’enregistrement non motivé. De plus, l’impunité des auteurs de disparitions forcées et d’autres violations graves et massives des droits de l’Homme commises durant les années 90 reste toujours de mise, malgré les nombreuses condamnations formulées par différents organes du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies.

À l’occasion de votre visite, nos organisations vous demandent d’inclure en priorité, dans toute négociation avec les autorités algériennes, la question du respect et de l’application réelle des conventions internationales relatives aux droits de l’Homme ainsi que des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), ratifiées par l’Algérie. A cet égard, nous tenons également à vous faire part des obstacles à la délivrance de visas que nos organisations comme d’autres organisations internationales des droits de l’Homme ou syndicats étrangers rencontrent et qui ont pour effet d’entraver le travail sur le terrain avec les organisations algériennes. Nous croyons, par ailleurs, que la France serait mieux entendue si elle cessait de pratiquer une politique entravant la liberté de circulation des algériens à l’intérieur de ses frontières, comme dans les autres pays européens. Ces entraves qui touchent tous les secteurs de la population sont ressenties comme autant de manifestations de mépris. Enfin, nos organisations vous invitent, Monsieur le Président, à saisir l’occasion de votre visite pour rencontrer la société civile afin d’entendre l’intense aspiration démocratique des Algériennes et des Algériens. Nous espérons que celle-ci sera en outre l’occasion de mettre en place des mécanismes qui permettent de consulter et d’associer la société civile indépendante des deux pays au renouveau de la coopération entre la France et l’Algérie.

Confiants de l’attention que vous voudrez bien porter à notre requête, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.

Signataires :

M. Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH)

Mme Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)

M. Michel Tubiana, président du Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH)

M. Halim Derbal pour le Bureau de l’association Agir pour le Changement Démocratique en Algérie (ACDA)

Mme Nassera Dutour, porte-parole du Collectif des familles des disparu(e)s en Algérie (CFDA)

M. Stéphane Enjalran, président du Comité International de Soutien au Syndicalisme Autonome Algérien (CISA)

Me Noureddine Benissad, président de la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LADDH)

M. Rachid Malaoui, président du Syndicat National Autonome du Personnel de l’Administration Publique (SNAPAP)

Me Amine Sidhoum, coordinateur du Réseau des Avocats pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDH)

«On a un pacte avec le président Bouteflika» (F. Hollande) 2 janvier 2013

« Cette année 2012 n’a pas été seulement celle des scandales de corruption. Elle a été aussi celles des plus grands ratages politiques annonciateurs de nouvelles difficultés pour le pays, (…) Le scrutin législatif du 10 mai a été boudé par les électeurs, entaché de fraude et a permis au FLN de rempiler de nouveau. Inédit et plus grave, l’argent sale a servi à acheter des sièges à l’Assemblée où siègent désormais des illettrés. Et les élections locales ont obéi aux mêmes standards. Le gouvernement avait avoué que l’Algérie n’avait pas un fichier électoral exploitable, mais Paris et Washington ont salué la “réussite” de ces deux consultations. Dans le fond, ces félicitations américaines et françaises sont un affront à l’Algérie » Extrait de 2012, quel bilan ? Éditorial du Matin DZ du 31 décembre 2012.

La question du logement en Algérie concentre une bonne partie des problèmes de la société : manque d’emplois, manque de revenus, loyers inaccessibles, sur-occupation des appartements, confinement de la jeunesse, stagnation des jeunes adultes chez leurs parents, difficulté des études, vétusté et insalubrité des immeubles, accroissement des bidonvilles, insécurité, rivalités entre les plus démunis, tensions sociales, impact environnemental…

Émeutes du logement

Le mois de novembre a commencé par de violents affrontements à Seybouse, près d’Annaba, entre les forces de l’ordre et les habitants d’un immense bidonville de plus de 200 constructions illicites. Le 3 novembre les bulldozers sont entrés dans le bidonville sous haute surveillance policière. Les autorités locales n’ayant prévu aucune solution pour le relogement des habitants, la colère et le désespoir se sont transformés en violences. Une trentaine de personnes ont été interpelées. Les émeutes du logement, quotidiennes à travers tout le pays, sont généralement consécutives à la publication des listes de bénéficiaires de logements sociaux. Le 25 novembre à Draâ Ben Khedda (wilaya de Tizi Ouzou) des centaines de personnes ont manifesté pour protester contre la corruption qui conduit souvent à écarter des listes des bénéficiaires en attente parfois depuis plus de 10 ans, au bénéfice de demandeurs connus pour n’être pas dans le besoin (et qui sous-loueront les logements sociaux). Le 3 décembre, ce sont les habitants d’un bidonville de Tizi Ouzou (cité Mokadem, 165 familles) qui sont venus faire le siège de la sous-préfecture (barricades, pneus enflammés, jets de pierres) pour protester contre l’affectation à des familles d’une autre cité des logements qu’on leur avait promis pour dans deux ans. Ils ont été dispersés sans ménagement par les forces anti-émeutes. Le 9 décembre siège et fermeture (une forme d’action qui se développe actuellement) de plusieurs mairies et sous-préfectures dans le nord-est du pays, consécutives, encore une fois, à la publication de listes de bénéficiaires d’aide à l’habitat rural jugées insuffisantes et partiales par ceux qui s’appellent eux-mêmes les “candidats recalés”. Les heurts les plus violents ont eu lieu à Beïnem entrainant neuf blessés. Au centre ville de Constantine, 600 familles d’une cité délabrée (construite en 1958) attendent leur relogement depuis 1996. Le 16 décembre des centaines de jeunes de cette cité, armés de gourdins et de cocktails Molotov, ont barré les rues, incendié des pneus et se sont heurtés aux forces de sécurité toute la journée. Enfin, entre le 20 et le 26 décembre, dans la région d’Annaba on a dénombré une dizaine d’émeutes dans différentes communes, toutes provoquées par la colère de la population après la publication de listes de bénéficiaires de logements sociaux.

Des rivalités du mal-vivre. De même que les “recalés” développent de l’animosité à l’égard de ceux dont les noms figurent sur les listes de promis au relogement, les rivalités entre cités, entre bidonvilles, entre quartiers, entre villages se multiplient. C’est ainsi que la guerre est déclarée entre les étudiants logés dans des logements sociaux promis aux habitants de Bgayet (Kabylie) et ces mêmes habitants qui dénoncent par ailleurs les comportements indécents et attentatoires aux mœurs des étudiants. Les affrontements sont quotidiens. Autre exemple, le 19 novembre les protestations (routes barrées etc.) des habitants d’un village de la wilaya de Tlemcen (Zelboun) ont provoqué une réaction hostile du village d’à côté (Beni Mester), les jeunes des deux villages se sont affrontés durement. Les mêmes types d’affrontement ont régulièrement lieu entre habitants de cités délabrées et bidonvilles les uns reprochant aux autres d’être favorisés par les pouvoirs publics en matière de relogement.

Les élections locales et sénatoriales

Le 29 novembre se sont déroulées les élections aux assemblées municipales (communes) et départementales (wilaya). Taux de participation officiel : 44%. Aux élections municipales, sur les 44 partis présentant des candidats, le FLN avec 26% des voix et le RND avec 22% des voix ont obtenus la majorité des sièges, les 42 autres partis se répartissant le reste des sièges avec des scores inférieurs à 6% des suffrages. Aucune majorité ne se dégage dans 1150 communes sur les 1541 que compte le pays. Il faudra donc dans la plupart des cas que des majorités de coalition se forment pour donner un maire à la commune. La désignation des maires au sein de chaque assemblée devait être close le 14 décembre. A la fin de ce mois aucun résultat national définitif n’est encore disponible mais il semblerait que le FLN n’obtienne pas le nombre de communes qu’il espérait.

Ces élections aussi ont donné lieu à un grand nombre de fraudes avérées (voir une vidéo sur You Tube Fraude électorale à Bir Dheb Tébessa Algérie 29.11.2012 : http://youtu.be/H5s7cTnNmc0) et à des centaines d’affrontements, prises d’assaut de bureaux de votes, destructions d’urnes : un des motifs parmi beaucoup d’autres étant la dénonciation du vote des militaires que l’on a fait voter dans les régions où il sont casernés (des régions “à problèmes”, comme la Kabylie) et pas chez eux, en violation de la loi électorale. Ces affrontements ont fait des centaines de blessés.

Le 29 décembre ont eu lieu les élections au Conseil de la Nation (Sénat). 48 sièges (un par wilaya) étaient à pourvoir, les électeurs étant les membres des assemblées populaires de wilaya (assemblées départementales) élus le 29 novembre. Le FLN, malgré ses 8 000 élus locaux, n’a obtenu que 17 sièges à ces élections. Au sein du parti, certains ont dénoncé une « trahison interne » mais on parle beaucoup dans la presse de tractations mettant en jeu des sommes d’argent considérables (voir l’article de Libération du 19 décembre http://www.liberation.fr/monde/2012/12/19/en-algerie-meme-les-mairies-s-achetent_868970). Avec 24 sièges, le RND, parti du premier ministre dans le gouvernement d’avant les législatives est donc le parti majoritaire au Sénat.

Ces deux élections consacrent la position majoritaire de l’alliance présidentielle dans le paysage politique algérien, mais elles ont donné lieu avant, pendant et après les scrutins à des luttes internes aussi bien au sein du FLN qu’au sein du RND qui ouvrent les grandes manœuvres en vue de l’élection présidentielle de 2014.

Droits de l’Homme

Voir l’éclairage n° 14 mis en ligne en même temps que cette rubrique : plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme, dont la LDH et la FIDH, ont attiré l’attention du président François Hollande, sur la situation des droits en Algérie à l’occasion de sa visite officielle du 19 au 20 décembre.

Par ailleurs, Le rapport annuel 2012 sur la situation des droits de l’homme en Algérie qui sera « bientôt » soumis par la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH, ou commission Ksentini) au président Bouteflika, indique que le système judiciaire demeure un « point noir » qui entrave la réalisation de l’État de droit. Rappelons que cette commission a été créée par Bouteflika.

Terrorisme

Début décembre, un rapport publié par l’institut américain Institute for Economics and Peace (IEP, basé à New York) affirme que l’Algérie, les États-Unis et la Colombie sont les pays qui ont réalisé « la meilleure progression » au cours des dix dernières années en termes de baisse de l’impact du terrorisme. Ainsi en 2011 l’impact des actes terroristes en Algérie s’est traduit par 25 décès, alors qu’il était de 200 en 2002. On ne connaît pas les chiffres de 2012 mais rien que dans la dernière semaine, dans la région de Boumerdés, un terroriste a été abattu par les forces de sécurité dans la nuit du vendredi 28 décembre et un membre de l’ex-GSPC a été éliminé et un militaire tué dans la soirée de samedi 29. Victimes collatérales de la lutte anti-terrorisme, dans la soirée de vendredi à samedi, cinq jeunes kabyles de Vgayet se trouvant à bord d’un véhicule ont été pris pour cible par un groupe de militaires qui disent les avoir confondus avec des terroristes. Deux jeunes ont été tués par les éléments de l’armée algérienne et deux autres ont été blessés.

Hollande en Algérie

Les 19 et 20 décembre, F. Hollande a effectué un voyage d’État en Algérie. Une visite minutieusement préparée et dont l’objectif principal était de “déminer” le terrain du contentieux historique franco-algérien et de passer aux choses sérieuses : l’alliance diplomatique, la coopération économique, le partenariat commercial.

Il fallait tourner la page du traité d’amitié signé par Chirac et Bouteflika en 2003 mais jamais ratifié, de l’attitude de Sarkozy (considérée comme raciste par l’opinion algérienne) vis-à-vis de l’immigration, du vote de l’Assemblée nationale française en 2005 sur les « aspects positifs de la colonisation » etc. Le signal avait été donné le 17 octobre dernier par F. Hollande reconnaissant la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris et saluant la mémoire des dizaines de manifestants algériens (peut-être 200) tués par la police française sous l’autorité du sinistre préfet Maurice Papon.

A Alger, après l’hommage rendu au mathématicien communiste Maurice Audin (arrêté, torturé et sans doute tué par l’armée française), le moment fort du “déminage” a été la première partie du discours de F. Hollande devant les deux chambres réunies du parlement algérien. Avec clarté (« Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal […] Ce système a un nom : c’est la colonisation et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien » ), avec précision (« les massacres de Sétif, de Guelma, de Kherrata » ), sans dérobade (« la France manquait à ses valeurs universelles »), ce discours qui donnait la position de la France appelait (habilement diront certains) une attitude symétrique de l’Algérie : s’en remettre aux historiens pour établir la vérité sur le passé et sur la guerre (« La paix des mémoires à laquelle j’aspire repose sur la connaissance et la divulgation de l’histoire » , « La vérité, elle doit être dite aussi sur les circonstances dans lesquelles l’Algérie s’est délivrée du système colonial », « l’histoire, même quand elle est tragique, même quand elle est douloureuse pour nos deux pays, elle doit être dite », « une lecture objective de l’histoire loin des guerres de mémoires et des enjeux conjoncturels », « il est nécessaire que les historiens aient accès aux archives »).

Mais F. Hollande ne se rendait pas en Algérie uniquement pour solder les comptes de la période coloniale. La deuxième partie du discours devait dessiner les orientations pour le futur des relations franco-algériennes : « un nouvel âge », « une nouvelle page », « des temps nouveaux », des formules déjà beaucoup entendues ces cinquante dernières années. Ces orientations ont été formalisées dans un document signé par les deux parties : la Déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération entre la France et l’Algérie. Un partenariat stratégique y est exposé et décliné dans quatre directions : Dialogue politique, Dimension humaine (mobilité des ressortissants des deux pays), Culture et éducation, Coopération économique. Ce document cadre de partenariat sur la période 2013-2017, s’est concrétisé par l’adoption commune d’instruments d’approbation de l’accord de défense, d’un mémorandum de coopération financière, d’une convention de partenariat dans les domaines de l’agriculture, du développement rural et de l’agroalimentaire, d’une déclaration conjointe pour un partenariat industriel et productif…Une intense activité de coopération et de business dont l’avenir dira si elle profite, et comment, aux deux pays. Et surtout si elle profite au peuple algérien.

D’autres questions, à peine évoquées dans le discours du président français justifiaient aussi cette rencontre car elles étaient objet de contentieux entre les deux états : en particulier la question Syrienne et la crise du Mali. S’agissant du conflit du Mali et plus largement de la crise du Sahel, l’Algérie ne voulant pas rompre ses relations avec certains des belligérants du Nord-Mali est favorables à une solution négociée alors que la France défend l’option d’une solution militaire encadrée par l’ONU. Officiellement les positions des deux pays se seraient rapprochées et le Conseil de Sécurité a pris dans les dernières heures du déplacement de Hollande en Algérie une résolution sur le déploiement d’une force internationale au Mali.

Pour finir, on aura noté que F. Hollande n’a pas fait la moindre allusion dans son discours à la question de la démocratie et des droits de l’homme en Algérie pas plus qu’aux souffrances du peuple algérien. En revanche il a vanté à plusieurs reprises dans les interviews la stabilité du régime algérien. Les observateurs ont noté également que le Président Bouteflika s’est très peu exprimé pendant la visite et à ce jour n’a rendu publique aucune appréciation de l’état algérien sur la venue du président français et ses conséquences pour l’avenir. Un indice cependant. A Tlemcen, dans des échanges impromptus avec les journalistes, la question a été posée aux deux présidents :

Quel est votre bilan de cette visite ?

Hollande : On a un pacte avec le président Bouteflika.

Lequel ?

Bouteflika : Il fait des compliments sur moi et j’en fais sur lui (rires).

Dans la presse algérienne certains n’écartent plus l’hypothèse, encore invraisemblable il y a quelques mois, d’une candidature de Bouteflika à un quatrième mandat aux présidentielles de 2014. Quoiqu’il en soit, le président algérien a été officiellement invité à se rendre en France en 2013.

Enfin à RUSF on a retenu cette phrase du président français « Je pense aussi aux universitaires, à ces 25.000 Algériens qui étudient en France mais aussi à tous ceux qui s’intéressent en France à l’Algérie et qui veulent, là encore, nouer des relations à un niveau d’excellence. Mais, j’insiste, je souhaite que l’on accueille mieux et davantage les étudiants algériens ». On verra…

Septembre-octobre 2012 en Algérie 11 novembre 2012

Une des plus grandes réserves de gaz naturel au monde, des besoins en développement énormes avec une réserve de change de 200 milliards de dollars à dépenser, une armée nombreuse et bien équipée à la frontière du Mali… les grandes puissances adorent l’Algérie en ce moment. Avec les USA, la France est au premier rang des courtisans. Il n’est pas sûr qu’elle sera payée de retour.

Et pourtant les grandes puissances ne peuvent l’ignorer : l’Algérie est aussi un pays dont un citoyen sur 3 vit au dessous du seuil de pauvreté, dont 40 % des jeunes adultes sont au chômage, d’où 150 000 personnes émigrent chaque année, où la corruption est érigée en système de gouvernance et où les droits de l’homme sont bafoués quotidiennement.

Emeutes

2 septembre à Constantine. Les membres d’une quarantaine de familles écartées du plan de relogement établi en 2010 ont encerclé le siège de la wilaya. En janvier dernier, ils avaient investi le pont suspendu de Sidi M’Cid, menaçant de se donner la mort en se jetant dans les gorges du Rummel. Ils se disent victimes d’une opération de relogement « arbitraire » et réclament une réhabilitation « urgente et immédiate ». L’intervention des policiers anti-émeute a été suivie d’affrontements ; bilan : 3 policiers blessés et 4 jeunes interpellés.

9 septembre à Bouira. Les opérations de démantèlement des baraques des commerçants informels ont entraîné une réaction violente de ces « trabendistes » dont le commerce de rue est l’unique moyen de survie. Des dizaines de jeunes ont barricadé la voie principale de la cité de l’Ecotec, à l’aide de pneus enflammés et autres blocs de pierres. Les brigades de l’Unité républicaine de sûreté (URS), dépêchées sur les lieux, ont procédé à 9 arrestations au terme de 48h. d’assauts très musclés contre les manifestants qui s’en prenaient également à plusieurs édifices publics.

13 septembre à Madinat el Hayet. (région de Bouira). Luttant depuis des mois contre l’implantation d’une décharge publique au milieu de leur cité, les habitants du quartier ont tenté une nouvelle fois d’empêcher la voierie de déposer les ordures ménagères. Les forces anti-émeute et la gendarmerie ont utilisé des bombes lacrymogènes et des balles en caoutchouc pour disperser les manifestants. Une dizaine de personne ont été hospitalisées, 10 manifestants ont été arrêtés.

17 septembre à Mizrana. (région de Tizi Ouzou). Des dizaines d’habitants, des villages de Mizrana et d’autres communes limitrophes, ont saccagé et brûlé les tout nouveaux locaux de la future brigade de gendarmerie nationale dont l’inauguration était prévue pour les jours suivants. Ils ont justifié leur acte par le fait que « la localité est dans le dénuement total, et qu’au lieu d’ériger une brigade de gendarmerie à coup de milliards de dinars, les autorités devaient plutôt se pencher sur les problèmes que nous vivons au quotidien, notamment le problème de l’eau, de l’état de nos routes, du manque dont nous souffrons, que ce soit dans le transport, l’éducation, la santé… ». Deux émeutiers ayant été arrêtés et enfermés dans les locaux de la sûreté de Makouda (localité mitoyenne) les manifestants ont ensuite assiégé ce bâtiment, jusqu’à la libération de leurs camarades.

9 octobre à Mascara. A la suite de son interpellation par une patrouille de police, Ahmed Sahnoun, 30 ans, est décédé des violences dont il a été l’objet dans les locaux de la sécurité (la version des policiers est très différente…). Pendant 3 jours des manifestations de rue et des assauts contre les bâtiments publics ont opposé des groupes de jeunes et la brigade anti-émeute, faisant des blessés parmi les forces de l’ordre et les manifestants, dont quelques-uns ont été arrêtés. Un document sur ces événements est accessible sur YouTube.

http://youtu.be/dyWjUh4PGDA

Nouveau gouvernement

Il aura finalement fallu près de quatre mois pour qu’Abdelaziz Bouteflika mette fin, début septembre, aux fonctions du premier ministre Ahmed Ouyahia et nomme à sa place Abdelmalek Sellal, un homme du système, ministre sans discontinuer depuis 1998 et ex-directeur de campagne du président algérien. Son mandat est clairement de préparer les présidentielles de 2014, c’est-à-dire la succession de Bouteflika. Les portefeuilles clés restent aux mains des mêmes ministres que dans le gouvernement précédent. Les espoirs de changement politique sont relativement modérés.

Mali

Au printemps 2012, profitant de la vacance du pouvoir à Bamako à la suite d’un coup d’État militaire, plusieurs groupes islamistes (AQMI, Ansar Dine et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest MUJAO), ont pris le contrôle des 2/3 du Mali avec l’aide du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), groupe armé touareg plutôt laïc, mais résolument indépendantiste. Depuis le début de la crise, l’Algérie, principale force militaire de la région et qui a 1 300 km de frontière commune avec le Mali, affiche sa volonté d’un règlement négocié de la question du Nord Mali. Cette position s’explique de différentes façons. D’une part les dirigeants d’AQMI au Mali sont quasiment tous des salafistes algériens repoussés au-delà de la frontière entre les deux pays ; Alger craint qu’en cas d’intervention militaire de l’Union africaine et de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO) ces bandes armées reviennent en Algérie. D’autre part, l’Algérie a des otages aux mains des islamistes regroupés au Mali, or Alger continue d’avoir des contacts avec les islamistes maliens d’Ansar Dine, contacts qu’une intervention armée interromprait certainement. Enfin la participation de l’armée algérienne à une intervention internationale au Mali mettrait l’Algérie en porte à faux sur deux plans : a) L’Algérie s’était opposée à une intervention armée multinationale du même genre en Lybie, b) participer à une telle opération amènerait l’armée algérienne à se trouver dans une même coalition militaire avec la France au moment ou l’Algérie renouvelle sa demande d’« une reconnaissance franche des crimes perpétrés à son encontre par le colonialisme français ».

Le 12 octobre, la résolution 2071 déposée par la France à l’ONU, autorisant les autorités maliennes et ouest-africaines à fixer les modalités d’un déploiement militaire au Nord Mali, a été adoptée. Ce plan d’action qui doit être arrêté le 26 novembre devrait mobiliser 3000 soldats issus des pays de la CEDEAO, aidés au plan logistique par la France et les États-Unis. S’il est peu probable que l’Algérie envoie ses propres troupes au Mali, elle pourrait en revanche apporter une aide précieuse aux forces de la CEDEAO en mettant à sa disposition les connaissances de ses services secrets et en sécurisant sa frontière avec le Mali ; 35000 soldats algériens sont d’ores et déjà déployés le long de la frontière. La France et les USA exercent de fortes pressions sur l’Algérie, mais aussi, en contrepartie, lui donnent des gages de reconnaissance internationale et de légitimité comme jamais auparavant, en particulier en matière des droits de l’homme (voir plus loin). Il semblerait que l’Algérie soit sur le point de se laisser convaincre.

Relations Algéro-françaises

Annoncée depuis quelques mois puis repoussée par les algériens, la visite de F. Hollande en Algérie est prévue les 19 et 20 décembre. Elle aura été précédée d’un défilé ininterrompu de ministres français à Alger. Après le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, en juillet, sont venus officiellement en Algérie ces dernières semaines : la ministre déléguée en charge de la Francophonie, Yamina Benguigui, la ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, la ministre du Logement, Cécile Duflot… La visite de Manuel Valls rappelle qu’en France c’est le Ministre de l’intérieur qui est en charge des questions d’immigration. Or d’après l’Insee les Algériens constituent la première communauté étrangère en France ; ils étaient 578 000 à détenir un titre de séjour en 2010, sans compter les binationaux. Pour réduire le flux migratoire des algériens vers la France, Nicolas Sarkozy voulait revenir sur les accords de 1968 relatifs à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leur famille. Il souhaitait imposer « à tous ceux qui veulent venir au titre du regroupement familial ou du mariage avec un Français l’obligation : 1. d’avoir un logement, 2. d’avoir un revenu, 3. d’apprendre le français et les valeurs de la République avant d’entrer sur le territoire national ». Les algériens qui n’entendaient pas revenir sur cet accord on été satisfaits d’entendre M. Valls déclarer qu’il n’était pas question de le remettre en cause. Le ministre, également ministre des cultes, a rencontré le ministre des affaires religieuses qui l’a assuré que l’Algérie a la « volonté » d’aider les musulmans de France à pratiquer leur culte dans la « sérénité » en dépêchant dans ce pays, a-t-il été précisé, des imams « formés » et « qualifiés ».

En novembre 2011, à propos de l’Algérie, Valls disait ressentir de « grandes inquiétudes quant à l’avenir de la jeunesse, à la situation économique malgré les richesses du pays »”et que ces inquiétudes étaient inspirées aussi par « la difficulté à renouveler les dirigeants »(Déclaration au quotidien algérien Liberté). Un an plus tard, le ton a changé. Ces grandes manœuvre diplomatiques et commerciales sont justifiées par le projet français d’établir un « partenariat stratégique » (pas un « traité d’amitié », les algériens n’en veulent pas) dans les domaines économique, éducatif, énergétique, militaire.

Mais rappelons aussi qu’actuellement six otages français (Pierre Legrand, Marc Féret, Thierry Dole, Daniel Larribe, Serge Lazarevic et Philippe Verdon) et trois otages algériens sont aux mains des groupes islamistes au Mali, alors que trois membres d’AQMI sont dans les prisons algériennes. Une donnée qui n’est pas sans influence sur les relations algéro-françaises.

Droits de l’Homme

Le soutien de l’ONU au régime de Bouteflika

Le rapprochement franco-algérien évoqué ci-dessus est un témoignage parmi d’autres de la cour dont l’Algérie est actuellement l’objet au niveau international. Les Etats Unis et l’ONU ont entrepris, en direction de l’Algérie, une grande campagne de séduction, notamment sur la question des droits de l’Homme. On ne surinterprètera pas le fait que le 10 septembre l’Algérien Bouzid Lazhari a été réélu au comité des droits de l’homme de l’ONU pour un mandat de 4 ans. Mais on notera la déclaration du Conseil de la Nation algérien (équivalent de notre Sénat) à cette occasion : « le retour en force de l’Algérie se confirme de nouveau au plan des relations internationales notamment dans le domaine des droits de l’homme duquel elle a été longtemps exclue pendant des années en raison des effets de la décennie noire ». Une semaine après, la Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Navi Pillay, en visite en Algérie, tout en annonçant une mission de l’ONU sur les disparition forcées de la décennie 90 (cf. Eclairage n° 11) et en appelant les forces de sécurité à « un peu de retenue » à l’égard des représentants de la société civile, a fait des déclarations qui ont surpris les chancelleries et la presse internationale. Elle a salué en effet les « énormes progrès » de l’Algérie en matière de droits de l’homme, elle s’est dit « rassurée » sur la volonté de l’Etat algérien d’œuvrer à l’exercice plein et entier des droits de l’homme en Algérie. Et pour faire bonne mesure elle a qualifié Bouteflika de « défenseur des droits de l’homme ».

Mme Pillay a aussi déclaré : « L’Algérie est sur la bonne voie pour devenir leader des droits des femmes dans la région d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ». Elle n’avait certainement pas remarqué que le nouveau gouvernement algérien de 36 membres compte seulement trois femmes alors que les femmes ont remporté presque le tiers des sièges de députés aux élections législatives. Elle n’avait sans doute pas connaissance non plus du rapport 2012 sur les écarts entre sexes, publié par le Word Economic Forum ; en matière de différences hommes femmes dans le domaine économique, l’Algérie est classée 131ème sur 135 pays évalués.

La répression sur les militants de la LADDH

Quelques jours après le passage de Mme Pillay à Alger, le 1er octobre exactement, Yacine Zaïd, 41 ans, syndicaliste et président de la section de Laghouat de la LADDH a été arrêté à un barrage de police à l’entrée d’Hassi Messaoud. Fiché et surveillé Y. Zaïd avait, deux semaines plus tôt, été contrôlé à l’aéroport d’Alger. L’arrestation du 1er octobre a été suivie de brutalités policières exercées sur le militant menotté, attestées par des certificats médicaux. C’est pourtant sous le chef d’inculpation « d’agression d’un agent de l’ordre public » (et là aucun certificat médical à l’appui de l’accusation) que Y. Zaïd a été condamné à six mois de prison avec sursis et une amende de 10.000 DA (100 €).

Abdelkader Kherba est un membre actif de la LADDH. Il a été condamné en mai dernier à un an de prison avec sursis et 200 euros d’amende pour « incitation à attroupement et usurpation d’identité », après avoir participé à un rassemblement de greffiers, alors en grève, devant le Palais de justice d’Alger. Dans une autre affaire, il avait observé une grève de la faim de 22 jours après avoir été inculpé pour « outrage à corps constitué » avant que le tribunal de Ksar El Boukhari (sud-ouest d’Alger) ne l’acquitte le 11 septembre.

Le 16 octobre, Yacine Zaïd et Abdelkader Kherba, encore eux, se trouvaient parmi les manifestants venus soutenir un militant syndicaliste poursuivi devant le Tribunal de Sétif. Ils ont été arrêtés et tabassés une nouvelle fois…

Mme Pillay semble ignorer leur existence, mais il y a en Algérie des militants des droits de l’Homme qui ne désarment pas malgré une répression impitoyable.

LA KABYLIE ENNEMI INTERIEUR OU ESPOIR DE LA DEMOCRATIE ALGERIENNE ? 11 novembre 2012

Depuis l’antiquité la Kabylie occupe une place spécifique dans la mosaïque des disparités régionales et culturelles en Algérie. Les origines berbères (et non arabes) de la population algérienne restent dans cette région plus visibles et plus affirmées qu’ailleurs. Il en résulte une résistance à la culture arabo-musulmane dominante en Algérie et une opposition au régime centralisateur et militarisé en place depuis l’indépendance. Livrée aux exactions des islamistes et à la répression militaire de l’état, la Kabylie paie chèrement ses aspirations à l’autonomie et à la démocratie.

« …le “régionalisme” est un élément constitutif de la politique algérienne. Après l’indépendance du pays, deux groupes d’hommes politiques se sont entre-déchirés pour la prise du pouvoir. Le “groupe de Tizi Ouzou”, représenté par Mohammed Boudiaf et Hocine Aït Ahmed, et le “groupe de Tlemcen” qui s’était formé autour d’Ahmed Ben Bella, le premier président de l’Algérie indépendante. Ce dernier a été renversé par son plus grand promoteur et ministre de la Défense, en l’occurrence Houari Boumediene, lui-même membre du “clan d’Oujda”, dénomination qui désigne les anciens de l’Armée des frontières restée à l’extérieur du pays pendant la guerre d’indépendance et rentrée après la libération pour prendre le pouvoir.

Après la mort suspecte de Boumediene le 27 décembre 1978, ce sont les “TBS” (l’axe de Tébessa-Batna-Souq Ahras), de l’est algérien et dont les figures les plus célèbres sont les généraux Khaled Nezzar, Mohamed Lamari, et Liamine Zeroual qui occupent le pouvoir. En 1998, ce clan perd les commandes du pays au profit du “clan d’Oujda” désormais représenté par Abdelaziz Bouteflika. L’ancien ministre et protégé de Boumediene a nommé un grand nombre de généraux et de ministres issus de Tlemcen. » Extrait d’un article d’Ali Chibani publié sur le site SlateAfrique le 5 mai 2011 : Le régionalisme en Algérie, un obstacle à la démocratie ?

Ce texte révèle à quel point l’identité régionale a engendré des solidarités politiques actives dans la lutte pour le pouvoir, pendant et après la guerre d’indépendance en Algérie. Sans doute faut-il voir là et jusqu’à aujourd’hui, la survivance d’une réalité anthropologique qui a traversé les âges : l’organisation en tribus des populations du Maghreb. La création d’un état nation a certainement affaibli l’influence de l’appartenance régionale dans les rivalités politiques, mais il ne l’a pas supprimée.

Encore faut-il distinguer entre deux variétés du combat régionaliste : d’une part les rivalités politiques intestines, de nature clanique, pour s’emparer du pouvoir central, (ce qu’illustre le texte de Ali Chibani) et d’autre part les luttes de masse, de nature culturelle, pour échapper au pouvoir central, pour s’en séparer. C’est de cette facette du régionalisme, qui s’exprime par des revendications culturelles (linguistique, religieuse, artistique…), l’affirmation d’une identité et l’aspiration à l’autonomie qu’il sera question ici. La question berbère et plus précisément la question kabyle en Algérie renvoie à cette forme de régionalisme ; elle est encore, et restera longtemps, d’une actualité brûlante en Algérie.

Berbères, Kabyles

On appelle berbères les populations autochtones de l’Afrique du Nord. Ces populations ont connu plusieurs invasions dont la plus notable est la conquête arabo-musulmane du 7ème siècle qui a eu pour conséquence principale l’arabisation et l’islamisation des berbères. On peut donc dire que tous les algériens sont des berbéro-arabes. Cependant dans certaines régions la survivance de la langue berbère (tamazight) comme langue maternelle donne aux populations qui y vivent une identité particulière, plus ou moins revendiquée. Parmi tous ces groupes (les touaregs du Sahara, les Chaouis des Aurès, les Chenouis entre Tipaza et Ténès etc.) les kabyles (imazighen) constituent une population à l’identité culturelle particulièrement saillante et vivace, notamment sur le plan linguistique mais aussi sur le plan des traditions, de la musique, de l’art populaire, de la littérature… La Kabylie dont les deux plus grandes villes sont Tizi Ouzou et Bejaïa est un espace géographique et culturel qui s’étend du massif du Djurdjura à la côte méditerranéenne. Il y a bien sûr des kabyles qui vivent dans d’autres régions d’Algérie (Alger compte probablement plus de kabyles que la Kabylie) et dans la diaspora algérienne immigrée : les liens communautaires sont très fort entre eux et avec la région mère.

Leur place dans la société algérienne

Dans leur majorité, les kabyles refusent d’être assimilés aux arabes, qui constituent pour eux une ethnie étrangère qui les a colonisés et s’est imposée par les armes depuis 14 siècles. Certains, très minoritaires, se défendent aussi d’être des musulmans et d’ailleurs c’est en Kabylie que les écarts vis-à-vis des rites de l’islam (jeûne du ramadan par exemple) sont les plus nombreux et que l’appartenance à d’autres religions que l’islam (christianisme, encore plus minoritaire) est la plus répandue. Dans un pays qui se définit comme une entité arabo-musulmane il y a là un facteur de clivage évident. Cette différence culturelle revendiquée a été exploitée par les français pendant toute la période coloniale (1830-1962). Le stéréotype du bon kabyle (blond aux yeux bleus, travailleur, loyal, fier etc.) inventé par les militaires et les administrateurs coloniaux s’est répandu non seulement chez les européens d’Algérie mais également chez les français de l’hexagone.

Le sentiment identitaire très fort des kabyles s’est manifesté dans leur engagement pendant la guerre d’indépendance. C’est de Grande Kabylie qu’est partie l’insurrection de novembre 1954. C’est en Kabylie, que s’est tenu, en aout 1956, le congrès de la Soummam, réunion clandestine des principaux chefs du FLN. Lors de cette réunion se sont confrontées les options politiques et militaires des maquis de l’intérieur (au premier rang desquels les kabyles de la très importante wilaya III) à celles de “l’armée des frontières” force militaro-politique qui menait ou coordonnait la lutte pour l’indépendance depuis la Tunisie et le Maroc. Haut lieu de la lutte contre l’armée française, la Kabylie a apporté au mouvement de libération nationale des chefs militaires ou politiques de premier plan parmi lesquels Abane Ramdane, Amirouche et Krim Belkacem. Dés cette époque les rivalités pour la direction du FLN se sont confondues avec les antagonismes régionaux au sein des forces révolutionnaires. Les trois leaders kabyles cités précédemment devaient mourir assassinés, victimes des conflits fratricides au sein du FLN avant ou après l’indépendance (Amirouche a bien été tué par les militaires français mais à l’instigation de dirigeants du FLN).

Dès 1962, le triomphe au sein du parti de la ligne arabo-musulmane et du principe de parti unique a exacerbé les tensions entre la Kabylie et le nouveau régime algérien incarné par Ben Bella puis Boumediene, des hommes de “l’armée des frontières”. Le destin de Hocine Aït Ahmed est exemplaire à cet égard. Aït Ahmed, né en Kabylie, combattant anticolonialiste dés 1947, a occupé des responsabilités de tout premier plan dans les instances de “l’extérieur” pendant la guerre. Mais déjà pendant cette période il est accusé de “berbérisme” par les autres leaders de la rébellion algérienne. Au lendemain de l’indépendance, il prend la tête de ce que l’on pourrait appeler une opposition démocratique au régime de parti unique soumis aux volontés de l’armée qui se met en place avec Ben Bella. Et le 29 septembre 1963, soit un an seulement après l’indépendance, il crée le Front des forces socialiste (FFS) et prend le maquis en Kabylie avec ses partisans. La répression conduite par le colonel Boumediene fera des centaines de morts chez les dissidents et se conclura par l’arrestation d’Aït Ahmed en octobre 1964, et sa condamnation à mort. Gracié mais maintenu en prison, il s’évade le 1er mai 1966, et se réfugie en Suisse d’où, aujourd’hui, il dirige toujours le FFS, parti légalisé en 1988.

De 1962 à nos jours, une région sécessionniste contre un état répressif.

Depuis l’indépendance, la Kabylie est le théâtre d’événements sanglants toujours liés à la défense farouche de son identité culturelle et son opposition à la mainmise du FLN et de l’armée sur le pouvoir. En réaction aussi à des provocations violentes de la part de ce pouvoir.

Le printemps berbère. Le 10 mars 1980 une conférence de l’écrivain kabyle Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle ancienne, qui devait être donnée à l’Université de Tizi Ouzou (haut lieu de la « berbérité »), est interdite sans motif et l’écrivain empêché d’entrer dans la ville. Le lendemain une manifestation d’étudiants à Tizi Ouzou, donne le départ de plusieurs semaines de grèves dans la région et à Alger (où réside une importante communauté kabyle). Le 17 avril le président algérien Chadli Bendjedid envoie l’armée dans la région après avoir déclaré que l’Algérie est un pays « arabe, musulman, algérien » , et que « la démocratie ne signifie pas l’anarchie ». La répression est extrêmement dure, elle frappe le mouvement dans toutes ses manifestations et dans tous les lieux de son expression (universités, hôpitaux, usines). Le 23 avril, le bilan des affrontements est de 32 morts. Le printemps berbère est le premier mouvement populaire spontané d’opposition aux autorités algériennes depuis l’indépendance du pays en 1962. A partir d’octobre 1980, se développe dans la population un intense travail de promotion de la culture kabyle en milieu universitaire et dans d’autres lieux institutionnels ou associatifs. Ce travail de fond pour la valorisation et la reconnaissance de la langue tamazihgt et de toutes les formes d’expression culturelle kabyle, entrainera d’autres revendications qui à leur tour provoqueront une répression féroce.

Le printemps noir. Une vingtaine d’années plus tard, le 18 avril 2001, un jeune lycéen est tué d’une rafale d’arme automatique dans les locaux de la gendarmerie d’un village de Grande Kabylie. Ce sera l’élément déclencheur d’une insurrection qui durera jusqu’en juin (avec des répliques en mars 2002) et fera 126 morts et plus de 5000 blessés.

Ces deux révoltes, commémorées tous les ans en Kabylie et dans le monde par la diaspora kabyle, constituent actuellement des repères historiques et identitaires extrêmement forts à toute une population. Elles ont permis d’arracher au pouvoir algérien quelques concessions, notamment sur le statut de la langue. Mais elles ont surtout donné naissance à une génération intellectuellement et politiquement formée que l’on retrouvera dans le mouvement, national celui-là, de la jeunesse algérienne en octobre 1988, elle aussi réprimée dans le sang (autour de 400 morts).

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui les dirigeants algériens considèrent la Kabylie, et la désigne aux algériens, comme l’ennemi intérieur qui menace l’unité nationale. L’objectif du pouvoir est double.

D’abord décrédibiliser l’opposition démocratique nationale. En effet les deux principaux partis d’opposition démocratiques et laïques, le FFS de Aït Ahmed et le RCD de Saïd Saadi sont tous les deux dirigés par des kabyles et reprennent dans leur programme des revendications régionalistes ou « berbéristes ». Compte tenu des antagonismes régionaux qui existent dans le pays, le pouvoir a beau jeu de ramener l’opposition démocratique en Algérie à l’aventurisme politique d’une clique de séparatistes berbéristes. Et cela marche, aucun des deux partis n’a réussi dans les différentes élections depuis 1988 ou au moment du printemps arabe à entraîner une fraction importante du peuple algérien, sauf en Kabylie.

Deuxième objectif, mettre la Kabylie au pas. La Kabylie est une région montagneuse qui de tous temps a constitué un refuge quasi imprenable pour les maquis et un terrain propice à la guérilla. Les islamistes l’ont bien compris depuis la décennie noire des années 90. Et les populations kabyles des villages ont payé et continuent de payer un lourd tribu (enlèvements, attentats, nettoyage ethnique, racket…) à la furie des fondamentalistes armés du GSPC ou de AQMI. Aujourd’hui encore ces maquis pratiquement disparus du reste de l’Algérie sont actifs en Kabylie. Une des conséquences de cette situation est que l’Etat algérien a entrepris un véritable quadrillage de la région justifié par la lutte antiterroriste. Les habitants de la Kabylie sont pris entre deux feux, affrontés à deux ennemis qui les terrorisent autant l’un que l’autre : le terrorisme islamiste et l’armée algérienne.

Il est possible que les deux objectifs, affaiblir l’opposition démocratique nationale et mettre la Kabylie au pas procèdent d’une même stratégie. L’ancien président algérien, Chadli Bendjedid, n’avait-il pas avoué en 2008 que le Front Islamique du Salut (FIS) a été créé dans le but de susciter une guerre entre les Kabyles et les islamistes pour contenir les militants de l’opposition de l’époque (FFS, RCD), généralement issus de la Kabylie.

L’insécurité permanente qui règne actuellement en Kabylie a des conséquences dramatiques pour son développement économique. Depuis 2009, plus de 70 grands industriels ont décidé de quitter la région ; un exemple parmi d’autres étant cette imprimerie de Tizi Ouzou de 300 salariés que son propriétaire a récemment décidé de fermer après que son fils eût fait l’objet d’un kidnapping. Les entrepreneurs en Kabylie craignent désormais pour leur vie et celles de leurs proches. De crainte de faire l’objet de kidnappings, ils ont ainsi décidé de délocaliser leurs activités pour s’installer ailleurs en Algérie.

Et demain ?

Insécurité chronique, occupation militaire, naufrage de l’économie régionale, destruction orchestrée de l’environnement (cf. les incendies de l’été dernier allumés par l’armée), et maintenant interdiction par l’état civil de mille prénoms amazighe : tout concourt à donner à la population le sentiment d’être lentement vidée de ses forces les plus vives et privée d’avenir. Accusés de faire le lit de l’islamisme, d’être les nouveaux harkis au service de la France et même d’être les alliés objectifs d’Israël, les kabyles ont à se battre sur tous les fronts pour sauvegarder leur image et faire entendre leur voix. La société civile résiste encore sur le terrain culturel et par le biais d’internet (on ne compte plus les sites kabyles en français). Les plus engagés des militants adhèrent au MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, http://www.makabylie.info/) qui depuis 2003 tente d’organiser la contestation et de lui donner une perspective politique.

Laissons la conclusion à Benjamin Stora. « Bien que les Kabyles soient souvent suspectés d’affaiblir la cohésion nationale en revendiquant pour des droits singuliers, il apparaît en fait que la bataille qu’ils livrent pour la pluralité annonce toujours des moments décisifs de passage à la démocratie. Quand cette région s’embrase, comme ce fut le cas sur des questions sociales en avril 2001, l’Algérie entière se trouve concernée. »Awal, cahier d’études berbères, n°25, Paris, 2002.

Juillet-août 2012 en Algérie 5 septembre 2012

« Qui peut accepter dans ces temps de canicule, en plein mois de Ramadan, un quotidien fait de prix exorbitants, de délestages répétés, d’incendies ravageurs qui détruisent oliviers et forêts et menacent nos villages, de pénurie d’eau sous des chaleurs suffocantes ? » (Ali Laskri, premier secrétaire du FFS, 24/08/2012)

Emeutes et mouvements sociaux

Emeutes de l’électricité

Les coupures d’électricité sans préavis, quotidiennes, longues parfois de plusieurs jours ont provoqué cet été des émeutes dans un grand nombre de communes du pays y compris dans les grandes villes : le 9 juillet à El Bouni (près d’Annaba), le 11 juillet à Tolga (près de Biskra), le 14 juillet à Biskra, le 15 juillet à El Kantara, le 31 juillet à Ghardaïa, le 4 août à Boukhadra (Annaba) le 7 août à Constantine, le 13 août à Alger (quartier de Bachdjarah) etc. Chaque été, depuis maintenant plusieurs années, c’est le même scénario qui se répète : le fournisseur public d’énergie, Sonelgaz, confronté à de fortes consommations, opère des délestages et coupe le courant dans plusieurs régions du pays. Un réseau vétuste et l’insuffisance de centrales électriques sont à l’origine de cette pénurie. Les foyers des régions qui ont subi des pannes électriques ont également été privés d’eau car les unités de pompage qui fonctionnent au courant électrique ont été paralysées. Par des températures dépassant les 40 degrés et en pleine période de ramadan, les épreuves subies par les victimes de ces coupures d’électricité et d’eau (particuliers, commerçants, services publics…) ont été particulièrement dures ; leurs réactions dans la rue aussi.

Emeutes du logement

Le 3 juillet à Mascara, le 9 juillet à Freha (Tizi Ouzou), le 23 juillet à Batna, le 22 août à El Tarf, le 26 août à Alger (quartier de Baraki)…A El Tarf, la population excédée par les difficultés de logement mais aussi par les sempiternels problèmes de pénurie d’eau, de coupures de courant, d’éclairage public, les ordures ménagères, les eaux usées qui se déversent dans le lac Oubeïra, les chaussées complètement défoncées qui n’ont pas été revêtues depuis 40 ans etc., a bâti un mur de briques barrant la rue principale du village.

Le mouvement des gardes communaux

En 1996, un décret portait création du corps de la garde communale, dans lequel des milliers de citoyens furent armés pour lutter contre le terrorisme aux côtés des forces de l’ordre et de l’armée. Depuis, le terrorisme a reculé dans le pays mais il reste encore 94.000 gardes communaux sur le terrain. Ils sont les premiers au contact des groupes armés qui sévissent toujours dans plusieurs régions du pays. Ils en sont aussi les premières victimes. Assimilés maintenant à des agents administratifs, ils refusent la dissolution de leur corps et réclament de meilleurs salaires (actuellement 140 € par mois) et plus de reconnaissance. Leur mouvement, ininterrompu depuis deux ans, a pris une envergure nationale au début du mois de juillet. Deux marches sur Alger ont été réprimées par les forces de l’ordre. Les récentes négociations avec la tutelle ont été décidées après que la coordination nationale du mouvement a mis fin à sa mobilisation en détruisant le camp de fortune de Boufarik où les gardes communaux ont passé près de la moitié du mois de ramadan.

Incendies

Plus de 50.000 hectares de forêts ont brûlé en quelques semaines en Algérie cet été. Les températures exceptionnellement hautes (jusqu’à 50°) de cette période sont un facteur majeur de ces catastrophes, mais dans le climat de tensions sociales et politiques actuelles, outre la dénonciation d’un système de protection et d’intervention obsolète, les interprétations sur l’origine des incendies n’ont pas manqué. La rumeur, parfois relayée par la presse, a mis en cause les gardes communaux mais aussi les militaires de l’ANP. Ainsi, selon certains, l’incendie volontaire serait utilisé par l’armée pour déloger les terroristes de leurs repères, alors que pour d’autres, le bras de fer entre l’état et les militaires conduirait ces derniers à pousser les populations à la révolte, notamment en Kabylie où les incendies ont été particulièrement nombreux et destructeurs.

Hausse des prix

Les prix à la consommation ont augmenté de plus de 8% au mois de juillet dernier par rapport à la même période de 2011, accentuant ainsi le rythme d’inflation en glissement annuel qui a atteint 7,5% contre 7,3% en juin dernier, selon l’Office national des statistiques. Tous les produits alimentaires frais ont connu des hausses, notamment la viande ovine (30,3%), les fruits frais (28,7%), les légumes (5,66%), la viande de poulet (16,3%), les poissons frais (15,5%) et la viande bovine avec plus de 8%.

Après les élections législatives

Trois mois après les législatives, l’Algérie attend toujours son nouveau gouvernement. Depuis le 10 mai, en effet, six départements se retrouvent sans ministre. Il s’agit des ministères de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, des transports, de la Poste et des technologies de l’information, des travaux publics, du travail et de la sécurité sociale, et enfin du ministère de l’Environnement et de l’aménagement du territoire. Par ailleurs, la situation actuelle provoque de sérieux dysfonctionnements, particulièrement en raison de l’incertitude qui entoure l’avenir du premier ministre Ahmed Ouyahia. Le parti de M. Ouyahia, le Rassemblement national démocratique (RND) a été laminé aux élections législatives, ce qui a placé le premier ministre dans une position très inconfortable vis-à-vis de ses ministres. Ceci altère gravement la cohésion et la discipline au sein d’un gouvernement où certains ministres, considérés comme proches du chef de l’Etat, ne reconnaissent pas l’autorité du chef du gouvernement. L’opinion publique s’interroge sur les raisons de la léthargie qui frappe le pays, et l’absence prolongée et surtout inexpliquée du chef de l’Etat qui n’a pas vu la nécessité de s’adresser à ses concitoyens à l’occasion de la timide célébration du 50e anniversaire de l’indépendance. Enfin, l’opacité qui règne sur la prochaine révision de la Constitution (aucune consultation des partis politiques et de la société civile) confirme que les méthodes de gouvernance n’ont pas changé et annonce un rafistolage de plus.

L’opposition, toutes tendances confondues, ne se prive pas de dénoncer cette léthargie institutionnelle qu’elle met sur le compte des luttes intestines au sein de la majorité FLN – RND, artificiellement maintenue au pouvoir à l’issue d’une consultation électorale truquée. Mais cette opposition n’est, elle-même, pas sortie indemne des législatives. Le FFS, principal parti démocratique et laïque d’Algérie ayant participé aux élections, traverse une grave crise. La décision de participer aux élections et le choix des candidats avaient divisé les cadres du parti et des voix critiques s’étaient faites entendre sur cette stratégie. Une fois les élections passées, des sanctions ont été prises à la demande de Ait Ahmed, le leader charismatique de la formation depuis 1963. En réponse, courant juillet, une vingtaine de cadres dirigeants du parti ont démissionné et envisagent de créer un nouveau parti. Les tensions dans les sections du FFS sont vives. La mouvance islamiste, regroupée pour les législatives en une alliance « verte », a volé en éclat à la suite de sa déroute électorale ; de nouveaux micro-partis voient le jour dans la perspective des élections municipales, fin novembre.

La grande mosquée à la gloire de Bouteflika

Tout homme de pouvoir cherche à laisser une trace de son passage au pouvoir. Le président algérien a choisi de se construire la plus grande mosquée du monde. La nouvelle mosquée d’Alger, Djamaâ El Djazaïr, aura un minaret de 270 m de hauteur avec 25 étages, le plus grand du monde, devant celui de la Grande mosquée Hassan II à Casablanca, long de 210 m. Le tout construit sur 20 hectares dans l’est de la capitale, face à la baie d’Alger. La salle de prière pourrait selon l’AFP accueillir au moins 120.000 fidèles. Les travaux ont commencé le 16 août dernier. Coût estimé : un milliard d’euros. À cela s’ajouteront plusieurs millions d’euros annuels d’entretien et de salaires pour les employés qui y travailleront. Comme pour la plupart des grands chantiers BTP en Algérie, des milliers d’ouvriers chinois sont arrivés pour accomplir les travaux, la réalisation de la grande mosquée ayant été confiée à la société chinoise China State Construction Engineering Corporation (CSCEC). La plupart des algériens ont du mal à admettre qu’il y avait là une priorité pour le pays.

Droits de l’homme

Mohamed Smaïn, incarcéré le 19 juin dernier pour avoir dénoncé des crimes odieux commis à Relizane durant la décennie 1990 au nom de la lutte antiterroriste (cf Eclairage 11), a été libéré ce vendredi 6 juillet, à la faveur de la traditionnelle grâce présidentielle du 5 juillet. « J’ai été gracié comme tout le monde avec les gens détenus pour des délits de droit commun », a-t-il déclaré quelques heures après sa libération. Les 18 jours passés en prison n’ont toutefois pas entamé sa volonté de poursuivre sa lutte pour la défense des droits de l’Homme. Mohamed Smaïn tient absolument à dénoncer les conditions dans lesquelles vit la population carcérale en Algérie. « Les personnes sont traitées comme des bêtes et sont violentées quand elles réclament leurs droits… Vous avez par exemple une salle de détention conçue pour une quinzaine de personnes mais où on en entasse une cinquantaine. Elles dorment alors à tour de rôle », raconte t il.

Abdelkader KHERBA, membre du comité national pour la défense des droits des chômeurs affilié au SNAPAP et militant des droits de l’homme a été arrêté mardi 21 aout à KSAR EL BOUKHARI après un rassemblement de protestation contre les coupures d’eau.

Est-ce une conséquence des élections ? La Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme (Cncppdh, présidée par Farouk Ksentini) régulièrement désignée dans cette rubrique comme une officine du pouvoir algérien, vient de publier son rapport annuel dans lequel, et c’est une surprise, un bilan très critique des droits de l’homme en Algérie est présenté. Voici comment le journaliste Mustapha Hammouche présente ce rapport dans l’édition du 26 août 2012 du quotidien Liberté

« Il a fallu cinq ou six mois pour que la CNCPPDH se résolve à rendre public le rapport 2011 sur les droits de l’Homme remis au président de la République à la fin du premier trimestre 2012. À moins que l’on ait attendu cette fin d’été caniculaire, éloquente quant au déficit de gestion politique du pays, pour autoriser la commission à diffuser son procès-verbal. Mais s’il ne révèle rien qui ne soit connu d’une gestion ruineuse, le rapport est accablant quant à une faillite politique, économique et sociale que la rente n’arrive plus à masquer. Il faut croire que Farouk Ksentini a fini par renoncer à toute ambition politique pour assumer enfin un rapport qui renferme des vérités établissant le fondement politique des fléaux qui sanctionnent l’économie du pays et hypothèquent ses chances d’amorce de développement. Il est, ainsi, significatif que la CNCPPDH appelle à une lutte “effective et sans relâche” contre la corruption, posant, pour la première fois dans un document, la présomption que la lutte contre la corruption n’est pas effective et qu’elle n’est donc que fictive. Mieux, la commission précise les modalités d’encouragement et de protection des castes autorisées à l’enrichissement par la corruption  : elle consiste en ce que la sanction ne menace que des personnes “secondaires”. Si l’État venait à se résoudre à une lutte “effective” contre ce fléau, celle-ci devrait toucher, aux termes du rapport de la CNCPPDH, même les hauts fonctionnaires exerçant dans les hautes institutions étatiques.

Pour l’heure, “la volonté politique” ne suffit pas face à “une administration dirigée, aux différents échelons et dans une large mesure, par des personnes pistonnées, imposées ou cooptées qui sont au service de leurs propres intérêts et de ceux de leurs ‘’bienfaiteurs’’ et non au service exclusif du peuple”. En d’autres termes, la commission établit que la hiérarchie administrative a fait de l’État un instrument au service des intérêts de ses dirigeants “pistonnés, imposés et cooptés” et de leurs “bienfaiteurs” qui ont le pouvoir — politique — de nommer de hauts cadres. Même si le document concède que “la volonté politique pour ancrer les droits de l’Homme dans la vie quotidienne des citoyens existe”, il bat, ici, en brèche cette concession. Le système est conçu pour servir les intérêts des castes avant l’intérêt du peuple. Pire, “les fonctions au service des institutions de l’État sont devenues une source d’enrichissement et un moyen de servir des intérêts privés”. Ainsi, le détournement politique des prérogatives fonctionnelles au profit de l’enrichissement personnel et clanique a fini par diffuser cette culture prédatrice à l’ensemble de la société ; celle-ci a “miné le tissu social” et “essaimé dans l’ensemble du territoire national” et a fini par détruire les valeurs fondamentales du travail, de la compétence, du savoir, de la crédibilité et de la citoyenneté en Algérie, explique le document. Qu’importe que ce document préserve “la volonté politique”, réduite d’ailleurs à “un discours politique” et “de bonnes intentions” (qui) à eux seuls ne suffisent pas. Le rapport confirme l’origine politique de la pratique de la corruption en Algérie et confirme que nous sommes bien dans le cas d’un État soumis, dans son fonctionnement, à la production de la corruption. »

Mai et juin 2012 en Algérie 13 juillet 2012

Mouvements sociaux en Algérie

Le rythme et la violence des émeutes, n’ont pas baissé en ce printemps algérien qui était aussi, en principe, un moment démocratique de campagne électorale et d’élections législatives. En fait, les élections du 10 mai elles-mêmes ont été la cause de manifestations et protestations plus ou moins importantes ; ce fût le cas dans de nombreux endroits où les règles électorales ont été ouvertement bafouées (manque de bulletins de certains partis, bourrage des urnes etc.). Mais les affrontements les plus durs ont eu lieu à Saharidj, commune située à plus de 50 km au nord-est de Bouira (Kabylie). Dès le début de la journée, des dizaines de jeunes ont barricadé la route principale de la commune par des blocs de pierres et des pneus en feu puis ont pris d’assaut six bureaux de vote. Les manifestants ont saccagé les urnes et les documents qui s’y trouvaient. Les affrontements entre émeutiers (dont le nombre s’est accru d’heure en heure) et forces de l’ordre ont duré toute la journée et le scrutin n’a pas eu lieu dans la plupart de bureaux de vote. De nombreux blessés parmi les manifestants et les policiers. Le taux des suffrages exprimés le 10 mai dans cette commune est de 6 %, soit le plus faible du pays.

Emeutes du logement

15 mai. Des centaines d’habitants de Theniet El Had (Tissemsilt) ont fermé la route vers Alger (pneus brulés, troncs d’arbres et blocs de pierre), pour protester contre la liste des bénéficiaires de logements sociaux rendue publique la veille. Des manifestants ont squatté des logements neufs sous le regard des forces antiémeute, pendant que d’autres assiégeaient la mairie.

25 juin. A Annaba, des habitants du bidonville d’ El Firma ont bloqué les routes de cette zone, pour manifester leur colère quant à la précarité de leurs conditions de vie. Demandeurs déjà recensés de logements sociaux qui n’arrivent pas, les occupants du bidonville ont été rejoints par ceux des quartiers populaires environnants (dont les revendications sont identiques). Les affrontements avec les forces de l’ordre ont duré toute la nuit.

26 juin. A Ouled Djellel (Biskra), l’évacuation musclée d’un groupe de personnes occupant des logements neufs dont la liste des bénéficiaires avait été affichée dans la matinée, a provoqué de violents affrontements : 19 policiers blessés et 20 personnes arrêtées. Le chef de la sûreté locale a été atteint par un cocktail Molotov alors qu’il tentait de négocier avec les protestataires. Grièvement brûlé sur tout le corps, il a été transporté à l’hôpital de la ville.

Emeutes de l’électricité

20 juin. A Taghit (95 km au sud de Béchar), après une coupure d’électricité de plus de 24 heures, paralysant toute l’activité de la ville et même l’alimentation en eau potable, les habitants, pour la plupart des jeunes, ont fermé les routes et mis le feu à deux bâtiments publics, les sièges de la commune et de la daïra (intercommunalité). Les émeutes ont duré 48 heures.

Après l’arrestation d’un jeune vendeur de sable

20 juin. A Ouaguenoun (Kabylie), nombreux sont les jeunes qui vivent et font vivre leurs familles de la vente du sable de construction qu’ils ramènent de l’oued Sébaou. L’extraction étant interdite, un jeune arrêté avec sa cargaison de sable a été condamné à 16 mois de prison. Cette condamnation a été le déclencheur le 20 juin d’un déferlement de centaines de jeunes qui pendant une semaine ont occupé la ville, assiégé les bâtiments publics et pris d’assaut le siège de la Brigade mobile de police judiciaire (Bmpj). Les émeutes ont fait plusieurs blessés dont un grave. Fin juin, le calme n’est toujours pas revenu à Ouaguenoun où une assemblée populaire s’efforce de rechercher un terrain d’entente entre les jeunes et les autorités. Les émeutiers demandent le départ de trois agents de la Bmpj indésirables, la libération de leurs camarades arrêtés et la garantie de ne plus être poursuivis en justice. Réponse des autorités le 2 juillet.

Immolation par le feu

6 juin. A Mascara (100 km au sud-est d’Oran), un homme de 36 ans est venu en plein centre-ville s’arroser d’essence et s’enflammer, quelques heures après le retrait de son permis de conduire par un agent de police. Il est décédé deux jours plus tard des suites de ses brûlures. On sait que ces immolations se sont multipliées depuis janvier 2011 en Algérie après les émeutes contre la vie chère qui avaient fait cinq morts.

Guérilla en Kabylie

Douze membres des forces de sécurité (policiers et militaires) sont morts ces deux derniers mois en Kabylie, à la suite d’attentats attribués à AQMI ou au GSPC : le 30 avril, 4 policiers tués à Mekla (Tizi Ouzou) ; le 4 mai, 2 militaires tués à Keddara (Boumerdès) ; les 15, 16 et 17 mai, 3 militaires tués à Azzefoun (Tizi Ouzou) ; le 15 juin, 2 policiers tués aux Ouacifs (Tizi Ouzou) ; le 21 juin 1 policier tué à Bouira. D’autres attentats n’ont fait que des blessés comme la bombe sur la route reliant Tizi Ouzou à Alger contre une patrouille de la gendarmerie le 20 juin.

De leur côté les forces de l’ordre revendiquent l’élimination d’une vingtaine de terroristes. L’opération la plus spectaculaire a entrainé la mort de onze maquisards lors d’un accrochage au cours de la nuit du 19 au 20 juin près du barrage de Taksebt, toujours en Kabylie.

Depuis des années, alors que la pression des maquis islamistes a considérablement baissé dans le reste de l’Algérie, la Kabylie reste un foyer important d’attentats et de guérilla : les services de sécurité, évaluent le maquis de Tizi Ouzou à 250 combattants, celui de Boumerdès à 80 et celui de Bouira à une cinquantaine. Certains militants du mouvement régionaliste kabyle voient dans l’insécurité persistante de leur région, le laxisme volontaire d’un état algérien désireux de voire la Kabylie, terre d’opposition, s’enfoncer dans le chaos.

Les élections législatives et après

Aux législatives du 10 mai 2012, les deux partis au pouvoir depuis 2004, le FLN (221 sièges) et le RND (70 sièges) ont renforcé leur position au parlement (l’APN) avec 291 sièges sur 462. L’alliance verte des islamistes, y compris les modérés (MSP) qui participaient au gouvernement dans la législature précédente ne totalise que 48 sièges, auxquels on peut ajouter 18 islamistes qui ne se présentaient pas sous les couleurs de la coalition. C’est un triomphe pour les nationalistes (et derrière eux l’armée et la sécurité militaire) et un échec pour les islamistes qui selon les pronostics (il n’y a pas de sondages en Algérie) devaient, comme en Tunisie et en Egypte, conquérir ou partager le pouvoir par la voie des urnes. Le FFS, pratiquement seul parti démocratique présent lors de ces élections entre au parlement avec 21 sièges.

Quand on connaît la longue tradition de fraude électorale en Algérie, ces résultats ne sauraient être considérés comme absolument fiables. La Commission nationale de surveillance des élections législatives (Cnisel) composée de représentants des 44 partis qui ont participé au scrutin, a conclu son rapport par la phrase suivante « La commission considère que les élections ont perdu leur crédibilité « . Les représentants du FLN et du RND dans la commission n’ont pas signé le rapport…

L’abstention de 57% ajoutée à la reconduite des partisans de Bouteflika révèle sans doute à la fois l’incrédulité et la peur du peuple algérien à l’égard de tout changement ; une analyse qu’on avance depuis deux ans pour expliquer l’exception algérienne restée en marge du mouvement populaire au Maghreb. L’échec des islamistes à conquérir le pouvoir par l’élection, pourrait affaiblir l’audience politique de cette mouvance mais risque aussi de faire revenir une partie de ses adeptes à des formes plus violentes de militantisme.

Cinquante jours après les élections, le pays a le même premier ministre qu’avant le scrutin (Ahmed Ouyahia, chef de file du RND), mais le gouvernement n’est toujours pas formé et l’Assemblée Nationale Populaire ne s’est toujours pas réunie. Avec l’arrivée de l’été, cette assemblée dont la principale tâche devait être de réviser la constitution, n’est apparemment pas près d’aborder les problèmes cruciaux que connaît le pays.

Le 18 juillet Laurent Fabius doit se rendre en visite officielle en Algérie. Le 28 juin, Le Monde a publié un texte de notre ministres des affaires étrangères, préconisant un « accompagnement de la nouvelle citoyenneté » qui émerge à la faveur du « printemps arabe ». Sur la même page, Dominique de Villepin prêche une « réconciliation historique » avec l’Algérie (« …comme nous l’avons fait avec l’Allemagne.  » écrit-il), clé d’une nouvelle politique arabe de la France. F. Hollande ne devrait pas tarder à traverser la Méditerranée.

Du côté des droits de l’homme

Ci-dessous, de larges extraits d’un article du journal Liberté présentant, le 26 mai 2012, le rapport sur la situation des droits de l’homme dans le monde en 2011, par Amnesty International. Rappelons que les enquêteurs d’AI sont interdits de séjour en Algérie depuis 2005.

Le rapport annuel d’Amnesty International

Dans son 50e rapport annuel sur la situation des droits de l’Homme dans le monde, Amnesty International (AI) souligne que “la situation des droits de l’Homme en Algérie est négative”…. AI estime qu’en Algérie, malgré la levée de l’État d’urgence en vigueur depuis 1992 “le gouvernement a maintenu des restrictions sévères sur la liberté d’expression, d’association et de réunion ainsi que sur les pratiques religieuses”. Allusion faite aux derniers textes de réformes de la loi sur l’information et les associations, que AI considère comme “un recul dans le respect de ces droits élémentaires.”

“Les autorités continuaient de restreindre la liberté d’expression et de prohiber les rassemblements publics non autorisés”, dénonce le rapport, qui rappelle que les manifestations du mois de janvier 2011 “ont été dispersées violemment par des milliers d’agents de la police antiémeutes et autres forces de sécurité”. Et de préciser qu’après la levée de l’état d’urgence, “les manifestations sont devenues légales dans tout le pays, hormis dans la capitale, sous réserve de l’obtention préalable d’une autorisation”.

Cette levée de l’État d’urgence qui entre dans le cadre des “réformes politiques” engagées par Bouteflika ne répond pas aux attentes des Algériens en matière des droits de l’Homme. Pour AI, “il ne sert à rien d’engager des réformes afin d’améliorer la situation socioéconomique des citoyens, et restreindre en même temps le champ de la libre expression, d’association et de réunion”. AI rappelle qu’en février 2011, un décret présidentiel a conféré à l’armée le pouvoir de lutter contre le terrorisme, dans le même temps qu’il levait l’état d’urgence.

Un autre décret présidentiel modifiant le Code de procédure pénale “a conféré aux juges le pouvoir d’astreindre pour plusieurs mois consécutifs les personnes soupçonnées d’actes de terrorisme à demeurer dans des résidences protégées, dont l’emplacement était tenu secret” ; ceci permettait, constate AI “le maintien en détention secrète pendant de longues périodes”.

Concernant la situation de la femme, le rapport indique que la femme algérienne continuait de subir des discriminations dans la législation et dans la pratique. “Aux termes du Code de la famille de 2005, les droits des femmes étaient subordonnés à ceux des hommes en matière de mariage, de divorce, de garde d’enfants et d’héritage”, estime-t-on.

“Des chrétiens, parmi lesquels des convertis, ont été persécutés pour exercice de cultes sans autorisation, aux termes de l’Ordonnance n°06-03 qui réglemente les croyances autres que la religion d’État, l’islam”, souligne encore le rapport.

Ajoutons que, après Amnesty International et le Conseil des Nations unies aux droits de l’Homme, la Confédération syndicale internationale (CSI) a dénoncé, dans son rapport 2012, les violations des droits syndicaux en Algérie commis en 2011. Ces violations, lit-on dans ce document, ont été commises aussi bien par l’État que par les employeurs. Ces atteintes vont de l’arrestation de syndicalistes au licenciement de travailleurs ayant montré leur volonté d’exercer leurs droits syndicaux, en passant par les menaces et diverses autres pressions de la part de l’État comme de certaines entreprises.

Des militants des droits de l’Homme devant la justice

Le Réseau euroméditerranéen des droits de l’Homme (Remdh), la Fédération internationale des droits de l’Homme et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ont condamné, hier, l’intensification des actes de harcèlement judiciaire à l’encontre des militants et défenseurs des droits de l’Homme en Algérie. Cette déclaration fait suite à la convocation par le tribunal de Bab El-Oued de quatre militants et défenseurs des droits de l’Homme. Il s’agit de Yacine Zaïd, syndicaliste et président de la section de Laghouat de la Laddh, de Abdou Bendjoudi, l’un des responsables du Mouvement des jeunes indépendants pour le changement (Mjic) et de Lakhdar Bouzini, membre du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap), Othmane Aouameur, membre du Réseau de défense de la liberté et des dignités (RDLD). Les quatre mis en cause sont poursuivis pour “incitation à un rassemblement non armé !”

Disparus de la décennie noire : emprisonnement de Mohamed Smaïn, membre du bureau national de la LADDH (Sur la question des disparus de la décennie noire, voir l’Eclairage de ce mois-ci)

Mohamed Smaïn (69 ans), a été arrêté et emprisonné le 19 juin à Relizane, dans l’ouest algérien. M. Smaïn est connu pour son combat inlassable aux côtés des familles de victimes de la guerre civile des années 90 En particulier, c’est lui qui a révélé dés 1999, l’existence d’une douzaine de charniers à Relizane contenant des centaines de cadavres (1). Ces massacres attribués aux islamistes par les autorités algériennes, Smaïn et les habitants de Relizane en ont, preuves à l’appui, désigné le responsable : Mohamed Fergane, maire de Relizane entre 1994 et 1998, qui, à la tête d’une « milice de patriotes » a fait régner une terreur censée contrebalancer celle des islamistes dans la région. Il faut également rappeler qu’une plainte pour actes de torture et de barbarie et crimes contre l’humanité avait été déposée en octobre 2003 à Nîmes en France par la FIDH et de la Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen (LDH), soutenue par la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), section Rélizane, contre deux membres des milices de Relizane. M. Smaïn avait été appelé à se constituer partie civile dans cette affaire.

Depuis 2001, M. Smaïn subit les assauts de la justice de son pays à la suite d’une plainte pour « dénonciation de crimes imaginaires » déposée contre lui par Fergane et ses acolytes. Pendant 10 ans les procès se sont succédés ; en octobre 2011, la Cour suprême a confirmé la condamnation de M. Smaïn à deux mois de prison ferme, 50 000 DA d’amende et 10 000 DA de dédommagement en faveur de chacun des plaignants. Une demande de surseoir à l’exécution de la peine de prison, a été déposée, faisant suite à une demande de grâce auprès du ministère de la Justice introduite par Mohamed Smaïn pour raisons de santé. C’est dans ce contexte que Mohamed Smaïn a été arrêté dans la matinée du 19 juin dernier par des agents des Brigades mobiles de la police judiciaire de la Wilaya de Relizane, sans mandat d’amener ni mandat d’arrêt. Cette arrestation fait suite au défaut de présentation de M. Smaïn, destinataire de deux convocations du Parquet général de Relizane pour se soumette à une contre expertise médicale. Or, d’après M. Smaïn, lesdites convocations ne lui sont jamais parvenues.

(1)Mohamed Smaïn (2004). Relizane : silence on tue. Editions Bouchène