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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

La justice des mineurs 5 mars 2010

Pour ceux qui n’ont pas pu assister à la conférence, en voici les grandes lignes.

J.M. Permingeat

Aperçu historique sur la Justice des Mineurs.

1 – Primauté de la réponse éducative.

Jusqu’au 20e siècle, l’enfant a été traité par la Justice comme un adulte, les conditions étaient très dures. Le premier essai pour tenir compte du fait qu’un enfant n’est pas un adulte remonte à 1912 (loi du 22 juillet)

La loi de 1912 en 6 points

Des juridictions spécialisées

Les mineurs de treize ans, déclarés irresponsables, sont passibles de la juridiction de la Chambre du Conseil du tribunal civil. Cette juridiction confiée au président du tribunal est considérée traditionnellement comme la plus compétente pour juger les affaires délicates de l’état des personnes. Siégeant à huis clos, elle évite de donner une publicité fâcheuse aux affaires intéressant la vie privée des familles.

Les mineurs de treize à dix-huit ans relèvent du tribunal pour enfants et adolescents, siégeant au chef-lieu de chaque arrondissement, composé de trois magistrats de carrière, d’un magistrat du ministère public et d’un greffier, les magistrats devant être le plus possible spécialisés.

Une procédure spéciale

La procédure compte un certain nombre de dérogations à la procédure de droit commun, destinées à simplifier et à accélérer le jugement de l’affaire et à éviter que le mineur ne souffre de l’appareil de la justice.

Les procédures de flagrant délit et sur citation directe sont interdites. Le mineur doit être pourvu d’un défenseur.

Seul le ministère public a l’initiative de la poursuite, à l’exclusion de la partie lésée qui ne peut se porter partie civile. L’action civile sera soumise au tribunal civil séparément de l’action publique. La publicité de l’audience est restreinte, plus restreinte pour les mineurs de treize ans que pour ceux de dix-huit ans.

L’examen de personnalité et les rapporteurs

L’instruction de l’affaire vise à établir l’infraction, car la loi ne s’applique qu’aux mineurs délinquants, mais elle vise aussi à recueillir des renseignements sur la personnalité du mineur et son milieu, en vue du choix de la meilleure mesure à prendre.

A cet effet la loi crée des rapporteurs : magistrats, avocats, avoués, membres de sociétés de patronage reconnues d’utilité publique ou des comités de défense des enfants traduits en justice.

Le rapporteur doit entendre l’enfant et toutes personnes utiles, recueillir tous renseignements et procéder à toutes contestations utiles, mais il n’a pas le pouvoir du magistrat instructeur auquel il doit en référer s’il rencontre des obstacles. Cette enquête porte sur la situation morale et matérielle de la famille, sur le caractère et les antécédents de l’enfant, sur les conditions dans lesquelles celui-ci a vécu et a été élevé et sur les mesures propres à assurer son amendement. Le mineur de treize ans n’est passible que de mesures de protection ou d’éducation.

La notion du discernement

Pour les mineurs de plus de treize ans, le tribunal ou la cour doit poser la question du discernement. Si le mineur est reconnu avoir agi avec discernement, il sera condamné à une peine mais il pourra bénéficier d’une excuse légale atténuante. Les peines sont subies soit dans une section dite de répression d’une colonie correctionnelle pour les peines criminelles, soit dans un quartier séparé de maison d’arrêt jusqu’à six mois, dans une colonie pénitentiaire de jeunes détenus entre six-mois et deux ans, soit dans une colonie correctionnelle au-dessus de deux ans.

Entre seize et dix-huit ans, les mineurs reconnus coupables et ayant agi avec discernement sont assimilés aux majeurs, ils ne bénéficient d’aucune réduction de peine et subissent leur peine dans les mêmes établissements que les adultes.

Primauté des mesures d’éducation

Les tribunaux devront recourir davantage aux mesures éducatives qu’aux peines. Pour qu’elles soient applicables, il convient que le mineur soit reconnu comme ayant agi sans discernement.

Pour les mineurs de treize ans, ils peuvent les acquitter simplement, les rendre à leurs parents, les placer hors de leur famille dans un internat approprié, les remettre à l’Assistance publique. La remise à une colonie pénitentiaire est exclue. Certains établissements de l’Administration pénitentiaire sont destinés cependant à recevoir des mineurs de treize ans.

Pour les mineurs de treize à dix-huit ans, reconnus comme ayant agi sans discernement, ils pourront en outre être remis à une institution charitable ou être conduits dans une colonie pénitentiaire pour y être élevés ou détenus pendant le nombre d’années que le jugement déterminera et qui, toutefois, ne pourra excéder l’époque où ils auront atteint l’âge de vingt et un ans.

La liberté surveillée

C’est l’innovation la plus importante de la loi de 1912. La liberté surveillée, applicable à tous les mineurs, même en dessous de treize ans, peut être ordonnée soit au stade de l’information, soit au stade du jugement, provisoirement comme mesure d’observation pour les mineurs de treize à dix-huit ans, soit comme mesure définitive ou susceptible d’être révisée.

Cette surveillance s’exerce par l’intermédiaire de délégués qui sont des personnes connues des magistrats et possédant leur confiance. Ils ne figurent sur aucune liste à la différence des rapporteurs près les juges d’instruction, mais ils doivent remplir les mêmes conditions d’âge, d’honorabilité, de nationalité que ces derniers. Ils relèvent du contrôle du tribunal qui les mandate et peut les révoquer à volonté. Leurs fonctions sont gratuites et ils ne peuvent prétendre qu’au remboursement de leurs frais de déplacement.

Cette mesure avait pour objet de donner aux mineurs rendus à leur famille, ou confiés à une personne ou à une œuvre charitable, une sorte de tuteur moral et elle offrait cet avantage de parer aux conséquences à caractère irrévocable des décisions prises.


Le texte fondateur est l’ordonnance du 2 février 1945 qui a été rédigée dans l’esprit de la Résistance et dont les attendus sont importants :

« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains….Le projet d’ordonnance, ci-joint, atteste que le gouvernement provisoire de la République française entend protéger efficacement les mineurs, et plus particulièrement les mineurs délinquants. »

Il s’agit d’une justice « thérapeutique », qui est devenue petit à petit une justice aussi « rétributive » (les mineurs condamnés doivent poser des actes de réparation.

Il s’agit avant tout de mesures de protection, assistance et surveillance. Les peines ne doivent être utilisées que lorsque ces mesures sont insuffisantes.

L’ordonnance est très malléable, elle a été modifiée 53 fois !

En 89 est publiée la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, dont un des thèmes forts est d’éviter si possible le traitement judiciaire des affaires et de développer tout ce qui peut préserver et protéger l’enfant.

L’objectif est d’éduquer, et à travers cette éducation protéger et l’enfant et la société. La paix sociale s’instaure à travers l’éducation du jeune.

Dans le concret deux sortes de mesures peuvent être prises : soit en se tournant vers la famille et en la soutenant dans son rôle éducatif, soit en retirant l’enfant à sa famille et en le plaçant dans des centres de rééducation ou en le confiant à des familles d’accueil.

2 – A partir des années 90 on assiste à une remise en cause de cette démarche. On se trouve devant une augmentation considérable de la délinquance constatée

et parallèlement la question de la Justice des Mineurs devient un enjeu politique qui marquera toutes les campagnes électorales importantes. Tous les grands Partis se retrouvent pour durcir la politique sécuritaire et ne plus tolérer la délinquance juvénile. On passe ainsi de 82 000 mises en cause de Mineurs en 1977 à 203 000 en 2 008.

Remarquons que la plupart de ces actes délictueux sont effectués sur des zones (dites sensibles) bien délimitées, et que les premières victimes en sont les habitants de ces zones, et surtout les jeunes de ces zones.

Il faut noter que l’activité de la Justice des Mineurs passe inaperçue. Elle travaille avec un temps qui n’est pas celui des Media qui s’intéressent principalement à la privation de liberté. Les réponses de la Justice sont justement destinées à éviter la prison et à éduquer. Une action éducative s’étend dans le temps, elle n’est pas vendable facilement aux media.

Alors on assiste à une remise en cause générale de l’action de la Justice. De plus avec la remise en cause de l’autorité, qui atteint tous les milieux et tous les âges, les éducateurs voient leur légitimité amoindrie sinon annulée.

Ainsi avec le concept de tolérance zéro – qui n’est pas mauvais si on signifie par là que tout acte délictueux doit être dénoncé, mais catastrophique s’il signifie que l’on doit taper de plus en plus fort jusqu’à obtenir réellement une délinquance zéro – il devient nécessaire d’avoir chaque fois une réponse sociale. Actuellement c’est la réponse pénale qui prime, dans 90% des cas alors que c’était un taux de 50% auparavant. Et dans la moitié de ces cas le Juge des Enfants est saisi.

On a donc obtenu une avalanche de lois destinées à augmenter la répression :

En 98 ont été introduits les « centres éducatifs renforcés », en 2002 (loi Perben I) les « centres éducatifs fermés » puis les « établissements pénitentiaires pour mineurs ». Dans la loi de mars 2007 on applique aux mineurs la composition pénale et la présentation immédiate, dans la loi d’août 2007 on introduit les peines planchers.

On a ainsi une réforme par petites touches, pas toujours appliquée, sans aucune vue d’ensemble, si ce n’est de réprimer plus, et surtout plus visiblement.

En 2008 la commission Varinard a proposé nouveau code de Justice des Mineurs qui donne une cohérence à l’ensemble. Il reprend l’ensemble de la question, en marquant l’autonomie de la Justice des mineurs. Les lignes force sont :

Primauté de l’éducatif.

Caractère subsidiaire de la peine.

Principe (devenu constitutionnel de l’atténuation de peine.

Spécialisation des Juges (Ou procédure apropriée… ???).

Nécessité de la connaissance de la personnalité des mineurs en cause.

Réponse à toute infraction.

Cohérence de la réponse pénale.

Assistance obligatoire d’un avocat, et avocat unique pour toutes les procédures concernant le même jeune.

Publicité restreinte.

Par la suite un projet de loi a été publié en mars 2009, qui ne reprend pas l’esprit de la commission.

3 – Projet actuel.

La suppression du Juge d’Instruction fera disparaître le Juge des Enfants, renvoyant les mineurs devant le Procureur. Quid du suivi de la procédure ? On perd la cohérence demandée.

Notion de progressivité de la peine, ce qui est totalement opposé au caractère éducatif. Lorsqu’une peine aura été prononcée, par la suite pour un nouvel acte, on devra prononcer une peine supérieure. Or souvent après quelque temps de forte délinquance, un jeune revient à une attitude « normale », mais avec quelques reprises, souvent bénignes, quelques pics avant de s’assagir totalement. En le punissant obligatoirement plus sévèrement, on le pousse à s’enfoncer dans la délinquance au lieu de l’aider à en sortir. Il ne faut pas oublier qu’un adolescent délinquant est d’abord un adolescent, avec tout ce que l’on sait sur cet âge. En particulier un jeune qui ne peut pas prouver sa valeur à travers l’école sera amené souvent à la prouver par des actes délinquants. Ce n’est pas avec la notion de progressivité qu’on pourra le remettre sur pieds. Le projet de loi veut nier cette réalité.

Interventions d’Alain Rocher et d’Alain Gaubert (Protection judiciaire de la jeunesse, PJJ).



La PJJ est héritière de l’Education Surveillée. Elle se heurte à deux sortes de difficultés :

d’une part la réforme générale des politiques publiques (RGPP) désorganise la PJJ. On ferme des centres, liquide des équipes pour des raisons gestionnaires, il semble que l’intérêt du travail et celui des usagers ne sont jamais pris en compte. Le travail en cours peut être annulé par une décision arrivant d’instances supérieures qui ne tient aucun compte des conséquences (sauf gestionnaires).

Par ailleurs les réformes de la Justice des Mineurs ont plusieurs sortes de conséquences dommageables :

On a retiré à la PJJ la charge des mineurs en danger pour les concentrer sur les délinquants. Les mineurs en danger sont confiés aux Conseils Généraux. C’est ignorer que la frontière est floue, qu’il existe des aller-retour.

On a tendance à faire de la concentration de jeunes avec les mêmes difficultés, ce n’est pas gérable. Alors on traite les difficultés par appel de la Police.

Pour faire tourner les EPM on a ponctionné les équipes travaillant en milieu ouvert. A Marseille, pour 50 jeunes, l’EPM occupe 60 surveillants et 60 éducateurs. Quand on sait qu’en milieu ouvert un éducateur se charge de 25 jeunes, on constate qu’on a mis pour les 50 de l’EPM un personnel qui se serait occupé de mille cinq cents jeunes. Et on n’est pas certain que l’éducatif soit meilleur en EPM qu’il ne l’était à Luynes.



Intervention de Bernard Eynaud.


Il insiste sur le fait que les mineurs délinquants sont des adolescents, âge de tous les dangers physiques et psychiques. L’adolescent doit définir ses limites, son autonomie aussi. La séparation est un concept essentiel (pour dire « Je » je dois déjà me séparer de moi-même), pour se séparer de son entourage il faut avoir des moyens (comment se payer un logement, avoir de l’argent de poche… ?).

C’est un âge de ruptures, aussi de souffrance, de conflits, de régressions.

Les conduites violentes, délinquantes…sont aussi des messages à la société, à l’entourage.

Nécessité de maintenir le lien, d’éviter l’exclusion.

Alors on peut s’inquiéter de voir se développer les fichages, la télé-surveillance, les peines planchers, la pénalisation de tous les conflits.

Débat.

Quelle est la place des parents, des familles dans cette Justice ?

On désigne des populations homogénéisées : les éducateurs, les juges, les policiers, les jeunes, les délinquants…et on traite ces blocs. Il n’y a plus d’individuation, et ce qui ne rentre pas dans l’épure n’intéresse pas (comme les parents).

On est pénalement responsable à 13 ans, mais de façon perverse, le jeune de 10 à 12 ans se trouve civilement responsable et rentre dans la même catégorie que les aliénés non pénalement responsables.

Pour le reste du débat, sont repris des points des divers exposés, pour insister sur la dérive sécuritaire actuelle, niant la réalité de l’adolescence et empêchant ce qui devrait être premier, l’éducation permettant à un jeune de se retrouver et construire des liens équilibrés avec les autres.

Pièces jointes