Twitter Facebook Accueil

Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

A la veille des élections législatives : une société sans illusions (02 – mars, avril 2012) 3 mai 2012

Mort de Ahmed Ben Bella, cinquantième anniversaire de l’indépendance, prise en otages du consul d’Algérie à Goa par les islamistes qui annexent le nord-Mali et même élections législatives du 10 mai : aucun de ces événements ne sort les algériens de leur résignation devant les difficultés et les violences de la vie quotidienne.

Front social et vie quotidienne

Il y a un an, les dernières braises du mouvement citoyen qui avait donné naissance à la CNCD (Coordination nationale pour le changement et la démocratie) s’étouffaient lentement et la société algérienne renouait avec ses rites protestataires suscités par les difficultés de la vie quotidienne, économique et sociale. Rien n’a changé depuis. Sur le front de la vie quotidienne, les émeutes et protestations populaires (logement, services publics, emploi…) continuent de faire l’actualité à Alger comme dans les villages les plus reculés. Dernier événement en date, des échauffourées ont opposé dimanche 29/04 les forces de l’ordre à plusieurs jeunes à Jijel (360 km à l’est d’Alger) après qu’un vendeur a tenté de s’immoler par le feu pour protester contre la démolition de son local commercial de fortune. Sur le front social, les revendications sectorielles, incessantes depuis les promesses gouvernementales consécutives au printemps arabe, sont réactivées par la période électorale, propice aux engagements clientélistes. Chaque jour, les syndicats de la santé, de l’éducation, des collectivités locales, de la justice et d’autres corporations organisent des grèves, des sit-in et des marches dans les rues des principales villes du pays et devant les ministères à Alger.

Mais en ce printemps 2012, deux actualités dominent la vie quotidienne des algériens : la flambée des prix sur les produits alimentaires et la violence dans les stades de football.

Depuis plus d’un mois, les prix des fruits et légumes ont augmenté de façon spectaculaire. La pomme de terre, aliment de base, a quasiment quadruplé. Outre les fruits et légumes frais, c’est tout le marché de détail des produits alimentaires qui connaît un emballement des prix y compris les légumes secs (pois chiches, haricots blancs, lentilles), les produits laitiers (fromages, yaourts…), les céréales, les viandes, la sardine…. A l’origine de ces hausses, les intempéries de fin février qui ont entrainé une baisse des récolte, suivie d’une spéculation aggravée par la multiplicité des intermédiaires tout au long des chaînes de distribution. En pleine campagne électorale, ces difficultés, qui touchent les plus pauvres du pays, nourrissent les diatribes contre les gouvernants (“Ils n’ont même pas prévu la flambée des prix de la pomme de terre ; comment peuvent-ils planifier l’avenir des générations”.) ; on a même vu la pomme de terre s’inviter sur les affiches électorales de certains partis.

Dans la même période (mars-avril), la fin du championnat national de football et la Coupe d’Algérie ont donné lieu à des déchainements de violence et des affrontements très durs entre supporters, et avec les forces de police. A Saïda, le 14 avril, les joueurs de l’USM Alger, à peine le match terminé, ont été attaqués à l’arme blanche par les supporters de l’équipe locale. Six joueurs, ainsi qu’un dirigeant du club algérois ont été blessés par les coups de couteau qui pleuvaient sur eux. Ils ont dû être hospitalisés alors que les supporters ont poursuivi leurs actes de vandalisme en dehors du stade. Le phénomène s’est renouvelé à l’occasion d’un grand nombre de matchs. Le vendredi 20 avril, plus de 10 mille policiers ont été mobilisés pour encadrer la première demi-finale de la coupe d’Algérie. Cette situation ne surprend pas Youcef Fates, politologue français d’origine algérienne, et maître de conférences à Paris-X, interviewé par le journal Jeune Afrique : « Ce que l’on observe dans les stades reflète le désarroi d’une partie de la jeunesse, issue d’une société dont les transitions se sont toujours faites dans la violence »

Dans le climat décrit ci-dessus, des événements comme la mort de Ben Bella (survenue le 11 avril) ou le cinquantenaire de l’indépendance, passent au second plan des préoccupations des algériens. On peut en dire autant des élections législatives qui s’annoncent.

Elections législatives

Le 10 mai prochain, près de 22 millions d’électeurs algériens seront appelés aux urnes pour élire leurs nouveaux députés, et leur donner un mandat de 5 ans. 25 800 candidats, représentant 44 partis politiques, brigueront les 462 sièges que comptera alors l’Assemblée Populaire Nationale (contre 389 dans l’assemblée actuelle). Combien d’électeurs iront voter ? Fin mars, une enquête révélait que 56 % des algériens seulement savaient qu’il y aurait des élections législatives le 10 mai. Selon la même enquête, la participation atteindrait 44%, chiffre qui semble très surestimé : le taux de participation officiel lors des élections de mai 2007 était de 35 % alors qu’en réalité le chiffre ne dépassait guère les 20 %. Outre l’incrédulité massive de la population à l’égard de la politique et des politiciens, l’existence notoire de fraudes, élection après élection, n’encourage pas l’exercice civique. Pour cette élection, deux commissions nationales seront chargées de veiller à la régularité des opérations de vote, et 500 observateurs étrangers s’efforceront, en vain comme dans les précédentes élections, de scruter le fonctionnement de plus de 48 000 bureaux de votes.

A quelques jours de l’élection comment se présente le rapport des forces politiques ? (cf. Eclairage n° 7 pour la présentation des partis politiques mentionnés ci-dessous).

On se rappelle que la coalition parlementaire et de gouvernement qui a dirigé le pays ces 5 dernières années a subi un premier éclatement avec la rupture du Mouvement de la société pour la paix (MSP) en janvier dernier.

Le 7 mars, le MSP, le parti El Islah et le parti Ennahda, trois formations islamistes, ont officiellement annoncé la création de l’ »Alliance de l’Algérie Verte » en vue des législatives, en avançant un programme unique et des listes communes. L’Alliance verte (rien à voir avec nos écologistes, le vert est un des symboles de l’islam) se présente comme l’équivalent des partis religieux qui sont arrivés au pouvoir par les urnes dans les autres pays du Maghreb, à la suite du printemps arabe. Deux autres partis islamistes n’ont pas rejoint l’Alliance et iront aux élections sous leur propre bannière : il s’agit du Front pour la justice et le développement (FJD), populaire dans les milieux intellectuels et universitaires, et du Front du changement (FC), récemment créé et dissident du MSP.

Le FLN, premier parti de l’actuel parlement, apparaît profondément divisé et son secrétaire général, A. Belkhadem, fortement contesté (cf. Le Monde du 21 avril). Il s’en est fallu de peu que ce dernier soit destitué par les membres du comité central du parti. Les contestataires lui reprochent d’avoir, à l’occasion de la constitution des listes de candidats, écarté des figures du parti et « islamisé » la représentation de ce même parti dans la perspective de préparer sa propre candidature à l’élection présidentielle de 2014.

Le Rassemblement national démocratique (RND) est le deuxième parti représenté dans le parlement actuel. Son leader, Ahmed Ouyahia, fort de l’image et de l’expérience que lui a donné son statut de Premier ministre mène une campagne technique et moderniste mais résolument nationaliste.

Du côté des partis de gauche, le Front des forces socialistes (FFS), le plus ancien parti d’opposition en Algérie, présentera des candidats. Il avait boycotté les élections législatives de 2002 et de 2007, ainsi que l’élection présidentielle de 2009. Parti laïc et fortement présent et populaire en Kabylie, le FFS participe cette année aux élections pour proposer une « construction pacifique de l’alternative démocratique ». A signaler que la tête de liste du FFS dans la capitale est Mustapha Bouchachi, l’ex-président de la Ligue algérienne des droits de l’Homme. De son côté, le Parti des travailleurs (PT) de Louisa Hanoune creuse son sillon de parti anti-capitaliste et dénonce l’emprise des multinationales sur l’économie algérienne, emprise favorisée par une classe politique corrompue.

Aucun sondage en Algérie ne permet d’anticiper les résultats de ce scrutin qui aura lieu dans quelques jours. Les « nationalistes » (FLN et RND) pourraient garder la majorité, mais il est probable que les islamistes auront un nombre important de députés ; des islamistes dont le discours n’a plus grand’chose de commun avec celui du FIS en janvier 1992, et dont la victoire électorale n’entrainera pas l’intervention de l’armée.

Mali

Peu de temps après le putsch militaire du 21 mars au Mali, les rebelles touaregs (MNLA : Mouvement national de libération de l’Azawad) ont ouvert la porte à la domination du Nord-Mali (Azawad) par les groupes salafistes et terroristes de la mouvance Aqmi. Ces groupes, pourchassés par l’armée algérienne et puissamment armés depuis le conflit lybien, se trouvent maintenant à l’abri derrière une frontière et occupent un territoire plus grand que la France, territoire qui menace de devenir un nouvel Afghanistan au cœur du Sahel. Il suffit de regarder une carte du nord de l’Afrique pour constater que l’Algérie a une frontière commune avec tous les pays du Maghreb et du Sahel. Tous ces pays, y compris ceux qui ont connu le printemps arabe et qui ont mis des islamistes au pouvoir, se réjouiraient que l’Algérie, la plus importante puissance militaire d’Afrique, les protège du terrorisme islamiste. L’enlèvement, le 5 avril, du consul d’Algérie et de six de ses collaborateurs à Gao, par le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest) aurait pu conduire le gouvernement et l’armée, en cette période d’élections législatives, à exploiter la fibre nationaliste des algériens en dramatisant la situation dans le sud. Il n’en a rien été, l’Algérie a dit qu’elle refusait d’opérer hors de ses frontières. On annonce la libération des otages algériens pour la fin avril.

Du côté de la LADDH

D’abord, bref retour sur les organisation de défense des droits de l’homme en Algérie. Il y a de quoi s’y perdre, dans la presse et sur les sites. Ces précisions complètent –et corrigent !- celles déjà données dans le tout premier Eclairage de 2011.

La CNCPPDH (Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme) est une organisation gouvernementale fortement critiquée par le CIC (Comité International de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme) aux motifs suivants : sujétion de la Commission au pouvoir exécutif, absence de transparence dans la nomination de ses membres, manque de coopération avec les organes de l’ONU et avec les ONG indépendantes de défense des droits de l’homme.

La LADDH (Ligue algérienne de défense des droits de l’homme) créée en1985 est affiliée à la FIDH (Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme). Sa légitimité est largement reconnue ; elle a été un des principaux acteurs du printemps algérien de 2011, créateur de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) pendant cette période. Ses militants sont régulièrement menacés et malmenés par le pouvoir. Jusqu’au 25 mars, son président était Mostefa Bouchachi.

Enfin la LADH (Ligue algérienne des droits de l’homme) apparue à la suite d’une scission au sein de la LADDH lors du Congrès de Boumerdes en 2005. Cette scission est survenue après la destitution du président en exercice, Hocine Zehouane, et son remplacement par une équipe proche du FFS et du mouvement berbère. La LADH est actuellement présidée par Hocine Zehouane.

L’actualité de la LADDH est triple.

Organisationnelle d’abord : Engagé dans la course pour les législatives, tête de liste du Front des forces socialistes (FFS) à Alger, Mostefa Bouchachi a démissionné officiellement de son poste de président. Depuis le 13 avril, Me Noureddine Benissad, élu par le Conseil national de la Ligue est le nouveau président de la LADDH.

Militante ensuite : Abdelkader Kherba militant de la LADDH a été arrêté par des agents de la sureté d’Alger le 18 avril 2012 pour le seul fait d’avoir apporté son soutien au mouvement de protestation des greffiers lors d’un sit-in pacifique devant le tribunal de Sidi M’hamed. Des témoignages font état de brutalités lors de son arrestation et de la confiscation de sa caméra. Présenté devant le parquet du tribunal local, le militant des droits de l’Homme s’est vu inculpé d’incitation à l’attroupement. Placé en détention provisoire à la prison de Serkadji, sa comparution devant le tribunal correctionnel était prévue pour pour le 26 avril.

Internationale enfin : La LADDH avec des ONG algériennes et internationales ont élaboré et rendu public le 20 avril, un rapport intitulé « Réformes politiques ou verrouillage supplémentaire de la société et du champ politique en Algérie « . A l’heure où l’échéance électorale du 10 mai 2012 est l’objet de toutes les attentions (…) », souligne le rapport, « l’adoption des nouvelles lois est en réalité devenue pour le pouvoir algérien une occasion de maîtriser davantage la société civile et le champ politique et un moyen de renforcer le contrôle de la société algérienne dans son ensemble ». Ce rapport fait l’objet de l’Eclairage de ce mois-ci.