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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

«On a un pacte avec le président Bouteflika» (F. Hollande) 2 janvier 2013

« Cette année 2012 n’a pas été seulement celle des scandales de corruption. Elle a été aussi celles des plus grands ratages politiques annonciateurs de nouvelles difficultés pour le pays, (…) Le scrutin législatif du 10 mai a été boudé par les électeurs, entaché de fraude et a permis au FLN de rempiler de nouveau. Inédit et plus grave, l’argent sale a servi à acheter des sièges à l’Assemblée où siègent désormais des illettrés. Et les élections locales ont obéi aux mêmes standards. Le gouvernement avait avoué que l’Algérie n’avait pas un fichier électoral exploitable, mais Paris et Washington ont salué la “réussite” de ces deux consultations. Dans le fond, ces félicitations américaines et françaises sont un affront à l’Algérie » Extrait de 2012, quel bilan ? Éditorial du Matin DZ du 31 décembre 2012.

La question du logement en Algérie concentre une bonne partie des problèmes de la société : manque d’emplois, manque de revenus, loyers inaccessibles, sur-occupation des appartements, confinement de la jeunesse, stagnation des jeunes adultes chez leurs parents, difficulté des études, vétusté et insalubrité des immeubles, accroissement des bidonvilles, insécurité, rivalités entre les plus démunis, tensions sociales, impact environnemental…

Émeutes du logement

Le mois de novembre a commencé par de violents affrontements à Seybouse, près d’Annaba, entre les forces de l’ordre et les habitants d’un immense bidonville de plus de 200 constructions illicites. Le 3 novembre les bulldozers sont entrés dans le bidonville sous haute surveillance policière. Les autorités locales n’ayant prévu aucune solution pour le relogement des habitants, la colère et le désespoir se sont transformés en violences. Une trentaine de personnes ont été interpelées. Les émeutes du logement, quotidiennes à travers tout le pays, sont généralement consécutives à la publication des listes de bénéficiaires de logements sociaux. Le 25 novembre à Draâ Ben Khedda (wilaya de Tizi Ouzou) des centaines de personnes ont manifesté pour protester contre la corruption qui conduit souvent à écarter des listes des bénéficiaires en attente parfois depuis plus de 10 ans, au bénéfice de demandeurs connus pour n’être pas dans le besoin (et qui sous-loueront les logements sociaux). Le 3 décembre, ce sont les habitants d’un bidonville de Tizi Ouzou (cité Mokadem, 165 familles) qui sont venus faire le siège de la sous-préfecture (barricades, pneus enflammés, jets de pierres) pour protester contre l’affectation à des familles d’une autre cité des logements qu’on leur avait promis pour dans deux ans. Ils ont été dispersés sans ménagement par les forces anti-émeutes. Le 9 décembre siège et fermeture (une forme d’action qui se développe actuellement) de plusieurs mairies et sous-préfectures dans le nord-est du pays, consécutives, encore une fois, à la publication de listes de bénéficiaires d’aide à l’habitat rural jugées insuffisantes et partiales par ceux qui s’appellent eux-mêmes les “candidats recalés”. Les heurts les plus violents ont eu lieu à Beïnem entrainant neuf blessés. Au centre ville de Constantine, 600 familles d’une cité délabrée (construite en 1958) attendent leur relogement depuis 1996. Le 16 décembre des centaines de jeunes de cette cité, armés de gourdins et de cocktails Molotov, ont barré les rues, incendié des pneus et se sont heurtés aux forces de sécurité toute la journée. Enfin, entre le 20 et le 26 décembre, dans la région d’Annaba on a dénombré une dizaine d’émeutes dans différentes communes, toutes provoquées par la colère de la population après la publication de listes de bénéficiaires de logements sociaux.

Des rivalités du mal-vivre. De même que les “recalés” développent de l’animosité à l’égard de ceux dont les noms figurent sur les listes de promis au relogement, les rivalités entre cités, entre bidonvilles, entre quartiers, entre villages se multiplient. C’est ainsi que la guerre est déclarée entre les étudiants logés dans des logements sociaux promis aux habitants de Bgayet (Kabylie) et ces mêmes habitants qui dénoncent par ailleurs les comportements indécents et attentatoires aux mœurs des étudiants. Les affrontements sont quotidiens. Autre exemple, le 19 novembre les protestations (routes barrées etc.) des habitants d’un village de la wilaya de Tlemcen (Zelboun) ont provoqué une réaction hostile du village d’à côté (Beni Mester), les jeunes des deux villages se sont affrontés durement. Les mêmes types d’affrontement ont régulièrement lieu entre habitants de cités délabrées et bidonvilles les uns reprochant aux autres d’être favorisés par les pouvoirs publics en matière de relogement.

Les élections locales et sénatoriales

Le 29 novembre se sont déroulées les élections aux assemblées municipales (communes) et départementales (wilaya). Taux de participation officiel : 44%. Aux élections municipales, sur les 44 partis présentant des candidats, le FLN avec 26% des voix et le RND avec 22% des voix ont obtenus la majorité des sièges, les 42 autres partis se répartissant le reste des sièges avec des scores inférieurs à 6% des suffrages. Aucune majorité ne se dégage dans 1150 communes sur les 1541 que compte le pays. Il faudra donc dans la plupart des cas que des majorités de coalition se forment pour donner un maire à la commune. La désignation des maires au sein de chaque assemblée devait être close le 14 décembre. A la fin de ce mois aucun résultat national définitif n’est encore disponible mais il semblerait que le FLN n’obtienne pas le nombre de communes qu’il espérait.

Ces élections aussi ont donné lieu à un grand nombre de fraudes avérées (voir une vidéo sur You Tube Fraude électorale à Bir Dheb Tébessa Algérie 29.11.2012 : http://youtu.be/H5s7cTnNmc0) et à des centaines d’affrontements, prises d’assaut de bureaux de votes, destructions d’urnes : un des motifs parmi beaucoup d’autres étant la dénonciation du vote des militaires que l’on a fait voter dans les régions où il sont casernés (des régions “à problèmes”, comme la Kabylie) et pas chez eux, en violation de la loi électorale. Ces affrontements ont fait des centaines de blessés.

Le 29 décembre ont eu lieu les élections au Conseil de la Nation (Sénat). 48 sièges (un par wilaya) étaient à pourvoir, les électeurs étant les membres des assemblées populaires de wilaya (assemblées départementales) élus le 29 novembre. Le FLN, malgré ses 8 000 élus locaux, n’a obtenu que 17 sièges à ces élections. Au sein du parti, certains ont dénoncé une « trahison interne » mais on parle beaucoup dans la presse de tractations mettant en jeu des sommes d’argent considérables (voir l’article de Libération du 19 décembre http://www.liberation.fr/monde/2012/12/19/en-algerie-meme-les-mairies-s-achetent_868970). Avec 24 sièges, le RND, parti du premier ministre dans le gouvernement d’avant les législatives est donc le parti majoritaire au Sénat.

Ces deux élections consacrent la position majoritaire de l’alliance présidentielle dans le paysage politique algérien, mais elles ont donné lieu avant, pendant et après les scrutins à des luttes internes aussi bien au sein du FLN qu’au sein du RND qui ouvrent les grandes manœuvres en vue de l’élection présidentielle de 2014.

Droits de l’Homme

Voir l’éclairage n° 14 mis en ligne en même temps que cette rubrique : plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme, dont la LDH et la FIDH, ont attiré l’attention du président François Hollande, sur la situation des droits en Algérie à l’occasion de sa visite officielle du 19 au 20 décembre.

Par ailleurs, Le rapport annuel 2012 sur la situation des droits de l’homme en Algérie qui sera « bientôt » soumis par la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH, ou commission Ksentini) au président Bouteflika, indique que le système judiciaire demeure un « point noir » qui entrave la réalisation de l’État de droit. Rappelons que cette commission a été créée par Bouteflika.

Terrorisme

Début décembre, un rapport publié par l’institut américain Institute for Economics and Peace (IEP, basé à New York) affirme que l’Algérie, les États-Unis et la Colombie sont les pays qui ont réalisé « la meilleure progression » au cours des dix dernières années en termes de baisse de l’impact du terrorisme. Ainsi en 2011 l’impact des actes terroristes en Algérie s’est traduit par 25 décès, alors qu’il était de 200 en 2002. On ne connaît pas les chiffres de 2012 mais rien que dans la dernière semaine, dans la région de Boumerdés, un terroriste a été abattu par les forces de sécurité dans la nuit du vendredi 28 décembre et un membre de l’ex-GSPC a été éliminé et un militaire tué dans la soirée de samedi 29. Victimes collatérales de la lutte anti-terrorisme, dans la soirée de vendredi à samedi, cinq jeunes kabyles de Vgayet se trouvant à bord d’un véhicule ont été pris pour cible par un groupe de militaires qui disent les avoir confondus avec des terroristes. Deux jeunes ont été tués par les éléments de l’armée algérienne et deux autres ont été blessés.

Hollande en Algérie

Les 19 et 20 décembre, F. Hollande a effectué un voyage d’État en Algérie. Une visite minutieusement préparée et dont l’objectif principal était de “déminer” le terrain du contentieux historique franco-algérien et de passer aux choses sérieuses : l’alliance diplomatique, la coopération économique, le partenariat commercial.

Il fallait tourner la page du traité d’amitié signé par Chirac et Bouteflika en 2003 mais jamais ratifié, de l’attitude de Sarkozy (considérée comme raciste par l’opinion algérienne) vis-à-vis de l’immigration, du vote de l’Assemblée nationale française en 2005 sur les « aspects positifs de la colonisation » etc. Le signal avait été donné le 17 octobre dernier par F. Hollande reconnaissant la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris et saluant la mémoire des dizaines de manifestants algériens (peut-être 200) tués par la police française sous l’autorité du sinistre préfet Maurice Papon.

A Alger, après l’hommage rendu au mathématicien communiste Maurice Audin (arrêté, torturé et sans doute tué par l’armée française), le moment fort du “déminage” a été la première partie du discours de F. Hollande devant les deux chambres réunies du parlement algérien. Avec clarté (« Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal […] Ce système a un nom : c’est la colonisation et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien » ), avec précision (« les massacres de Sétif, de Guelma, de Kherrata » ), sans dérobade (« la France manquait à ses valeurs universelles »), ce discours qui donnait la position de la France appelait (habilement diront certains) une attitude symétrique de l’Algérie : s’en remettre aux historiens pour établir la vérité sur le passé et sur la guerre (« La paix des mémoires à laquelle j’aspire repose sur la connaissance et la divulgation de l’histoire » , « La vérité, elle doit être dite aussi sur les circonstances dans lesquelles l’Algérie s’est délivrée du système colonial », « l’histoire, même quand elle est tragique, même quand elle est douloureuse pour nos deux pays, elle doit être dite », « une lecture objective de l’histoire loin des guerres de mémoires et des enjeux conjoncturels », « il est nécessaire que les historiens aient accès aux archives »).

Mais F. Hollande ne se rendait pas en Algérie uniquement pour solder les comptes de la période coloniale. La deuxième partie du discours devait dessiner les orientations pour le futur des relations franco-algériennes : « un nouvel âge », « une nouvelle page », « des temps nouveaux », des formules déjà beaucoup entendues ces cinquante dernières années. Ces orientations ont été formalisées dans un document signé par les deux parties : la Déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération entre la France et l’Algérie. Un partenariat stratégique y est exposé et décliné dans quatre directions : Dialogue politique, Dimension humaine (mobilité des ressortissants des deux pays), Culture et éducation, Coopération économique. Ce document cadre de partenariat sur la période 2013-2017, s’est concrétisé par l’adoption commune d’instruments d’approbation de l’accord de défense, d’un mémorandum de coopération financière, d’une convention de partenariat dans les domaines de l’agriculture, du développement rural et de l’agroalimentaire, d’une déclaration conjointe pour un partenariat industriel et productif…Une intense activité de coopération et de business dont l’avenir dira si elle profite, et comment, aux deux pays. Et surtout si elle profite au peuple algérien.

D’autres questions, à peine évoquées dans le discours du président français justifiaient aussi cette rencontre car elles étaient objet de contentieux entre les deux états : en particulier la question Syrienne et la crise du Mali. S’agissant du conflit du Mali et plus largement de la crise du Sahel, l’Algérie ne voulant pas rompre ses relations avec certains des belligérants du Nord-Mali est favorables à une solution négociée alors que la France défend l’option d’une solution militaire encadrée par l’ONU. Officiellement les positions des deux pays se seraient rapprochées et le Conseil de Sécurité a pris dans les dernières heures du déplacement de Hollande en Algérie une résolution sur le déploiement d’une force internationale au Mali.

Pour finir, on aura noté que F. Hollande n’a pas fait la moindre allusion dans son discours à la question de la démocratie et des droits de l’homme en Algérie pas plus qu’aux souffrances du peuple algérien. En revanche il a vanté à plusieurs reprises dans les interviews la stabilité du régime algérien. Les observateurs ont noté également que le Président Bouteflika s’est très peu exprimé pendant la visite et à ce jour n’a rendu publique aucune appréciation de l’état algérien sur la venue du président français et ses conséquences pour l’avenir. Un indice cependant. A Tlemcen, dans des échanges impromptus avec les journalistes, la question a été posée aux deux présidents :

Quel est votre bilan de cette visite ?

Hollande : On a un pacte avec le président Bouteflika.

Lequel ?

Bouteflika : Il fait des compliments sur moi et j’en fais sur lui (rires).

Dans la presse algérienne certains n’écartent plus l’hypothèse, encore invraisemblable il y a quelques mois, d’une candidature de Bouteflika à un quatrième mandat aux présidentielles de 2014. Quoiqu’il en soit, le président algérien a été officiellement invité à se rendre en France en 2013.

Enfin à RUSF on a retenu cette phrase du président français « Je pense aussi aux universitaires, à ces 25.000 Algériens qui étudient en France mais aussi à tous ceux qui s’intéressent en France à l’Algérie et qui veulent, là encore, nouer des relations à un niveau d’excellence. Mais, j’insiste, je souhaite que l’on accueille mieux et davantage les étudiants algériens ». On verra…