27 associations, syndicats et ONG, dont la Ligue des droits de l’Homme, appellent les députés européens à rejeter un projet d’accord commercial entre l’UE et Singapour, comparable au très contesté Ceta.
Communiqué LDH
Treize ans après l’assassinat ignoble d’Ilan Halimi, l’antisémitisme se manifeste pour ce qu’il est : lâche, ignoble, dangereux. Le 13 février 2006, on retrouvait le corps sans vie et sauvagement mutilé d’un jeune homme, assassiné après quatorze jours de torture. Pour la seule raison qu’il était juif. D’autres morts sont survenues par la suite, d’autres attentats ont ensanglanté l’actualité.
A chaque fois, la France a manifesté son effroi, sa colère et sa volonté de ne pas se laisser intimider et de rester campée sur les valeurs de la République. Au diapason de cette affirmation d’humanité, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), comme toutes les associations antiracistes, a dénoncé le crime, manifesté dans l’espace public son deuil et sa détermination, a engagé les pouvoirs publics, les citoyennes et les citoyens à ne pas baisser la garde face aux idéologies racistes, à mobiliser des moyens, pour l’éducation comme pour la répression, à s’opposer aux idéologies de divisions et de mises en opposition des uns avec les autres. Des progrès ont été faits, beaucoup restent à faire. Et le temps presse. Voilà en effet que, profitant d’une période où les pouvoirs publics, les médias, les élus nationaux et territoriaux voient leur légitimité mise en cause de façon exacerbée, des individus multiplient les provocations immondes : le mot « Juden » stigmatise, à la peinture jaune, la devanture d’une boulangerie juive, des croix gammées sont appliquées sur le visage de Simone Veil, les arbres plantés en hommage à Ilan Halimi sont tranchés. Tout cela surgit sur fond d’un déversement régulier de propos anonymes sur les réseaux sociaux, où se mêlent antisémitisme, théories conspirationnistes, propos outrageusement mensongers, alors que des slogans d’extrême droite réapparaissent sur les murs et que des quenelles sont soigneusement mises en scène à destination des médias. Aucun de ces actes ne peut être banalisé. Tous doivent être réprimés pour ce qu’ils sont. Qu’ils s’expriment sur les murs, dans les rues ou sur les réseaux, la haine et l’encouragement à passer à l’acte sont intolérables car le danger est réel : laisser faire, banaliser, c’est accepter que chacun d’entre nous puisse être menacé, insulté, agressé en raison de sa religion, de ce qu’il est, ce qu’il est supposé être…
Agir contre tous les préjugés, les révisionnismes, les fantasmes complotistes, éviter les replis communautaires obscurantistes passe donc par un effort significatif en termes de vigilance, d’interventions en milieu scolaire, de promotion de la mémoire et de sensibilisation partout, pour toutes et tous. La responsabilité des éditeurs et des diffuseurs est également à interpeller. Parce que cette mobilisation générale que la LDH appelle de ses vœux est une mobilisation pour la liberté de tous et de chacun, elle exclut toute instrumentalisation au service de telle ou telle considération de tactique politicienne, d’une quelconque volonté de limitation des libertés publiques.
La LDH poursuivra inlassablement son action dans ce sens. C’est le combat commun de toutes celles et tous ceux qui s’attachent à faire vivre au quotidien l’idéal républicain de la fraternité, de l’égalité et de la liberté.
Paris, le 13 février 2019
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Tribune de Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH
L’invraisemblable tentative du procureur de Paris d’effectuer une perquisition dans les locaux de Mediapart ne se résume pas en une énième tentative de porter atteinte au secret des sources des journalistes et donc à la liberté de la presse. Elle révèle une dégradation profonde des libertés au travers d’un parquet devenu omnipotent.
Pour bien mesurer la démarche du procureur de Paris, rappelons qu’en l’absence d’’autorisation du juge des libertés, au surplus probablement impossible à obtenir dans le cas d’espèce, la venue de deux substituts et de plusieurs policiers dans les locaux de Mediapart allait, à l’évidence, se heurter au refus des journalistes. A-t-il pensé que les responsables du journal ignoraient le droit ? A-t-il été naïf au point d’imaginer qu’ils auraient peur ? Quelles qu’en soient les raisons, le procureur de la République de Paris s’est cru en mesure de faire pression comme si son statut l’autorisait à passer outre le droit, en quelque sorte à tenter le coup.
Au-delà de l’équation particulière qui définit le poste de procureur de la République de Paris, dont le pouvoir exécutif a pu, sans pudeur excessive, exiger qu’il soit occupé par un homme avec lequel il se sente en confiance, c’est bien le statut général du Parquet et sa place dans l’institution judiciaire qui sont en cause.
Un président de la tristement célèbre Cour de sureté de l’Etat se gaussait des attaques régulièrement proférées à l’encontre du manque d’indépendance de cette juridiction d’exception. Il soutenait, et c’était probablement exact, qu’il n’avait jamais reçu d’instructions et qu’il n’en avait jamais sollicité.
La question n’est en effet pas de jauger la capacité individuelle de chacun à être indépendant, à mettre en jeu sa carrière pour le rester, mais bien d’un processus systémique qui fait du Parquet français un acteur lié au pouvoir exécutif et surplombant toute l’institution judiciaire. C’est d’abord le statut même du Parquet qui est en cause. Le Parquet, en raison de la volonté des responsables politiques, n’a jamais pu couper le cordon ombilical avec le pouvoir exécutif. Ceci se traduit par sa soumission à une hiérarchie, le respect des instructions de politique pénale du ministre de la Justice et des conditions de nomination le rendant encore plus dépendant,
Nonobstant la décision du Conseil constitutionnel qui reconnaît son indépendance, c’est bien la Cour européenne des droits de l’Homme qui considère que, dans sa structure, le Parquet français « reste sous la dépendance du pouvoir exécutif »[1] (Moulin C/ France CEDH 23/11/2010)
Et l’on voit bien dans la pratique quotidienne que le Parquet épouse étroitement, de manière générale, les désirs gouvernementaux au point de forcer, parfois, le sens de la loi. C’est ainsi qu’on a vu le prédécesseur de l’actuel procureur de Paris prendre des réquisitions répétées pour autoriser les forces de l’ordre à effectuer des contrôles d’identité dans les lieux où pouvaient se trouver des étrangers en situation irrégulière. Cet objectif n’est pourtant pas visé par l’article 78-2-2 du code de procédure pénale. Saisi par plusieurs associations, il répondit par une lettre ou la morgue le disputait au mépris. Il pouvait se le permettre, aucun recours n’était ouvert contre ce détournement de la loi.
Et c’est à son successeur que la nouvelle mouture de la loi « anticasseurs » prétend confier le pouvoir de prendre des réquisitions permettant la fouille préalable et le contrôle des manifestants, c’est-à-dire interdire de fait de manifester. Lequel successeur a déjà donné des instructions pour ficher un maximum de manifestants, au bénéfice d’une interprétation très extensive de la loi !
Les pouvoirs conférés au Parquet n’ont cessé et ne vont cesser de croître si le projet de loi sur la justice est adopté.
Le Parquet, pourtant organe de poursuite, a ainsi acquis des pouvoirs d’investigation et de coercition jusqu’alors dévolu aux juges du siège.
Certes, j’entends bien l’argument ressassé jusqu’à l’infini, y compris par le Conseil constitutionnel, que nombre des pouvoirs d’investigation du Parquet (une perquisition en enquête préliminaire par exemple) sont soumis à l’autorisation préalable du juge des libertés. Ce dernier est même devenu une sorte de mantra qui autorise la juridiction constitutionnelle à valider tous les pouvoirs reconnus au Parquet au seul motif qu’ils sont contrôlés par un juge du siège.
A y regarder de plus près, cette argumentation est une tartufferie. C’est oublier d’abord le manque de moyens et de temps que subissent les juges des libertés. Dans bien des juridictions, ils n’exercent cette fonction qu’à temps partiel.
C’est surtout oublier que celui ou celle qui est chargé d’accepter ou de refuser une requête du Parquet reçoit un dossier uniquement bâti sur des renseignements policiers, par hypothèse à charge ; aucun débat contradictoire n’est possible. C’est le juge des libertés qui dans son fort intérieur doit contredire le Parquet et prendre sa décision, le tout dans des délais extrêmement brefs qui n’autorisent pas vraiment à réclamer des informations complémentaires ou à prendre le temps de la réflexion.
Nul besoin de mettre en cause la conscience professionnelle ou l’indépendance de ceux et celles qui exercent cette fonction : le système et les conditions d’exercice suffisent à faire du juge des libertés, dans son rôle de contrôle du Parquet, et sauf abnégation particulière, un alibi.
Mais au-delà d’un dispositif institutionnel qui mêle dépendance et toute puissance, les attitudes individuelles trouvent aussi leur place.
Je me souviens de ce procureur qui avait imaginé intenter des poursuites contre le président de la section de la LDH de Limoges. Motif ? La section avait organisé une commission d’enquête sur une bavure policière. Cela aurait été constitutif d’une « usurpation de fonction » qui aurait justifié un rappel à la loi. L’entretien fût vif, le rappel à la loi refusé et mis au défi d’entamer des poursuites, le procureur alors en poste à Limoges, pris, avec prudence la décision de se replier dans l’inaction.
Il reste que ce parquetier, comme son homologue parisien, avait tenté le coup, assuré qu’il n’en subirait lui aussi aucune conséquence.
Quant au procureur de Toulon, qui songera à lui reprocher d’avoir exonéré un policier de toute accusation de violences lors d’une des dernières manifestations avant d’être obligé de se reprendre et d’ouvrir une enquête devant la violence des images ?
Et ce type d’attitude est appelé à prospérer dès lors que les actes du Parquet ne sont pas susceptibles d’engager directement leur responsabilité.
Contrairement aux objectifs que lui impose théoriquement son statut, le Parquet n’est que rarement « protecteur des libertés » faisant prévaloir avant tout son rôle d’accusateur mais surtout son rôle de rempart de l’ordre établi.
C’est donc l’équilibre de toute l’institution judiciaire qui est bouleversé par l’hypertrophie des pouvoirs du Parquet avec d’autant plus de force qu’elle a été, par ailleurs, dépossédée d’une partie de ses attributions au bénéfice des juridictions administratives. Le projet de loi « anticasseurs » en étant la dernière illustration.
On ne fera donc pas l’économie d’un changement profond, consacrant sans aucun doute l’indépendance du Parquet, mais aussi rétablissant un équilibre des pouvoirs judiciaires aujourd’hui disparu et, enfin, en s’interrogeant sur la manière d’appliquer l’article 15 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel « La société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »
Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH
Paris, le 11 février 2019
[1] « Le représentant du ministère public français ne peut être assimilé à « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », comme la Cour l’a indiqué dans son arrêt Schiesser précité, et surtout confirmé dans l’affaire Huber c. Suisse (23 octobre 1990, série A no 188) et dans sa jurisprudence depuis trente ans. Précisément au critère fonctionnel élaboré par la Cour, le gouvernement oppose un critère purement formel radicalement inopérant pour modifier la jurisprudence de la Cour. Le parquet, partie au procès, engage les poursuites et reste sous la dépendance du pouvoir exécutif. »
Source: 11 février – Tribune de Michel Tubiana « L’hubris d’un procureur » publié dans Mediapart
Tribune collective signée par Malik Salemkour, président de la LDH et Françoise Dumont, présidente d’honneur de la LDH
Lors des débats parlementaires sur le projet de loi de programmation 2018-2022 pour la justice, la garde des sceaux a déposé un amendement de dernière minute visant à obtenir une habilitation pour réformer la justice des enfants par voie d’ordonnance et rédiger un code pénal des mineurs. L’amendement a été adopté le 23 novembre 2018 et légèrement rectifié le 23 janvier lors de l’examen, puis de l’adoption du texte de loi en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale. Ce texte doit être examiné, en nouvelle lecture également, par le Sénat à partir du 12 février.
27 associations, syndicats et ONG, dont la Ligue des droits de l’Homme, appellent les députés européens à rejeter un projet d’accord commercial entre l’UE et Singapour, comparable au très contesté Ceta.
Droits de l’homme dans le monde
Source: Campements, loterie, service payant : le système d’asile ne répond plus
Communiqué commun
Le 7 février 2019 à 9h30, le tribunal administratif de Lille tranchera sur la légalité de l’évacuation menée à Grande-Synthe le 19 septembre 2017. 600 personnes, alors présentes sur la commune, avaient été évacuées par les forces de l’ordre et contraintes de monter dans les bus spécialement affrétés pour les acheminer vers des centres d’accueil et d’orientation (CAO).
Si une solution d’hébergement était demandée pour ces personnes vivant dans des conditions indignes dans les bois du Puythouck, l’opération menée, qualifiée de « mise à l’abri » par les autorités, s’est apparentée en réalité à une évacuation forcée. Encerclées par les forces de l’ordre et menacées d’arrestation en cas de refus d’obtempérer, les personnes n’ont pas pu librement choisir de monter dans les cars. Les tentes, sacs de couchages, couvertures, ainsi que certains effets personnels, ont été détruits et plusieurs personnes ont été placées en rétention.
Dès le lendemain de l’évacuation, les premières familles, totalement démunies, ont commencé à revenir. Une semaine après, plus de 400 personnes étaient de retour.
Pour procéder à cette évacuation, le préfet du Nord s’était appuyé sur un arrêté en date du 13 septembre 2017 fondé sur des dispositions de l’article 8-1 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence*, autorisant les services de police à procéder à des contrôles d’identité sur la zone. C’est aussi sur ce prétexte que pendant toute la durée de l’évacuation, les intervenants associatifs se sont vus refuser l’accès à toute la zone sécurisée par les forces de l’ordre.
En procédant ainsi, le préfet du Nord a détourné les mesures relevant de l’état d’urgence à des fins de gestion des questions migratoires. Il a également commis un détournement de procédure, l’évacuation du terrain s’étant faite de manière illégale faute d’avoir été autorisé par une décision de justice ou par un arrêté municipal fondé sur les pouvoirs de police du maire. C’est pourquoi nos associations, en soutien de 3 personnes visées par l’évacuation, ont saisi le tribunal administratif de Lille.
Depuis, l’histoire se répète sur la commune de Grande-Synthe comme sur d’autres territoires du littoral. Les opérations d’évacuation des lieux de vie se sont multipliées et intensifiées, y compris en cette période hivernale. Une quarantaine d’expulsions de terrain ont eu lieu depuis le mois de mai 2018, dont une dizaine depuis le début de l’année 2019.
Si le préfet du Nord ne peut plus se fonder sur l’état d’urgence, ces opérations n’en continuent pas moins, et pour reprendre les mots du Défenseur des Droits**, dans un « cadre légal indéterminé », autrement dit en toute illégalité, privant en outre les personnes évacuées de l’accompagnement auquel elles pourraient prétendre, de la compréhension de l’opération et de la possibilité de la contester. Elles ne font que déplacer le problème et ajouter de la précarité à la précarité.
Environ 400 personnes sont actuellement présentes sur la commune de Grande-Synthe. 200 d’entre elles sont accueillies dans deux lieux municipaux (un gymnase pour les hommes seuls, qu’ils soient majeurs ou mineurs, et un centre aéré pour les familles) que la mairie a ouvert fin décembre en raison de la baisse des températures. Les autres sont soit installées aux abords du gymnase, soit continuent de vivre cachés dans les bois du Puythouck.
Comme ne cessent de le répéter les associations engagées sur le littoral dunkerquois, il est indispensable que soient proposées à Grande-Synthe des solutions d’hébergement adaptées et durables et que les personnes puissent accéder à leurs droits fondamentaux, en application de la loi et en accord avec les préconisations du Défenseur des droits**. Tant que ces propositions ajustées ne sont pas faites et expressément acceptées par les intéréssé-e-s, toute opération d’expulsion doit être proscrite, en respect de la circulaire du 25 janvier 2018***.
Il est également nécessaire de suspendre l’application du règlement Dublin III, pour que les personnes présentes à Grande-Synthe, qui selon la préfecture auraient plus de 80 % de chance d’obtenir l’asile, puissent voir leur demande de protection examinée en France et non être renvoyées vers un autre pays européen.
Les associations requérantes ou intervenantes volontaires : Fondation Abbé Pierre, Le Gisti, La Cimade Nord Picardie, Médecins du monde, Salam Nord/Pas-de-Calais, Ligue des droits de l’Homme.
Soutenues par : l’Auberge des migrants, DROP Solidarités, SAVE, Adra France antenne de Dunkerque, AMiS, Mrap-Littoral, Refugee Women’s Centre.
Paris, le 6 février 2019
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________________________
*Supprimé depuis
**Rapport Exilés et droits fondamentaux, trois ans après le rapport Calais – décembre 2018
***Instruction du gouvernement du 25 janvier 2018 visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles
Source: Grande-Synthe : le respect du droit n’est pas une option
Communiqué LDH
Une enquête préliminaire a été ouverte aujourd’hui à la suite du signalement de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et du Syndicat des avocats de France (Saf) concernant les infractions imputées à des représentants de l’Etat, des fonctionnaires de la police aux frontières et au préfet des Alpes-Maritimes à l’encontre des migrants franchissant la frontière franco-italienne de Vintimille-Menton, lesquelles apparaissent comme une violence supplémentaire dans leur parcours.
Ces infractions, sur des majeurs comme des mineurs, ont été constatées tant par des parlementaires, que des membres de la société civile et des organisations des droits de l’Homme, lors d’une mission exploratoire menée à la frontière franco-italienne du 15 au 20 mai 2017 :
– obstruction à l’exécution de la loi par le préfet des Alpes-Maritimes qui continue les reconduites à la frontière des personnes en demande d’asile « migrantes » en dépit des décisions du tribunal administratif ; les décisions ne concernaient-elles pas uniquement la question de l’asile ?
– violation de libertés individuelles sur des mineurs et majeurs, et notamment des mesures de privation de liberté exécutées en dehors de tout cadre légal ;
– délaissement de mineurs ;
– faux et usage de faux par personnes dépositaires de l’autorité publique sur mineur et en réunion…
Ces infractions, qui vont à l’encontre des droits des personnes, sont d’autant plus graves qu’elles sont commises par ceux qui sont censés faire appliquer la loi, et d’autant plus révoltantes qu’elles touchent aussi des enfants, parfois de moins de 15 ans.
La LDH se félicite de l’ouverture de cette enquête. Elle espère que celle-ci conduira à des poursuites pénales, mais plus encore à des changements profonds pour une politique migratoire respectueuse des droits fondamentaux.
Paris, le 5 février 2019
Source: Violences policières et administratives contre des migrants : une enquête préliminaire à Menton
Communiqué LDH
Josette Audin est décédée samedi 2 février à l’âge de 87 ans, après avoir mené pendant soixante-et-un ans un combat inlassable pour obtenir la vérité sur la mort de son mari, Maurice Audin, enlevé, torturé et assassiné à Alger en juin 1957 par des militaires français durant la guerre d’Algérie. La Ligue des droits de l’Homme (LDH) salue la mémoire de cette grande militante de la justice et adresse à sa famille et à ses proches ses plus sincères condoléances.
Dès la publication du livre L’Affaire Audin de Pierre Vidal-Naquet en mai 1958, la LDH, avec son président Daniel Mayer, s’est engagée fortement, aux côtés du Comité Maurice-Audin, pour que la vérité soit reconnue sur sa disparition et aussi pour dénoncer la pratique de la torture par l’armée française en Algérie. Depuis, avec Josette Audin, elle n’a cessé de prendre des initiatives pour obtenir la fin d’un mensonge d’Etat qui prétendait que Maurice Audin s’était évadé. Enfin, le 13 septembre 2018, le président de la République, Emmanuel Macron, a rencontré Josette Audin à son domicile pour lui demander pardon au nom de la France et a publié une déclaration importante reconnaissant non seulement la responsabilité de l’armée française dans sa mort mais aussi la pratique systématique de la torture par l’armée française dans cette période. Ainsi, la détermination constante de Josette Audin et de ses soutiens a permis le rétablissement de la vérité sur le triste sort de Maurice Audin, sans oublier qu’il a été l’une des milliers de victimes de cette répression massive qu’on a appelée la « bataille d’Alger », pendant le premier semestre de 1957.
La persévérance exemplaire de Josette Audin a ouvert la voie de la justice et de la vérité sur une période sombre de l’histoire de France. Son combat est à poursuivre en fidélité à son engagement. Avec l’Association Maurice-Audin, la LDH demande que la vérité soit maintenant dite sur ces milliers de disparitions et soutient le site Internet 1000autres.org, qu’elle a créé pour documenter leurs cas. Au moment où la pratique de la torture suscite encore des justifications scandaleuses, il ne s’agit pas seulement de reconnaître une page de notre passé, c’est aussi un enjeu de notre présent.
Paris, le 4 février 2019
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Source: Hommage à Josette Audin
Suite de la table ronde du 30 janvier 2019 sur le projet de loi de programmation pour la justice devant la Commission des lois du Sénat
Au-delà des organisations invitées aujourd’hui, qui représentent les acteurs de la justice en juridiction au sens strict, le projet de loi de programmation pour la justice suscite une opposition large au sein des acteurs du monde de la justice dans son ensemble. Ainsi, par cette déclaration commune, ce sont, en plus de la CGT chancellerie et services judiciaires, de la CFDT, de l’Unsa services judiciaires, du SDGF‐FO, de la Conférence des Bâtonniers, du Barreau de Paris, de la FNUJA, du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature, présents à cette table ronde, également le SNPES‐PJJ, le SNEPAP, la CGT insertion et probation, la CGT‐PJJ, Solidaires, la Ligue des droits de l’Homme, le Genepi et l’Observatoire international des prisons qui expriment leur opposition à un texte qui va dégrader considérablement les conditions dans lesquelles la justice sera rendue en France.
Cette mobilisation générale du monde de la justice s’est concrétisée le 15 janvier dernier par une manifestation qui a regroupé 8 000 professionnels et citoyens qui refusent de voir leur justice être ainsi dégradée.
Nous n’agissons pas par corporatisme, bien au contraire. Nos organisations représentent des professions et des positions différentes, dont les intérêts ne se recoupent pas nécessairement, voire divergent. Mais ce ne sont pas ces intérêts propres qui nous mobilisent, et qui nous ont réunis le 15 janvier. Ce qui nous rassemble est bien au‐delà des intérêts de chacune de nos professions ou de nos organisations, c’est la défense d’une justice de qualité, égale pour tous, protectrice des libertés, et rendue dans des conditions respectueuses des justiciables.
Nous n’agissons pas non plus par conservatisme, bien au contraire. Nous voyons mieux que quiconque les faiblesses et les insuffisances d’un service public de la justice exsangue : notre point commun est de les vivre au quotidien, face aux justiciables.
La France compte 10 juges, 3 procureurs et 34 greffiers pour 100 000 habitants, contre une moyenne de 22 juges, 11,7 procureurs et 69,6 greffiers parmi les 45 Etats du Conseil de l’Europe. Le budget que la France alloue à ses services judiciaires est de 65,9 euros par habitant. En Europe occidentale, seuls la Grèce, l’Irlande et le Portugal font moins. L’Allemagne fait presque le double. Et nous ne pouvons pas entendre que l’argent manquerait : avec 0,20 % de son PIB consacré à la justice contre une moyenne de 0,31 %, la France est au fond du classement du Conseil de l’Europe. 37ème sur 42. Derrière des Etats comme la Moldavie, l’Ukraine, l’Albanie, la Turquie, la Russie ou la Bosnie-Herzégovine. Le fait d’allouer une part si faible de la richesse nationale à la justice est un choix politique délibéré.
Dans ces conditions, les incantations au « mieux avec moins » sont inaudibles, voire violentes. Allez dire à un procureur français qu’il doit être plus efficace, alors qu’il traite 3 465 procédures par an contre une moyenne de 578 en Europe !
Le projet de loi feint de répondre à cette urgence, en prévoyant une augmentation de 24 % du budget du ministère de la justice et la création de 6 500 emplois d’ici 2022. Mais ces ressources sont presque intégralement consacrées à l’administration pénitentiaire, et n’amélioreront en rien la manière dont est rendue la justice. Derrière les éléments de langage, les actes : le budget des services judiciaires pour 2019 est en augmentation de 1,72 % pour l’année 2019, pour une inflation de 1,8 % en 2018. Donc en euros constants, il baisse.
Le projet de loi de programmation n’a pas pour objet de donner au service public de la justice les moyens de remplir ses missions. Et encore moins d’améliorer le service apporté au justiciable. Au contraire, cette ensemble hétéroclite de mesures qui touchent des domaines très divers est traversé par une logique d’une certaine cohérence : c’est une loi de rationnement, dont l’objet est d’organiser la pénurie, et de la concilier avec un certain niveau de productivité, en sacrifiant tout ce qui peut l’être, au mépris du sens même du service public de la justice.
‐ Sacrifier l’accès de tous à la justice avec l’idée à peine dissimulée, et déjà expérimentée avec les conseils des prud’hommes, qu’une justice moins accessible est une justice moins saisie, donc moins chargée. La dématérialisation non contrôlée sans prise en compte de la fracture numérique, la suppression des tribunaux d’instance qui porte en germe la dévitalisation de la justice de proximité, la mise en place de « pôles de compétence » civils qui entraîneront un éloignement géographique, l’absorption des greffes des conseils des prud’hommes par le tribunal judiciaire, qui videra les CPH de leur substance… s’inscrivent dans cette logique.
‐ Sacrifier la qualité du débat judiciaire, avec l’idée que l’audience judiciaire serait un luxe coûteux dont il faudrait faire usage avec parcimonie. Au pénal, c’est l’expérimentation d’une justice criminelle sans jurés, le développement du recours imposé à la visio‐conférence, et la généralisation des réponses simplifiées et superficielles et de l’audience à juge unique, au détriment du débat judiciaire collégial. Au civil, c’est l’instauration d’une procédure sans contact humain pour les « petits litiges » et la création d’une « juridiction nationale des injonctions de payer », véritable distributeur automatique au service des organismes de crédit.
‐ Sacrifier des missions de l’autorité judiciaire, faisant fi du rôle protecteur de l’autorité judiciaire. En matière civile, des missions sont privatisées, en confiant des prérogatives aux CAF en matière de révision des pensions alimentaires ou en imposant le recours obligatoire à des plateformes privées et payantes de médiation. En matière pénale, des missions pourtant essentielles de contrôle de l’autorité judiciaire sur l’activité des services de police sont purement et simplement abandonnées.
Au‐delà de cette logique de rationnement, le texte marque, à rebours des éléments de langage, un biais bien peu favorable aux libertés :
‐ La baisse généralisée des seuils de recours aux techniques d’enquête intrusives et leur extension dans le cadre beaucoup moins protecteur de l’enquête préliminaire marquent un recul fort de la protection des libertés publiques et des droits de la défense, auquel le Sénat a été particulièrement sensible en première lecture.
‐ La construction prévue de nombreuses places de prison, la réduction des possibilités d’aménagement de peine ab initio et la mise en place de mandats de dépôt « différés » conduiront à l’augmentation des incarcérations. La construction annoncée de 20 nouveaux centres éducatifs fermés, structures qui ont pourtant largement montré leurs limites et leurs défaut, participe de la même logique de promotion de l’enfermement.
‐ Enfin, le vote par surprise et dans l’improvisation le plus totale d’une habilitation du gouvernement à réformer en totalité la justice pénale des enfants et des adolescents par voie d’ordonnance, sans réflexion ni débat laisse craindre le pire.
En tous domaines, le texte entérine un retrait et un affaiblissement de la justice, dans le seul souci d’économies de bouts de chandelle.
Si nous sommes mobilisés ensemble, ce n’est pas pour défendre des intérêts catégoriels mais pour défendre le sens même de nos professions, qui est attaqué par ce texte. Si la justice ne représente plus un moyen accessible à tous de régler les litiges par le droit, après avoir entendu les parties, le risque est fort de voir les conflits aujourd’hui régulés par l’autorité judiciaire s’exprimer par des moyens beaucoup moins respectueux de l’intérêt général.
Paris, le 31 janvier 2019
Signataires : CGT chancellerie et services judiciaires, CFDT, Unsa services judiciaires,SDGF‐FO, Conférence des Bâtonniers, Barreau de Paris, FNUJA, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature, SNPES‐PJJ, SNEPAP, CGT insertion et probation, CGT‐PJJ, Union syndicale Solidaires, Ligue des droits de l’Homme, Genepi, Observatoire international des prisons
Source: Déclaration liminaire commune sur le projet de loi de programmation pour la justice