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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Archives de l'auteur : psenegas

Réquisition et Covid-19 24 avril, 2020

Par la Fondation Abbé Pierre et la Ligue des droits de l’Homme

L’épidémie de Covid-19 et la période de confinement soulèvent la question, depuis quinze jours, de la réquisition pour protéger les personnes sans-abri et mal-logées.

Cette note donne un rapide aperçu des pouvoirs de réquisitions qui existent, au regard de l’état d’urgence, avec illustration de la jurisprudence. Cela ne répond pas à toutes les questions, voire en soulève, mais éclairera un peu le sujet. 

Toute sorte de locaux peuvent être réquisitionnés. La réquisition ne garantit pas en soi des réponses satisfaisantes en terme de qualité, encore moins de maintenir ces réponses après la période de confinement. 

Il convient donc, au-delà des textes et de l’intention, de rester très vigilant à ce qui est effectivement réquisitionné par la puissance publique, si réquisition il y a.

 

Les autorités publiques peuvent être en droit de réquisitionner des biens ou des personnes lorsque l’intérêt public l’exige. Concernant les biens, il ne s’agit pas d’un transfert de propriété (comme dans la préemption), ni d’une mise à disposition ou une location par le propriétaire, mais d’un usage temporaire décidé unilatéralement par la puissance publique à ses fins (avec indemnisation du propriétaire).

Plusieurs régimes de réquisition concernant le logement et l’hébergement des personnes en difficulté existent, tandis que la loi Covid-19 crée une nouvelle possibilité.

 

1. La réquisition de la loi Covid-19

La loi d’état d’urgence sanitaire du 23 mars 2020[1] permet au Premier ministre de prendre un décret afin de procéder à la réquisition de « tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire », suivant le régime d’indemnisation organisé par le Code de la Défense[2].

L’article 12-1 du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire prévoit la possibilité de réquisitionner des établissements recevant du public (ERP), tels que des hôtels.

Cet article ne vise donc pas les logements (appartements et maisons individuels[3]).

Toutefois, il ne réserve pas, explicitement, le bénéfice de la réquisition au personnel de santé ou aux salariés employés par des entreprises dont le fonctionnement est nécessaire. Il devrait pouvoir servir l’hébergement des personnes sans-abri ou mal-logées.

Lorsqu’une telle mesure est nécessaire pour répondre aux besoins d’hébergement ou d’entreposage résultant de la crise sanitaire, le représentant de l’Etat dans le département est habilité à procéder à la réquisition des établissements (ERP) mentionnés par le règlement          pris en application de l’article R. 123-12 du Code de la construction et de l’habitation, à l’exception de ceux relevant des catégories suivantes : restaurants et débits de boissons ; établissements de cultes ; établissements flottants ; refuges de montagne.

Ce pouvoir spécifique de réquisition ne devrait pas ôter aux préfets et aux maires celui qu’ils tiennent de leurs pouvoirs de police.

 

2. Les pouvoirs de police du préfet et du maire

Au titre de leurs pouvoirs de police respectifs, le préfet (CGCT[4], art. L. 2215-1, 4°[5]) et le maire (CGCT, art. L. 2212-2) peuvent prononcer la réquisition de locaux nécessaires au logement à l’hébergement de personnes sans abri, en cas d’urgence, de trouble à l’ordre public et à titre exceptionnel.

Si le maintien de l’ordre est menacé dans 2 ou plusieurs communes limitrophes, le représentant de l’Etat dans le département peut se substituer aux maires de ces communes (CGCT, art. L. 2215-1, 2°).

Ces deux bases juridiques correspondent à la situation de crise sanitaire actuelle pour protéger les personnes sans-abri et les personnes mal-logées (notamment en habitat indigne).

 a. La réquisition par le préfet (L. 2215-1, 4° CGCT)

La réquisition par le préfet doit être motivée, justifiée par l’urgence et proportionnée.

Le motif de la réquisition : éviter un trouble à l’ordre public, dans l’intérêt général ou pour la protection de l’ordre public. Le trouble doit être réel et non hypothétique[6], manifeste ou probable[7].

La jurisprudence donne quelques illustrations. Elles concernent principalement la réquisition de personnel, mais aussi celle de locaux aux fins d’hébergement.

Par exemple :

  • l’urgence et les risques de graves troubles à la santé publique justifient la réquisition des sages-femmes en grève d’une clinique, en l’absence d’accord sur la mise en œuvre d’un service minimum pendant la période de grève, la santé des patientes et des nouveaux-nés étant en jeu[8],
  • la sécurité publique justifie la réquisition de quatre salariés d’un dépôt pétrolier en grève eu égard au risque d’interruption de l’activité des services de sécurité et de celle des professions de santé faute d’approvisionnement[9],
  • la continuité des soins ambulatoires en période hivernale épidémique justifie, cas d’urgence, de requérir tout médecin dans le but d’assurer le maintien d’un effectif suffisant pour garantir la sécurité des patients et la continuité des soins la nuit et les fins de semaine[10],
  • une résidence va fermer à cause d’une rupture de son contrat de gestion, mais au regard de toutes les personnes qui y vivent et des problèmes posés pour eux par la fermeture brutale de la résidence, le préfet la réquisitionne, puis proroge la réquisition car il n’aurait pas les moyens de reloger les familles si elles étaient évacuées[11].

Une condition d’urgence : la réquisition n’est justifiée que lorsque les intérêts publics sont mis en cause immédiatement ou à brève échéance. L’atteinte à l’ordre public doit donc être prévisible et immédiate.

Le préfet peut donc intervenir pour « prévenir »[12] ou « éviter »[13] une « menace »[14] ou des « risques »[15] de trouble à l’ordre public. La condition d’urgence est satisfaite, a fortiori, si l’atteinte à l’ordre public a déjà produit ses effets. Par exemple :

  • en cas de risque d’expulsion de l’ensemble des occupants d’une résidence, prévisible à la suite de la rupture des contrats d’exploitation de l’immeuble[16],
  • à l’annonce de l’arrivée de neuf groupes de personnes dites “Gens du voyage”, dans 1 023 caravanes, dans un département sans aire de grand passage prévue par le plan départemental d’accueil pour les accueillir, même à titre temporaire, dans des conditions satisfaisantes pour l’ordre public[17].

Une condition de proportionnalité : le préfet ne peut prendre « que les mesures nécessaires, imposées par l’urgence et proportionnées aux nécessités de l’ordre public »[18]. Ces mesures ne doivent pas être disproportionnées au risque en cause.

La réquisition doit enfin être l’ultime moyen à la disposition du préfet. Il ne peut s’y référer qu’après avoir effectué un examen complet des autres moyens dont il dispose[19] : nombre de places d’hébergement et de logements dont il dispose, bâtiments publics adaptés, par exemple.

b. La réquisition par le maire (L. 2212-2 CGCT)

Les conditions de l’intervention du maire et du préfet sont similaires.

Voici ce qu’illustre la jurisprudence.

  • Le pouvoir de réquisition « lui permet, en particulier, de prononcer la réquisition des locaux nécessaires au logement des familles sans abri ; (…) toutefois, ce pouvoir de réquisition ne saurait être exercé par le maire qu’en cas d’urgence et à titre exceptionnel lorsque le défaut de logement de la famille dont il s’agit est de nature à apporter un trouble grave à l’ordre public »[20].
  • Est légale la réquisition de logements au profit de cinq familles habitant un immeuble frappé d’une interdiction d’habiter et dont l’état ne cesse de se dégrader alors que la crise du logement sévissant dans la commune ne permet pas de procurer, par voie d’accord amiable, un abri aux habitants de l’immeuble[21].
  • Le maire peut réquisitionner une partie d’un immeuble pour assurer le logement des personnes évacuées d’un immeuble voisin ayant fait l’objet, trois jours auparavant, d’un arrêté de péril même si ces personnes avaient pu être provisoirement accueillies dans les hôtels de la ville[22].
  • Est légale la réquisition d’un local inoccupé compte tenu de la nécessité urgente à loger une famille avec quatre enfants se trouvant sans aucun abri, sur la voie publique, après avoir été expulsée du logement qu’elle occupait[23].
  • Il faut que la famille se soit trouvée dans l’impossibilité de se procurer un appartement par les procédés de droit commun[24]. En période de confinement, ces procédés sont évidemment entravés, pour louer un logement dans le parc privé et pour accéder au parc social.

Le pouvoir du maire est aussi limité aux cas d’urgence. La condition n’est pas remplie quand la réquisition répond à une situation de mal-logement ou de sans-abrisme qu’il connaissait depuis plusieurs années (voire plusieurs semaines[25]) : il doit résulter d’un événement créateur d’une situation d’urgence[26]. L’événement créateur, en cette période, est le Covid-19, qui justifie de l’urgence, malgré l’état de sans-abrisme ou de mal-logement antérieur.

 

III. La réquisition des logements vacants prévue par le Code de la construction et de l’habitation

Au titre des compétences de l’Etat dans le domaine du logement, le préfet dispose d’un pouvoir de réquisition des locaux vacants, inoccupés ou insuffisamment occupés, en zone tendue ou en cas de crise du logement :

  • La réquisition des locaux vides (L. 641-1 à L. 641-14 du CCH) concernant les zones tendues, au bénéfice des personnes dépourvues de logement, mal-logées ou menacées d’expulsion.
  • La réquisition avec attributaire (L. 642-1 CCH) concernant les communes touchées par une grave crise du logement, au bénéfice de personnes mal-logées ou sans-abri, après avis du maire.

Ces dispositions ne semblent pas parfaitement correspondre à l’urgence résultant du confinement et à sa durée, la procédure pour les mettre en œuvre pouvant s’étendre d’un à trois mois.

Il n’empêche qu’elles sont des outils mobilisables face à la crise du logement qui ne disparaîtra pas avec le Covid-19, et pour gérer l’après confinement, et reloger toutes les personnes qui auront été hébergées durant la période de confinement et celles qui seront restées à la rue, en bidonville, en squat ou en habitat indigne.

Ces deux procédures conservent toute leur pertinence et peuvent être engagées dès à présent. Les services fiscaux disposent de la liste des logements vacants et l’administration peut d’ores et déjà préparer la procédure. Le CGDD estimait à 103 000 le nombre de logements durablement vides et directement habitables en zone tendue.

 

[1]Art. 2 une modification de l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique.
[2]Articles L. 2234-1 et suivants et R. 2234-1 et suivants.
[3]Un meublé de tourisme pouvant accueillir plus de quinze personnes est soumis à la réglementation des ERP.
[4]Code général des collectivités territoriales.
[5]En cas d’urgence, lorsque l‘atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d’entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées.”
[6]CE, 27 oct. 2010, n°343966, Féd. nationale des industries chimiques CGT et a.
[7]TA Poitiers, 11 oct. 2007, n°0602114, aéroclub de France et a.
[8]CE, 9 déc. 2003, n°262186, Aguillon et a.
[9]TA Nantes, 22 oct. 2010, n° 1007766, M. M. et a.
[10]CAA Douai, 13 nov. 2013, n°12DA00904, préfet de la Seine-Maritime.
[11]TA Montreuil, 5 juin 2014, n°1305002, Cne Saint-Denis.
[12]TA Poitiers, 11 oct. 2007, n°0602114, Aéroclub de France et a.
[13]TA Nantes, 22 oct. 2010, n°1007766, M. M. et a.
[14]CE, 27 oct. 2010, n° 343966, Féd. nationale des industries chimiques CGT et a.
[15]CAA Douai, 13 nov. 2013, n°12DA00904, préfet de la Seine-Maritime : inédit au Recueil Lebon.
[16]TA Montreuil, 5 juin 2014, n°1305002, Cne Saint-Denis.
[17]TA Nice, 3 mars 2015, Ville de Nice c/ préfet des Alpes-Maritimes.
[18]CE, 27 oct. 2010, n°343966, Fédération nationale des industries chimiques CGT et a.
[19]CE, 11 déc. 1991, n°92673, Sté d’HLM Le logement familial du bassin parisien.
[20]CE 7 janv. 1957, Épx de Lagrevol ; CE, 11 déc. 1991, Sté d’HLM “Le logement familial du bassin parisien”, n°192673 ; CE, 29 déc. 1997, préfet du Val-de-Marne, n°172556.
[21]CE, 1er avr. 1960, Dame Rousseau.
[22]CE, 15 févr. 1961, Werquin.
[23]CE, 19 oct. 1963, Godier.
[24]CE, 14 juin 1972, ville de Saint-Germain-en-Laye.
[25]CE, 7 janv. 1957, Épx de Lagrevol.
[26]CE, 15 mars 1961, maire de Bagnolet c/ dames Planchat et Barrat ; CE, 28 avr. 1961, Cne de Cormeilles-en-Parisis ; CE, 7 juill. 1961, ville d’Alger ; CE 29 déc. 1997, préfet du Val-de-Marne.

Source: Réquisition et Covid-19

Déplacement dérogatoire : verbalisation et contestation 24 avril, 2020

Qu’est-ce que l’état d’urgence sanitaire (EUS) ?

La loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, insérée dans le code de la santé publique, précise que les pouvoirs spéciaux d’état d’urgence sanitaire peuvent être déclenchés « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. » (article L.3131-12 du Code de la santé publique).

En vertu de l’article L.3131-15 du Code de la santé publique, le Premier ministre peut, par décret réglementaire, « aux seules fins de garantir la santé publique », édicter diverses mesures restrictives de liberté, par exemple :

  • restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans certains lieux et à certaines heures ;
  • interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;
  • limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature.

Ces mesures prescrites doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.

 

Quels sont les déplacements possibles ?

L’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire prévoit que : « tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l’exception des déplacements pour les motifs suivants en évitant tout regroupement de personnes :

° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’être différés ;

2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par l’article 8 du présent décret ;

3° Déplacements pour motifs de santé à l’exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d’une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés ;

4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables et pour la garde d’enfants ;

5° Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ;

6° Déplacements résultant d’une obligation de présentation aux services de police ou de gendarmerie nationales ou à tout autre service ou professionnel, imposée par l’autorité de police administrative ou l’autorité judiciaire ;

7° Déplacements résultant d’une convocation émanant d’une juridiction administrative ou de l’autorité judiciaire ;

8° Déplacements aux seules fins de participer à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité administrative et dans les conditions qu’elle précise 

».

 

Comment justifier mon déplacement ?

Les personnes souhaitant bénéficier de l’une de ces exceptions doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d’un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l’une de ces exceptions.

Les attestations de déplacement dérogatoire, qu’il soit professionnel ou à titre personnel, peuvent :

  • être imprimées ;
  • être remplies au format numérique sur smartphone, uniquement pour les déplacements dérogatoires à l’exclusion de l’attestation réservée exclusivement au déplacement professionnel ;
  • être rédigées de façon manuscrite sur papier libre.

L’attestation doit être nominative et à usage unique. Ainsi, selon la foire aux questions du site du ministère de l’Intérieur, la version papier doit être renseignée à l’aide d’un stylo à encre indélébile.

En revanche, il est possible d’indiquer plusieurs motifs sur une même attestation aux fins de limitation des sorties même s’il a pu être constaté en pratique que des verbalisations ont été prises sur ce fondement.

Attention ! Le formalisme de l’attestation n’étant réglementé par aucun texte, son appréciation est laissé à un risque d’arbitraire des forces de l’ordre susceptible d’entraîner une verbalisation injustifiée (voir plus loin : Comment contester ma contravention ?).

 

Quels sont les motifs de verbalisation lors de mon déplacement ?

Seules trois hypothèses de verbalisation sont possibles :

  • le défaut d’attestation  ou, la pratique à démontrer, si vous êtes dans l’impossibilité de prouver que vous êtes bien la personne ayant signé ;
  • le formalisme de l’attestation non respecté (date, heure, éléments de l’état civil et du domicile ainsi que les motifs) ;
  • un déplacement ne figurant pas à la liste exhaustive des exceptions ou considérées comme telles (exemples de cas acceptés bien que non-inscrits sur l’attestation : se rendre à un distributeur pour chercher de l’argent ou aller jeter sa poubelle au bout de la rue relèvent des déplacement “d’achats de première nécessité”, d’après le ministère).

Attention ! La pratique démontre que les forces de l’ordre font preuve d’une grande latitude dans l’appréciation des motifs censés justifier le déplacement ainsi que dans la validité de l’attestation. Aussi la régularité de certaines contraventions pourrait être remise en cause (voir plus loin : Comment contester ma contravention ?).

 

Quels agents peuvent me verbaliser ?

Les agents verbalisateurs sont : la police et la gendarmerie nationales (OPJ, APJ, APJD), la police municipale, les gardes champêtres, les agents de la ville de Paris chargés d’un service de police, les contrôleurs de la préfecture de police exerçant leur fonction dans la spécialité voie publique et les agents de surveillance de Paris.

 

Combien coûte l’amende ?

Aux termes de l’article 3136-1 du Code de la santé publique, la violation des interdictions ou obligations édictées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire est punie d’une amende prévue pour les contraventions de la 4e classe.

Cette contravention fait l’objet de la procédure de l’amende forfaitaire.

Le montant de l’amende forfaitaire est fixé à 135 € pour les contraventions de la 4e classe.

Le montant de l’amende forfaitaire majorée est fixé à 375 € pour les contraventions de la 4e classe.

 

Que se passe-t-il si je suis à nouveau verbalisé ?

Aux termes de l’article L.3136-1du Code de la santé publique, si la violation des interdictions ou obligations édictées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l’amende forfaitaire est celle prévue pour les contraventions de la 5e classe.

Le montant de l’amende forfaitaire est fixé à 200 € pour les contraventions de la 5e classe.

Le montant de l’amende forfaitaire majorée est fixé à 450 € pour les contraventions de la 5e classe.

Le paiement par timbre amende n’est pas applicable pour les contraventions de la 5e classe.

Attention ! Si vous avez été verbalisé à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits deviennent un délit et sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d’intérêt général et de la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’un véhicule. Nous vous conseillons alors d’être assisté d’un avocat pour préparer au mieux votre défense, les arguments développés ci-après pourront être par ailleurs soulevés.

Depuis l’arrêté du 14 avril 2020 modifiant l’arrêté du 13 octobre 2004 portant création du système de contrôle automatisé, vos données à caractère personnel recueillies par l’agent verbalisateur, au moyen d’appareils électroniques à l’occasion de la constatation des infractions faisant l’objet d’une procédure d’amende forfaitaire, seront enregistrées et conservées dans un fichier automatisé.

Ce fichier permettra ainsi de contrôler si vous avez déjà fait l’objet d’une verbalisation et de comptabiliser le nombre d’amendes forfaitaires prononcées à votre encontre en vous rappelant qu’au delà de trois verbalisations dans le délai d’un mois, vous pouvez être poursuivi devant le tribunal correctionnel.

A noter ! La tardiveté de publication de l’arrêté du 14 avril 2020 pose la question de la légalité des verbalisations antérieures.

Vos données seront conservées dans une limite de cinq ans mais vous aurez la possibilité de demander au procureur de la République territorialement compétent d’ordonner l’effacement des données le concernant lorsque la procédure le concernant a donné lieu à une décision définitive de relaxe.

 

Dans quel délai puis-je payer ou contester l’amende forfaitaire ?

L’exposé ci-après concerne exclusivement la procédure de l’amende forfaitaire[1].

Le contrevenant peut procéder au règlement de l’amende ou formuler une requête en exonération (réclamation) auprès de l’officier du ministère public compétent territorialement par rapport au lieu de l’infraction dans les 90 jours suivant la constatation de celle-ci, mais il vous est conseillé de régler ou de contester dans les 45 jours, faute de quoi l’amende forfaitaire sera majorée de plein droit par le Trésor public.

Le délai est décompté en jour francs (à savoir à partir du lendemain de la constatation de l’infraction). Lorsque l’avis de contravention est envoyé par voie postale, le délai de 45 jours est décompté à partir de la date d’envoi de l’avis. 

Le recouvrement de l’amende peut être fait :

  • directement entre les mains de l’agent verbalisateur sous réserve que celui-ci détienne un carnet de quittance à souche de contravention, le paiement devant alors donner lieu à la délivrance d’une quittance extraite de ce carnet à souche ou lorsqu’il est muni d’un dispositif permettant d’adresser une quittance dématérialisée ;
  • auprès de l’officier du ministère public du ressort du lieu de l’infraction à l’adresse suivante : CS 41101 – 35911 RENNES Cedex 9 ;
  • sur le site de l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai).

A défaut de paiement de l’amende ou de requête formulée dans ce délai, l’amende forfaitaire est majorée de plein droit et l’officier du ministère public émettra un titre exécutoire permettant au Trésor public de recouvrer le montant de l’amende. En cas de paiement volontaire de l’amende forfaitaire majorée dans le délai d’un mois à compter de sa date d’envoi, le montant des sommes dues sera diminué de 20 %.

Attention ! Le paiement de l’amende ne permet plus de contester l’avis de contravention ou d’amende forfaitaire majorée. En effet, tout paiement vaut reconnaissance des faits reprochés.

 

En revanche, il est important de savoir que si vous contestez l’avis de contravention ou l’amende majorée selon les formes exigées par la loi, l’officier du ministère public doit soit classer sans suite la contravention soit renvoyer votre dossier devant le tribunal de police pour que vous soyez à même d’expliquer les raisons de votre contestation. En aucun cas, il ne détient le pouvoir de rejeter purement et simplement votre réclamation (sauf si celle-ci est irrecevable car formulée hors délai par exemple, ou sans envoyer l’original de l’avis, ou sans motivation).

Lorsque l’amende forfaitaire a été majorée, vous disposez d’un délai de 30 jours à compter de la date d’envoi de l’avis pour formuler une réclamation auprès de l’officier du ministère public du tribunal de police du lieu de l’infraction.

Pour info ! Aux termes de l’article 530 du Code de procédure pénale, le délai de réclamation reste ouvert pendant trois ans (durée de prescription de la peine) tant que rien ne permet d’établir que vous avez eu connaissance de l’amende forfaitaire majorée. Force est de constater que la plupart des amendes forfaitaires majorées ne sont pas envoyées en courrier recommandé. Aucune preuve ne peut être ainsi apportée de l’envoi de cette amende. Mais il est extrêmement difficile de contester une contravention, de sorte que si le titre exécutoire est mis à exécution (saisie sur salaire, sur compte bancaire etc…), faute de paiement ou de contestation dans les délais, vous pourrez certes toujours former une contestation mais il sera d’autant plus compliqué d’obtenir gain de cause que l’avis a été délivré à la bonne adresse, mais que vous dites n’avoir reçu ni l’avis ni l’amende forfaitaire.

Attention ! La requête en exonération ou la réclamation doivent être accompagnées de l’original de l’avis de contravention ou de l’amende forfaitaire majorée et être envoyées en courrier recommandé avec demande d’avis de réception sauf si vous décidez de formuler votre réclamation via le site Antai.

Focus : difficultés financières et le paiement de la contravention

L’article 530-4 du Code de procédure pénale dispose que « lorsque la personne qui a fait l’objet d’une amende forfaitaire majorée ne conteste pas la réalité de la contravention mais sollicite, en raison de ses difficultés financières, des délais de paiement ou une remise gracieuse, elle adresse sa demande motivée non pas à l’officier du ministère public, mais au comptable public compétent. Dans ce cas, l’article 529-10 n’est pas applicable. S’il estime la demande justifiée, le comptable public compétent peut alors octroyer des délais ou rendre une décision de remise gracieuse partielle ou totale, le cas échéant en appliquant une diminution de 20 % des sommes dues, conformément à l’article 707-4 ».

 

Quels motifs peuvent être invoqués pour contester ma contravention ?

 

  • Les motifs de la requête ou de la réclamation fondés sur l’irrégularité des avis de contravention

Les règles qui fixent la forme des contraventions sont édictées par les articles 429 et 529-2 du Code de procédure pénale et des articles A 37 et A 37-1 de ce même Code.

En vertu des articles A37 et A 37-1 du Code de procédure pénale, pour relever les contraventions soumises à la procédure de l’amende forfaitaire dans le cas où celles-ci ne sont pas payées immédiatement entre les mains de l’agent verbalisateur, ce dernier utilise des formulaires dont les caractéristiques sont les suivantes :

  • un premier volet, de format 100 mm × 186 mm, qui constitue la carte de paiement ;
  • un deuxième volet, de format 100 mm × 186 mm, qui constitue l’avis de contravention ;
  • un troisième volet, de format 100 mm × 186 mm, qui constitue le procès-verbal de contravention.

 

La carte de paiement et l’avis de contravention sont destinés au contrevenant.

Il convient donc avant toute contestation de demander à consulter le procès-verbal de contravention, le 3e volet conservé par l’agent verbalisateur. Ce droit ignoré par beaucoup ne peut vous être refusé.

En effet, en application de l’article 429 du Code de procédure pénale, tout procès-verbal n’a de valeur probante que s’il est régulier en la forme, si son auteur a agi dans l’exercice de ses fonctions et a rapporté sur une matière de sa compétence ce qu’il a vu, entendu ou constaté personnellement.

Il y a des anomalies que les juridictions qualifieront de simple erreur matérielle et qui n’entraîneront pas la nullité du procès-verbal, contrairement à d’autres plus substantielles qui entacheront de nullité le procès-verbal pour vice de forme.

Aussi, une irrégularité du procès-verbal peut constituer un moyen devant être soulevé avant toute défense au fond afin d’obtenir la nullité de ce dernier.

A cet égard, et à titre d’exemple, doit figurer sur le procès-verbal, la date et l’heure de la commission de l’infraction et le numéro de matricule de l’agent mais également sa signature (Cass Crim 6 mars 2013).

Vous pourrez ensuite développer des moyens de fond.

 

  • Les motifs de la requête ou de la réclamation fondés sur la violation du principe de légalité

Le principe de légalité pénale signifie notamment que vous ne pouvez être poursuivi et condamné si la loi sur laquelle repose l’infraction n’est pas suffisamment claire et précise concernant ses éléments constitutifs et sa peine applicable.

Ce principe est consacré dans plusieurs textes, nationaux comme internationaux :

  • Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (art. 8) ;
  • Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ( 7) ;
  • Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art. 49) ;
  • Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 15) ;
  • Code pénal (111-3)

Ce principe a valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel a jugé que « le législateur doit définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » (Déc. n° 80-127 DC 20 janv. 1981, Sécurité et Liberté).

Au regard de ce principe, il est ainsi possible de contester certaines verbalisations pour lesquelles l’appréciation de l’agent verbalisateur reposerait sur une imprécision et manque de clarté de la réglementation entourant l’attestation de déplacement dérogatoire.

En effet et par exemple, que faut-il entendre par :

  • achat de première nécessité ?
  • un déplacement professionnel ne pouvant être différé ?
  • un motif familial impérieux ou la notion d’assistance à une personne vulnérable ?

Si le texte incriminant les violations des interdictions et obligations dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire paraît respecter le principe, il ne semble pas aller de même s’agissant de son renvoi à l’interdiction de déplacement et aux exceptions prévues par le décret du 23 mars 2020.

En effet, eu égard à l’imprécision de l’article 3 du décret du 23 mars 2020, il apparaît en pratique qu’une grande marge d’appréciation est laissée aux agents verbalisateurs quant à la qualification des motifs permettant les déplacements dérogatoires.

Le décret serait ainsi reconnu comme étant inconstitutionnel et inconventionnel, en raison de la violation du principe de légalité. Et, par conséquent, puisqu’il fonde l’infraction, le tribunal prononcera votre relaxe.

A cet égard, s’agissant d’une contravention de police, la Cour de cassation, par un arrêt du 1er février 1990, a cassé la décision attaquée en retenant expressément que le texte prétendument violé, l’article L.362-1 du Code des communes, ne contenait aucune incrimination rédigée en termes clairs et précis, et que, de ce fait, aucune peine n’aurait dû être prononcée contre le prévenu. (Cass.crim.. 1er février 1990, Bull.crim. n° 56 ; et 1 décembre 1990, Bull.crim. n°432, relatif à l’exercice de l’action civile)

Vous présenterez vos moyens sur le volet joint à l’avis devant l’officier puis, si vous êtes convoqué devant le tribunal de police, vous soulèverez aussi dès le début de votre procès (à l’appel de votre nom), l’illégalité du décret du 23 mars 2020 en demandant au juge de statuer sur la violation par le décret du principe de légalité, grâce aux pouvoirs du juge pénal définis par l’article 111-5 du code pénal.

 

  • Les motifs de la requête ou de la réclamation fondés sur la force majeure

En vertu de l’article 121-3 du Code pénal, « il n’y a point de contravention en cas de force majeure ».  

La force majeure se définit comme une contrainte qui s’exerce sur le corps ou l’esprit de l’agent et qui, en abolissant chez lui toute liberté de choix, l’empêche d’exécuter ses obligations ou l’oblige à commettre un acte répréhensible.

La force majeure doit revêtir deux critères :

  • l’imprévisibilité (dans la survenance de l’événement) : on considère que si un événement est prédit, on pourra prendre les mesures appropriées pour éviter ou limiter le préjudice ;
  • l’irrésistibilité (dans ses effets) : suivant une jurisprudence bien établie la personne poursuivie doit s’être trouvé « dans l’impossibilité absolue de se conformer à la loi ».  
   

Il est de principe que la force majeure ne peut ainsi résulter que d’un événement indépendant de la volonté humaine que la personne poursuivie n’a pu ni prévoir ni conjurer, d’un événement imprévisible et insurmontable l’ayant empêché de se conformer à la loi.

La force majeure fait disparaître votre responsabilité pénale.

A titre d’exemple, si vous êtes sans domicile fixe, et donc dépourvu de tout logement, vous ne pouvez répondre objectivement aux obligations de confinement, dès lors vous seriez susceptible de soulever la force majeure pour échapper à la condamnation.

Pour info ! La cellule interministérielle de crise Covid-19 a, par une note du 31 mars 2020, instruit les agents constatant la présence de sans-abris sur la voie publique, de ne procéder à aucune verbalisation, l’obligation de confinement à domicile ne pouvant être appliquée à ces personnes.

 

  • Les motifs de la requête ou de la réclamation fondés sur l’erreur de droit

En vertu de l’article 122-3 du Code pénal « N’est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte ».

L’erreur de droit invincible se définit comme étant celle commise par une personne qui est dans l’impossibilité absolue de l’éviter malgré la recherche d’informations.

L’erreur de droit doit être légitime.

L’erreur sur le droit doit être invincible. Autrement dit, la personne poursuivie doit justifier qu’elle n’était pas en mesure d’éviter son erreur.

A titre d’exemple, vous avez tenu compte des réponses du ministère de l’Intérieur dans la foire aux questions, vous avez été induit en erreur par cette réponse car finalement lors d’un contrôle la police vous a malgré tout verbalisé.

Pour info ! En pratique, l’erreur de droit est rarement retenue par le tribunal puisqu’il suffirait de se fonder sur la violation du principe de légalité pour se défendre, rendant par conséquent son invocation accessoire. Aussi, avant que votre affaire soit jugée par un tribunal, il faut tout de même tenter d’invoquer votre bonne foi dans le cadre de votre réclamation et solliciter l’indulgence de l’officier du ministère public.

 

Quelles preuves peuvent être apportées au soutien de la contestation de ma contravention ?

Le principe de la liberté de la preuve en droit pénal fait exception en matière de contravention quand celle-ci fait l’objet d’une contestation devant le tribunal de police.

En effet, si vous pouvez dans le cadre de votre requête en exonération ou en réclamation apporter des preuves de toute nature au soutien de vos allégations visant la contestation de la contravention, il n’en est pas de même si, en cas de rejet de votre requête en réclamation par l’officier du ministère public, vous demandez à ce que votre contestation passe ensuite devant un juge.

Il faut savoir à cet égard que l’officier du ministère public ne peut refuser de transmettre votre dossier au juge, sous réserve que les conditions de recevabilité de la contestation soient réunies (motivation de la requête accompagnée de l’avis de contravention). Il convient pour ce faire de lui en faire la demande par lettre recommandée avec accusé de réception en rappelant votre réclamation. Il faudra ainsi dans le cadre de cette contestation de demander à titre principal le classement sans suite ou l’indulgence de l’officier du ministère public et à titre subsidiaire, votre comparution devant le tribunal de police.

Dans le cadre de l’instruction de votre contestation devant le tribunal de police, l’article 537 du Code de procédure pénale dispose que « les contraventions sont prouvées soit par procès-verbaux ou rapports, soit par témoins à défaut de rapports et procès-verbaux, ou à leur appui. Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux ou rapports établis par les officiers et agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints, ou les fonctionnaires ou agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire auxquels la loi a attribué le pouvoir de constater les contraventions, font foi jusqu’à preuve contraire. La preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins ».

Ainsi, selon l’article 537 du Code de procédure pénale, les procès-verbaux de constat établis en matière contraventionnelle valent jusqu’à preuve contraire. Si la règle prévue à l’article 537, alinéa 2, du Code de procédure pénale dérange, c’est qu’elle passe outre les principes essentiels de procédure pénale que sont la présomption d’innocence, la liberté des modes de preuve, le respect du contradictoire ou encore la nécessité de l’intime conviction.

Les seuls moyens admis par la loi pour apporter la preuve contraire sont l’écrit ou le témoignage.

Attention ! Vous avez le droit de combattre ces procès-verbaux, mais leur force probante ne peut être infirmée sur vos seules dénégations ou allégations. S’il résulte des constats de l’agent verbalisateur que l’infraction est constituée et que la preuve contraire au procès-verbal n’est pas rapportée par l’un des moyens admis par la loi (écrit ou témoignage), le juge ne peut relaxer le prévenu au bénéfice du doute au motif que l’infraction ne serait pas suffisamment établie (Crim., 25 avril 1977, pourvoi n° 77-90.125, Bull. crim. 1977, n° 134, à propos d’une contravention).

Ainsi le juge ne peut pas faire droit à la requête sans constater que la preuve contraire aux énonciations du procès-verbal a été rapportée par écrit ou par témoins.  Il faut toutefois que le procès-verbal ne se contente pas d’évoquer une violation des règles relatives au confinement mais devra expressément indiquer les circonstances ayant conduit à considérer que lesdites règles n’auraient pas été respectées. En d’autres termes, l’agent verbalisateur ne peut se contenter de constater le non-respect de l’interdiction de déplacement mais devra préciser de manière circonstanciée les raisons l’ayant conduit à constater une telle infraction comme la « non présentation de l’attestation de dérogation », etc.

Dès lors que la preuve contraire aux énonciations des procès-verbaux dressés en matière contraventionnelle ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins, la demande d’audition d’un témoin du prévenu doit, malgré le lien d’amitié qui les unit, être accueillie (Crim. 4 févr. 2014, n°13-81.135).

A cet égard, l’attestation écrite d’un témoin ne vaut pas témoignage au sens de l’article 537 du Code de procédure pénale. Seule la déposition faite sous serment peut être discutée à l’audience (Crim, 24 mai 1984). En outre, elle n’est pas non plus considérée comme un écrit en ce sens qu’elle n’est pas un élément de preuve objectif (comme peuvent l’être une facture, un certificat médical, etc.).

 

Quelles suites peuvent-être données à ma requête ou ma réclamation ?

En application des articles 530 et 530-1 du Code de procédure pénale, l’officier du ministère public n’a que deux possibilités face à une requête ou d’une réclamation recevable :

  • Il peut classer sans suite la contravention.
  • Il renvoie devant la juridiction de jugement.

En pratique et de manière quasi-systématique, l’officier du ministère public se contente de rejeter la requête ou la réclamation en totale violation des règles légales, en estimant que les éléments qui lui sont présentés ne permettent pas de donner une suite favorable à la requête.

Il arrive également fréquemment que le contrevenant ne reçoive jamais aucune réponse si ce n’est l’avis de majoration de l’amende.

L’officier du ministère public vérifie la recevabilité de la réclamation. Mais s’il dispose du pouvoir d’apprécier le bien-fondé de la réclamation en prononçant le classement sans suite de la contravention, il ne peut rejeter la contestation au simple motif qu’il la juge infondée.

Ainsi, lorsque les conditions de recevabilité sont remplies, la contestation doit être obligatoirement portée devant la juridiction de jugement à moins que l’officier du ministère public ne décide de renoncer aux poursuites.

Vous devrez donc saisir vous-même le tribunal d’un incident contentieux en apportant la preuve de l’envoi de votre contestation et en apportant une copie de celle-ci. Le problème étant que si l’officier du ministère public affirme que l’original de l’avis n’était pas joint, vous ne pourrez pas apporter la preuve contraire. Prenez des copies de tout et préparez votre dossier devant une autre personne chargée de le poster, qui pourra témoigner. Sur Antai, il y a la preuve de l’envoi.

Pour préparer au mieux votre défense, nous vous conseillons l’assistance d’un avocat en vue de l’audience. Celui-ci pourra en effet soulever in limine litis – c’est-à-dire avant même d’évoquer les faits sur le fond – l’irrégularité du procès-verbal constatant l’infraction et, partant, sa nullité.

Lire aussi la fiche Usage de la force, placement en garde à vue, fouille et nouveau délit lié au non respect du confinement

[1]Si la procédure suivie était l’ordonnance pénale ou la citation directe, nous vous renvoyons au Guide pratique du confinement


Source: Déplacement dérogatoire : verbalisation et contestation

Pour un respect de l’Etat de droit en matière de verbalisations/amendes 14 avril, 2020

Lettre ouverte de plusieurs organisations, dont la LDH, et avocats au Premier ministre, au ministre de l’Intérieur et au secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur

Objet : demandes pour un respect de l’Etat de droit en matière de verbalisations/amendes, suite à l’appel au discernement des forces de l’ordre.

Monsieur le Premier ministre,

Nous, associations, syndicats, avocats, vous écrivons à la suite de votre audition le 1er avril devant la mission d’information parlementaire sur l’impact, la gestion et les conséquences de l’épidémie de Coronavirus Covid-19 à l’Assemblée nationale. Vous avez alors appelé les forces de l’ordre à « faire preuve de discernement » dans leur mission de contrôle du respect des mesures de confinement et la constatation des infractions dont découlent des amendes. Nous saluons cet appel, mais constatons qu’il ne suffira pas à prévenir les abus, déjà constatés par nos organisations.

Le 27 mars dernier, 22 organisations de la société civile alertaient le ministre de l’Intérieur sur l‘existence de plusieurs vidéos et témoignages faisant apparemment état de contrôles abusifs et de violences par les forces de police. Ces organisations ont alors appelé « le ministre de l’Intérieur et le directeur général de la Police nationale à veiller à ce que le maintien de l’ordre et les opérations de contrôle dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 ne donnent pas lieu à des abus ».  

Une semaine plus tard, nous constatons que les témoignages de contrôles et verbalisations abusifs se multiplient. Ceux-ci font aussi état de manquements aux gestes barrières de la part des forces de l’ordre, qui ne sont par ailleurs pas dotées de gants et de masques de protection et ne respectent pas toujours la distance de sécurité, ce qui met en péril la santé des personnes contrôlées et des forces de l’ordre.

De nombreux citoyens déplorent aussi les conditions et motifs de leurs verbalisations. Nombre d’amendes résultent d’interprétations erronées ou excessives des consignes gouvernementales par les forces de l’ordre. Alors que les forces de l’ordre n’ont pas le droit de procéder à une inspection visuelle des sacs (et encore moins à une fouille), des verbalisations sont effectuées selon une interprétation arbitraire de la notion de « première nécessité », dont la vérification n’est pourtant pas permise par les textes. De même, en violation du secret médical, des policiers apprécient la nécessité ou non de se rendre chez un médecin ou dans une pharmacie. 

Pour n’en citer que quelques exemples, parmi ceux qui ont afflué ces derniers jours sur les réseaux sociaux et dans les médias :
– Le 26 mars, à Aulnay-sous-bois (93), un homme en possession d’un laisser-passer, l’autorisant à circuler en permanence en Ile-de-France, ainsi que d’une attestation dérogatoire de déplacement, a pourtant été verbalisé au motif qu’il avait oublié d’indiquer son année de naissance sur son attestation dérogatoire. Si l’on ajoute que cet homme affirme avoir aussi fait l’objet d’insulte à caractère raciste, il est permis de s’interroger sur la motivation réelle de sa verbalisation.
– Le 30 mars à Paris (75), un homme a écopé d’une amende de 200 euros au motif qu’il n’avait pas recopié tous les motifs de sa sortie, sur son attestation sur papier libre.
Pour un plus large aperçu, nous vous invitons à consulter ce site qui compile un nombre déjà très conséquent de récits de ce type.

Une partie des difficultés rencontrées par les personnes, qui s’estiment injustement verbalisées, tient en particulier au fait que la liste des motifs dérogatoires justifiant des déplacements, ouvre la voie à des interprétations hétérogènes de la part des fonctionnaires de police. Nous en voulons pour preuve l‘interprétation très inégale de ces autorisations de sortie selon les territoires et selon les agents des forces de sécurité. Il apparaît donc important d’encadrer le pouvoir d’appréciation des fonctionnaires de police en ce qui concerne ces autorisations de sortie.

Ces faits nous inquiètent d’autant plus que les voies de recours contre les amendes forfaitaires restent largement opaques et complexes pour les citoyens, que la preuve contre les constatations d’un procès-verbal ne peut être apportée que par écrit ou par témoin. Cela rend la contestation en justice d’autant plus illusoire que le nombre de témoins potentiels est limité et que la réitération de verbalisations – quand bien même seraient-elles abusives – est susceptible désormais d’entraîner des poursuites pour délit pénal. 

Conscients de l’ampleur et de la gravité de la crise sanitaire actuelle, nous savons que l’exercice demandé aux forces de l’ordre est délicat et que la mission qui leur est assignée est difficile. Mais nous rappelons que l’état d’urgence sanitaire ne doit pas être en rupture avec l’Etat de droit et ne saurait justifier des contrôles discriminatoires ni un recours à la force injustifié ou disproportionné par les forces de l’ordre. Cela ne justifie pas non plus des sanctions disproportionnées, l’absence d’un procès équitable ou d’un mécanisme de recours efficace.

Il nous semble urgent que le ministère de l’Intérieur rappelle aux policiers en charge des contrôles que ces opérations doivent s’opérer dans un cadre strictement légal, sans discrimination ni arbitraire. 

Nous vous demandons dans l’intérêt de tous – citoyens et policiers – de bien vouloir apporter au plus vite des précisions concrètes quant aux motifs dérogatoires de déplacement et de donner aux forces de sécurité des instructions précises quant à leur application. 

Il nous semble par ailleurs urgent de repenser les modalités de recours et de contestation contre les amendes abusives, compte tenu de l’extrême difficulté à apporter la preuve contraire en dépit d’une utilisation arbitraire de la verbalisation. Le gouvernement doit aussi préciser comment ces recours seront examinés avec l’urgence que la situation requiert. La pratique nous enseigne que beaucoup d’officiers du ministère public ne traitent pas à temps les contestations, de sorte que les amendes sont automatiquement majorées après 45 jours, en dépit de l’effet suspensif de leur réception. Par ailleurs, l’articulation des dispositions relatives à la possibilité de contester une amende forfaitaire (45 jours doublés depuis l’ordonnance 2020-303 du 25 mars 2020) et celles de l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique qui prévoient que les faits sont susceptibles, en cas de trois verbalisations dans un délai de trente jours, d’être un délit, apparaît hautement problématique, puisque la personne concernée pourra être condamnée à une peine d’emprisonnement, le cas échéant en comparution immédiate, et ce alors que le délai de recours contre les premières infractions constatées n’est pas expiré, se voyant donc privée d’un droit à un recours effectif. Ces garanties juridiques sont indispensables dans un État de droit. 

Vous remerciant de l’attention que vous accorderez à ce courrier, nous espérons que vous saurez prendre rapidement les mesures qui s’imposent afin de garantir le respect des droits de toutes et tous. 

Nous restons à votre disposition pour toute information complémentaire sur ces sujets, et vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre haute considération,

Paris, le 10 avril 2020

Les signataires :

Associations et Syndicats : ACAT-France – Action droits des musulmans
– Collectif Contre l’islamophobie en France – Ligue des droits de l’Homme
– Syndicat des avocats de France – Syndicat de la magistrature

Les avocat-es : Me Nabila Asmane – Me Slim Ben Achour – Me Nabil Boudi
– Me William Bourdon – Me Vincent Brengarth – Me Emmanuel Daoud
– Me Emma Eliakim – Me Adelaïde Jacquin

Télécharger la lettre au format PDF

Source: Pour un respect de l’Etat de droit en matière de verbalisations/amendes

Usage de la force, placement en garde à vue, fouilles, et nouveau délit lié au non respect du confinement 14 avril, 2020

Dans le contexte de crise sanitaire actuelle, les autorités françaises ont adopté des mesures de confinement destinées à freiner la pandémie de Covid-19. Le Parlement a voté une loi habilitant le gouvernement à agir par ordonnances et à prendre diverses restrictions dans le cadre d’un état d’urgence sanitaire. Des restrictions de circulation ont notamment été édictées pour faire face à cette situation exceptionnelle.

Cependant, l’absence de précision du cadre légal entourant les missions de contrôle des forces de l’ordre comporte des risques évidents de décisions arbitraires et de recours disproportionnés à la force. La LDH alerte et dénonce ces réactions disproportionnées des forces de l’ordre dans le cadre de leurs missions de contrôle des déplacements quotidiens [lien vers le CP]. Elle met également à votre disposition des précisions sur le cadre légal qui entoure l’action des forces de l’ordre, même en temps de confinement.

 

L’usage de la force…

Il convient de rappeler que, même dans la situation actuelle, la police et la gendarmerie ne peuvent recourir à la force qu’en cas de légitime défense (art. 122-5 du code pénal), lorsqu’un danger actuel ou imminent nécessite un acte (strictement proportionné) destiné à protéger le bien ou la personne en danger (art. 122-7 du code pénal), ou dans le but de maîtriser une personne lors d’une interpellation (art. 73 du code de procédure pénale). En outre, les forces de l’ordre ne peuvent faire usage de leurs armes qu’« en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée » (art. L.435-1 du code de la sécurité intérieure).

Par ailleurs, en matière contraventionnelle, l’article 73 du code de procédure pénale ne permet pas de recourir à l’emploi de la force. De façon générale, les dispositions relatives à la déontologie des forces de l’ordre, et notamment l’article R. 434-18 du code de sécurité intérieure, rappellent que « [l]e policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas ». Seule la rébellion (faire de grands gestes, se débattre), qui est un délit passible d’emprisonnement, peut conduire à placer la personne en garde à vue.

Dès lors, les comportements violents de certains agents, par agression physique sans nécessité apparente, parfois avec usage de gaz lacrymogènes, peuvent s’avérer incompatibles avec le cadre légal et les règles de déontologie en vigueur.

 

Le placement en garde à vue

De manière générale, pour connaître vos droits en garde à vue : consultez la fiche “Nos droits” dédiée [Lien].
Attention, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, votre droit à un avocat peut se limiter à un échange par visioconférence ou téléphone, conditions dans lesquelles les garanties de confidentialité sont difficilement applicables. De plus, nombre de Barreaux ne désignent plus d’avocat de permanence : en conséquence, l’assistance d’un avocat n’est possible que si vous en choisissez un (à vos frais) et que ce dernier accepte les modalités de communication mises à disposition. Par ailleurs, en cas de prolongation de garde à vue, vous ne serez pas présenté au procureur de la République. A noter que si le droit à voir un médecin demeure inchangé, il semble que dans la pratique ce ne soit pas systématiquement le cas – peut-être parce qu’il y a un manque de médecins disponibles, mais il faudrait alors questionner le risque pour les personnes à être placées en garde à vue, dans des conditions particulièrement dangereuses aujourd’hui.

Dans le contexte actuel, une mise en garde à vue qui serait uniquement fondée sur une instrumentalisation du délit de mise en danger d’autrui (art. 223-1 du code pénal), est irrégulière.

Cette infraction est caractérisée par « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente, par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement », aux seules fins de placer des personnes en garde à vue.

La Cour de cassation rappelle, par une jurisprudence constante, que le simple non-respect d’une interdiction contraventionnelle ne permet pas de retenir l’infraction de mise en danger d’autrui, s’il n’existe pas au surplus la démonstration d’un comportement particulier, exposant autrui à un risque concret et immédiat de mort. Or, le fait de ne pas pouvoir présenter une « attestation de déplacement dérogatoire » (fait sanctionné par une contravention de la 4e classe) ou de l’avoir mal rédigée ne saurait être considéré comme entraînant en soi un risque concret et immédiat de mort. Le défaut d’attestation ne crée en lui-même aucun risque. Et le non-respect de règles générales de prudence ne permet pas de sanctionner pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui.

A supposer même que le non-confinement soit retenu comme violation de l’obligation particulière, cet acte n’expose pas directement autrui à un risque immédiat de mort. Enfin, dans le cadre de ce délit précis, il convient d’ajouter que la tentative n’est pas punissable.

Dans ces conditions, le recours à cette qualification délictuelle étant abusif, ses conséquences juridiques, et notamment le placement en garde à vue, s’avèrent tout autant illégales. Selon l’article 62 du code de procédure pénale, on ne peut placer en garde à vue qu’une personne contre laquelle il existe au moins une raison plausible « de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement » : tel n’est pas le cas d’une personne qui n’a commis qu’une contravention, celle-ci ne pouvant pas être le support du délit de mise en danger de la vie d’autrui.

Il convient par ailleurs de rappeler que les forces de l’ordre sont tenues de désobéir lorsqu’un ordre manifestement illégal leur est donné (art. 122-4 du code pénal), sauf à commettre l’infraction de privation de liberté par personne dépositaire de l’autorité publique (art. 432-4 du code pénal). Le supérieur hiérarchique qui validerait ce détournement de procédure se rendrait en outre complice de ce délit. La circulaire d’application des nouveaux textes a précisé que ce délit ne convenait pas à la situation.

Si les enjeux actuels sont graves, et peuvent nécessiter des interdictions de déplacement, les mesures et sanctions prises doivent demeurer légales, proportionnées et dictées par une « approche fondée sur les droits de l’Homme pour réguler cette pandémie » .

Actuellement, la loi du 23 mars 2020 a créé un nouveau délit de “violation réitérée du confinement” (art. L.3136-1 du code de la santé publique), passible d’emprisonnement, qui permet de placer une personne en garde à vue. Il n’est pas applicable tant que vous n’avez pas déjà fait l’objet de verbalisation pour contravention au moins trois fois en un mois. Attention, l’outrage ou la rébellion (faire de grands gestes, se débattre…) contre les forces de l’ordre suffisent pour placer quelqu’un en garde à vue.

 

Un nouveau délit : la violation réitérée du confinement

Il a créé, dans la nuit du 22 au 23 mars 2020 un nouveau délit en cas de répétition de quatre contraventions dans le délai d’un mois. Il faut préciser que dès la 2e violation dans les 15 jours, des règles éditées par le gouvernement ou le préfet, l’amende passe à 1500€ (5e classe ou, si la procédure d’amende forfaitaire est choisie, à 200€). A partir de la 4e verbalisation dans un délai d’un mois, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3750€ d’amende, ainsi que (éventuellement) de la peine complémentaire de travail d’intérêt général et celle de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’un véhicule. Si l’imprécision des obligations actuelles donne déjà tout pouvoir à l’arbitraire policier, celles-ci sont appelées à se multiplier du fait de l’état d’urgence sanitaire.

 

L’inspection visuelle, la fouille des bagages, de vos sacs ou de vos poches

Dans le cadre du confinement, un déplacement pour faire ses achats de première nécessité est possible. Dans ce contextes, les forces de l’ordre peuvent-elles inspecter vos sacs ou fouiller vos sacs pour le vérifier et décider ensuite de vous verbaliser en cas de non-respect des règles de confinement ?

Les règles de confinement pendant la pandémie du Covid-19 ne modifient pas les règles applicables de procédure pénale en matière d’inspection visuelle ou de fouille. Il doit être rappelé que ce que vous portez sur vous ou dans vos sacs relève de votre sphère intime : une inspection visuelle ou une fouille sont des atteintes à votre droit à la vie privée, et celle-ci est protégée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Bien entendu, les policiers peuvent avoir le droit de procéder à ces inspections visuelles ou à des fouilles, mais seulement en respectant les règles de procédure pénale, dans deux cas de figure.

Il n’est possible de pratiquer une inspection visuelle / fouille qu’en police judiciaire :

1/ L’inspection visuelle / fouille est effectuée sur réquisition du procureur pour une durée maximale de 24 heures dans un périmètre délimité.

La réquisition ne peut concerner que la recherche de certaines infractions précisées et le Conseil constitutionnel a précisé que, pour éviter tout détournement de procédure, le procureur doit mentionner les raisons qui justifient de tels contrôles à tel lieu et tel jour. En outre, le procureur ne peut pas cumuler des réquisitions. Notons toutefois que les policiers ne sont pas tenus de vous présenter la réquisition.

Autrement dit, si le policier ou le gendarme vous demande d’ouvrir votre sac, vous pouvez refuser sauf s’il vous dit agir sur réquisition. Mais lorsque vous recevrez votre avis de contravention, vous devrez la contester. Deux hypothèses :

  • soit l’avis de contravention fait mention de la réquisition et vous la contesterez sur le fondement de la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel,
  • soit la contravention ne fait pas mention de la réquisition et vous la contesterez sur le fondement de l’illégalité de la fouille (voir ci-dessous).

Notons en conclusion, qu’il est fort peu probable que les patrouilles vous demandent d’ouvrir votre sac sur réquisition.

 

2/ Il s’agit d’une inspection ou fouille classique, d’enquête de police judiciaire.

Une fouille des bagages, des sacs ou de vos poches, relève, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, des règles relatives à une perquisition.

Autrement dit, elle n’est possible que si elle est effectuée (conditions cumulatives) :

  • Par un officier de police judiciaire (OPJ) : le nom et le grade de l’agent seront indiqués sur le procès-verbal de contravention qui constate la violation des règles de confinement, de sorte que si ce n’est pas un OPJ, vous aurez tout intérêt à contester la contravention par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception devant le procureur de la République, en faisant valoir que la constatation résulte d’une fouille illégale.
  • Devant vous : il arrive que plusieurs policiers vous contrôlent en même temps et qu’un seul s’empare de votre sac pour en vérifier le contenu, caché par la présence des deux autres. La fouille n’étant pas faite devant vous, refusez de remettre les « objets représentés » et vous contesterez la contravention pour violation des règles de fouille.
  • En flagrance : selon l’article 53 CPP, combiné aux pouvoirs de « fouille », il n’y a flagrance que si le policier peut vous reprocher au moins un délit passible d’emprisonnement (ou un crime). Il n’est donc pas possible de procéder à une fouille pour une simple contravention.

Il faut ensuite que le policier puisse démontrer qu’il existe un indice objectif apparent d’un crime ou d’un délit passible d’emprisonnement en train de se commettre ou qui vient de se commettre. C’est possible si, à l’issue d’une palpation de sécurité lors d’un contrôle d’identité, le policier sent au toucher, par exemple, la forme d’une arme. Or, le fait que vos achats correspondent ou non à des objets de première nécessité n’est pas déterminable à la palpation.

Donc, il n’est pas possible de vous fouiller d’office (ni même d’inspecter votre sac).  Pour contourner cet obstacle de l’impossibilité d’agir en flagrance, les policiers demandent souvent à la personne ciblée, d’ouvrir elle-même son sac ou de sortir les objets de ses poches. Ainsi, la vue des objets incriminants peut permettre d’obtenir l’indice objectif apparent du délit passible d’emprisonnement en train de se commettre (exemple : de la résine de cannabis).

Dans ce cas, vous avez accepté l’inspection visuelle et les policiers peuvent agir ainsi en enquête préliminaire. Cependant, outre le fait que les agents sont censés indiquer sur leur procès-verbal pourquoi ils vous ont ciblé, ils devraient également vous faire signer un papier les autorisant à vous demander d’ouvrir votre sac.

Pouvez-vous vous y opposer ? Oui. Bien entendu en restant poli, courtois et en ne vous énervant pas (pour ne pas risquer des poursuites pour outrage ou rébellion). Mais le problème vient qu’actuellement, le rapport de force prévaut et les policiers risquent de vous emmener en garde à vue ou en vérification d’identité et sans témoin, il va être compliqué de vous défendre, notamment d’accusations de rébellion ou d’outrage. Nous devons tous demander, en tant que citoyennes et citoyens, d’autres types de relations police-population fondées sur la confiance et non sur l’arbitraire et l’autoritarisme.

Ne pas oublier : il n’est possible de contester les mentions d’un procès-verbal de contravention que par témoin ou par écrit.

 

L’achat de produits de première nécessité et la verbalisation

Un policier ou un gendarme a-t-il le droit de déterminer ce qui est de première nécessité ou pas ? Evidemment non. Il n’existe d’ailleurs pas de définition dans le décret de ce qu’est un produit de première nécessité, de sorte qu’une contravention qui se fonderait sur l’absence de nécessité première du bien acheté pourrait être contestée, pour absence de prévisibilité de l’infraction, en violation du principe de la légalité des délits et des peines.

Le décret décide des établissements qui doivent rester fermés et ceux qui restent ouverts ; dès lors, un policier n’a pas à décider de ce que vous pouvez acheter dans ces commerces ou non.

Le fait que les plus hautes autorités acceptent ce contrôle inconstitutionnel est un encouragement à l’arbitraire et donc une brèche supplémentaire dans l’Etat de droit.

Analyse juridique produite par l’Observatoire parisien des libertés publiques.

Télécharger aussi le guide pratique sur les contestations des contraventions relatives aux règles de confinement, réalisé par l’Observatoire parisien des libertés publiques.

 


Source: Usage de la force, placement en garde à vue, fouilles, et nouveau délit lié au non respect du confinement

7 avril 2020 – Tribune collective “Sans-logis : l’Etat abandonne les populations les plus précaires ” publiée dans Libération 9 avril, 2020

Tribune collective signée par la LDH

Après le rejet du Conseil d’Etat saisi en urgence par plusieurs associations dont la LDH, les pouvoirs publics continuent d’ignorer la nécessité de l’accompagnement social, sanitaire et juridique d’une partie de la population délaissée face à la pandémie. (…)

Demain, à quoi ressemblera notre monde ? La grande majorité d’entre nous se pose cette question et ne voit d’autre issue que de replacer la question des inégalités au centre des réflexions collectives, des décisions politiques et de l’action publique. Vu l’insuffisance manifeste des réponses apportées par l’Etat face à un risque sanitaire établi, nous refusons que demain soit la même chose qu’hier. Nous refusons que, demain, les pouvoirs publics continuent d’ignorer la nécessité de l’accompagnement social, sanitaire et juridique d’une partie de la population et nous continuerons à exiger le respect des droits des exilés et des personnes précarisées. Surtout, nous n’oublierons pas que, malgré une pandémie mondiale, la plus haute juridiction administrative se soit résolue à valider l’abandon, par le gouvernement, des personnes les plus précaires.

Signataires : la Ligue des droits de l’Homme (LDH), l’Action chrétienne pour l’abolition de la torture (Acat), Utopia 56, Droits d’urgence, Kâlî, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Lire la tribune sur Libération

 

Source: 7 avril 2020 – Tribune collective “Sans-logis : l’Etat abandonne les populations les plus précaires ” publiée dans Libération

La crise sanitaire ne justifie pas d’imposer les technologies de surveillance 9 avril, 2020

Communiqué de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), dont la LDH est membre

Chacune des crises qui ont marqué le 21e siècle ont été l’occasion d’une régression des libertés publiques. Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont vu l’Europe adopter la Directive sur la rétention des données de connexions électroniques et l’obligation faite aux opérateurs de stocker celles de tous leurs clients. Les attentats terroristes qui ont touché la France en 2015 ont permis le vote sans débat de la loi renseignement. Ils ont aussi entraîné la mise en place de l’état d’urgence dont des mesures liberticides ont été introduites dans le droit commun en 2017.

La pandémie de Covid-19 menace d’entraîner de nouvelles régressions : discriminations, atteintes aux libertés, à la protection des données personnelles et à la vie privée…

Pour surveiller l’évolution de la pandémie, tenter d’y mettre fin et organiser la fin du confinement, les gouvernements de plusieurs pays européens proposent d’utiliser des outils numériques basés sur l’utilisation des données des téléphones portables en prenant exemple sur plusieurs pays d’Asie qui ont subi l’épidémie avant l’Europe (Chine, Corée du Sud, Taïwan, Singapour).

Deux logiques sont en œuvre :

  • géolocaliser les populations et vérifier qu’elles respectent le confinement ;
  • signaler aux personnes qu’elles ont pu être en contact avec des malades Covid-19.

En France, le 8 avril, le gouvernement a indiqué travailler sur une application pour téléphone portable, téléchargeable à titre volontaire, permettant que « lorsque deux personnes se croisent pendant une certaine durée, et à une distance rapprochée, le téléphone portable de l’un enregistre les références de l’autre dans son historique. Si un cas positif se déclare, ceux qui auront été en contact avec cette personne sont prévenus de manière automatique »[1].

Pistage des contacts (contact/backtracking)

Il est envisagé d’utiliser pour cela le Bluetooth, qui permet à deux appareils, comme des téléphones portables, de se connecter lorsqu’ils sont à proximité[2]. Une application à installer (volontairement ou pas) permet aux porteurs du Covid-19 de se signaler pour que les personnes ayant été à leur proximité soient informées sur leur téléphone portable qu’elles ont peut-être été en contact avec un porteur du virus, et qu’elles devront à leur tour rester confinées pour limiter la chaîne de contamination.

Quels sont les risques et les garanties nécessaires ?

Le président de la République ayant déclaré que nous étions en guerre contre le virus, les mesures de restrictions des libertés nous sont présentées comme autant d’armes légitimes contre la pandémie.

Néanmoins, les utilisations envisagées de nos données personnelles (applications utilisant le Bluetooth pour le suivi des contacts) ou déjà mises en œuvre (géolocalisation) constituent une grave atteinte à nos libertés et ne sauraient être autorisées sans notre consentement.

Pour que des données aussi sensibles puissent être utilisées légalement, nous devrions être informés du moment où ces données sont anonymisées, notre consentement devrait nous être demandé, des informations faciles à lire et à comprendre devraient nous être fournies pour permettre un consentement libre spécifique et éclairé. Des garanties devraient également être fournies sur les techniques utilisées pour rendre impossible leur ré-identification.

Concernant les applications de suivi des contacts, elles sont présentées comme peu dangereuses pour les données personnelles puisqu’il y aurait peu de collecte des données, mais surtout des connexions par Bluetooth d’un téléphone à un autre. C’est oublier que la notion de consentement libre, au cœur des règles de la protection des données, est incompatible avec la pression patronale ou sociale qui pourrait exister avec une telle application, éventuellement imposée pour continuer à travailler ou accéder à certains lieux publics, ou encore que l’activation de ce moyen de connexion présente un risque de piratage des données du téléphone et qu’il existe de nombreuses applications prévues pour scanner en continu les appareils Bluetooth autour de soi. Il est par ailleurs bien évident que l’efficacité de cette méthode dépend du nombre d’installations (volontaires) par les personnes, à condition bien sûr que le plus grand nombre ait été dépisté. Si, pour être efficaces ces applications devaient être rendues obligatoires, « le gouvernement devrait légiférer » selon la présidente de la Cnil[3]. Mais on imagine mal un débat parlementaire sérieux dans la période, un décret ferait bien l’affaire ! Et qui descendra manifester dans la rue pour protester ?

L’atteinte au secret médical, à la confidentialité des données de santé est aussi en cause car ces applications présentent une possibilité d’identifier les malades et de les stigmatiser. Et qu’en sera-t-il de toutes les personnes qui n’auront pas installé l’application, seront-elles soupçonnées d’avoir voulu cacher des informations ?

Quant à celles qui ne possèdent pas de téléphone portable, elles risquent de subir une discrimination supplémentaire. Selon le Credoc, seulement 44 %  des “plus de 70 ans” possèdent un téléphone portable tandis que 14 % des Français ont des difficultés pour passer des appels ou envoyer des SMS[4]. De là à installer une application et en comprendre les alertes… Faudra-t-il les équiper d’un bracelet ou autre appareil électronique ? 

Dès lors, l’atteinte au respect de la vie privée et au secret médical est susceptible d’être disproportionnée compte-tenu de l’inefficacité de la mesure en matière de santé publique.

En matière de lutte contre la pandémie et notamment de fin de confinement, il semble que le gouvernement tente de masquer ses manques et ses erreurs avec des outils technologiques présentés comme des solutions miracles. Et alors que leur efficacité n’a pas été démontrée, les dangers pour nos libertés sont eux bien réels.

Organisations signataires membres de l’OLN : Cecil, Creis-Terminal, Globenet, Ligue des droits de l’Homme, La Quadrature du Net (LQDN), Syndicat de la Magistrature.

Paris, le 8 avril 2020

[1]https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/08/stopcovid-l-application-sur-laquelle-travaille-le-gouvernement-pour-contrer-l-epidemie_6035927_3244.html
[2]Technologie de réseaux sans fils d’une faible portée (10 à 100 mètres…) permettant de relier des appareils entre eux sans liaison filaire. Ils sont capables de se détecter sans intervention de l’utilisateur s’ils sont à portée l’un de l’autre.
[3]Interview par l’AFP de la présidente de la Cnil, Marie-Laure Denis le 4 avril 2020
Question : Le gouvernement a-t-il la possibilité d’imposer ce type d’app, ou d’autres app visant à imposer le respect du confinement ?
Réponse : En France, les pouvoirs publics ont exclu à ce jour l’éventualité d’un recours à un dispositif obligatoire.
S’il devait en aller autrement, il serait nécessaire d’adopter un texte législatif pour mettre en œuvre ces dispositifs qui devraient en tout état de cause démontrer leur nécessité pour répondre à la crise sanitaire ainsi que leur proportionnalité par un respect des principes de la protection des données personnelles : la  minimisation des données collectées, des finalités qui doivent être explicitées et précises, un caractère provisoire…
[4]https://www.credoc.fr/publications/barometre-du-numerique-2019


Source: La crise sanitaire ne justifie pas d’imposer les technologies de surveillance

H&L numéro 189 9 avril, 2020

éditorial

Du risque sanitaire
aux risques démocratiques
Malik Salemkour Lire l’article

Actualité

L’engagement des enseignants : une culture conflictuelle en mutation
Laurent Frajerman
Lire l’article

Antisémitisme : une résolution controversée
Michel Tubiana Lire l’article

(Re)penser l’intégration
pour créer un monde commun
Entretien avec Marie-José Bernardot

Rendre effective
la réinsertion des personnes détenues
Antoine Dulin

Lutter contre la pollution
de l’air… et les inégalités
Nino Künzli

Association Josette et Maurice-Audin : mémoire vive
Pierre Mansat

monde

– Chili : « Du mal-être
à la rage »

Entretien avec Franck Gaudichaud Lire l’article

Guinée : la prison, prix à payer des « anti-3e mandat »

Entretien avec Abdourahmane Sano

Nouvelle Commission, nouveau Parlement,
pour quelle UE ?

Jan Robert Suesser Lire l’article













Source: H&L numéro 189

demandons des mesures contraignantes pour assurer la protection de tous les MNA dans le contexte de l’épidémie du Covid-19 9 avril, 2020

Communiqué et lettre ouverte de plusieurs organisations, dont la LDH

36 Associations et syndicats s’associent à 88 avocats d’enfants et adressent une lettre ouverte au Premier Ministre pour l’alerter sur la situation dramatique de nombreux mineurs isolés qui, malgré les mesures prises par le gouvernement, continuent à être laissés sans protection.

Les obstacles à l’accès à une protection effective pour les mineurs isolés existaient avant la crise sanitaire, ils perdurent aujourd’hui. Les quelques mesures prises ces derniers jours et les recommandations adressées aux conseils départementaux ne suffisent pas à préserver tous les enfants de la rue lors des différentes étapes de leur parcours. Les nombreux exemples cités dans la lettre démontrent que :

  • certains départements continuent de leur refuser l’accueil provisoire d’urgence lorsqu’ils se présentent pour demander une protection, en violation de la loi.
  • d’autres mettent fin à leur prise en charge après avoir remis en cause leur minorité.
  • des ordonnances de placements provisoires prises par les juges des enfants ne sont pas exécutées.
  • les enfants et adolescents dont la minorité a été contestée avant la crise doivent survivre dans la rue, des campements ou des squats et sont exposés à tous les dangers.

 

L’épidémie de Covid-19 renforce immanquablement les risques rencontrés par ces jeunes dont l’état de santé est déjà fragilisé : impossibilité de respecter les mesures de confinement, accès insuffisants à l’alimentation, à l’hygiène et à l’eau, carences d’informations adaptées sur les gestes barrières et les précautions à prendre, difficultés d’accès aux soins.

Les conditions indignes dans lesquelles ils vivent les fragilisent face au Covid-19. La crise sanitaire les prive, en grande partie, du soutien que leur fournissaient les associations et les permanences juridiques, elle rend impossible l’accès à certains services administratifs et à de nombreux tribunaux pour enfants. Rien n’est prévu pour les jeunes qui présentent une forme non aggravée du Covid-19 et doivent faire l’objet d’un suivi médical et d’un confinement individuel, les centres dits « de desserrement » étant réservés aux majeurs.

Des solutions existent pourtant afin d’imposer aux départements le respect de leurs obligations en matière d’accueil provisoire et pour garantir la protection effective des enfants et adolescents dont ils ne reconnaissent pas la minorité. Nous sommes conscients de la difficulté qu’il y a à organiser la réponse publique, en cette période de crise qui touche l’ensemble des secteurs sociaux. Certaines mesures en faveur des personnes vulnérables ont d’ores et déjà pu être prises. Elles restent cependant quasi inexistantes pour les mineurs et jeunes majeurs isolés.

Nous proposons dans cette lettre ouverte une série de mesures immédiates à prendre afin qu’aucun enfant, que ce soit durant l’état d’urgence sanitaire ou une fois cet état levé, n’ait à dormir dans la rue ou dans des lieux indignes et dangereux. Les enfants isolés ne doivent pas être oubliés.

Paris, le 6 avril 2020

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Source: demandons des mesures contraignantes pour assurer la protection de tous les MNA dans le contexte de l’épidémie du Covid-19

Lettre ouverte sur les personnes en situation de précarité 9 avril, 2020

Lettre ouverte du Collectif Alerte, dont la LDH est membre, à l’attention du Premier ministre

Paris, le 3 avril 2020

Monsieur le Premier Ministre,

Alors que la crise sanitaire qui touche notre pays ne faiblit pas, les associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion réunies au sein du Collectif Alerte tiennent à vous transmettre leurs vives inquiétudes quant aux conséquences, immédiates et à venir, de cette crise pour les personnes en situation de précarité, mais également pour les associations qui les accompagnent.

Certes le gouvernement a pris, depuis le début de la crise et en concertation avec le monde associatif, des dispositions en direction des plus précaires, que nous avons saluées. Toutefois, des inquiétudes perdurent et certains publics restent oubliés des pouvoirs publics alors qu’ils sont frappés de plein fouet par les conséquences de la crise.

Il est tout d’abord primordial de mettre en place des dispositifs en direction des personnes à la rue, vivant en squats ou bidonvilles, pour assurer la protection de leur santé et la couverture de leurs besoins vitaux. Aujourd’hui encore, sur l’ensemble du territoire, de nombreuses personnes n’ont pas accès aux informations concernant l’épidémie, mais pire encore, elles n’accèdent même pas à l’eau potable, à des douches, des toilettes ou au minimum d’alimentation nécessaire. Plus inquiétant encore, dans de nombreux lieux de vie, aucune solution n’est proposée pour assurer le suivi et l’isolement des malades avérés du Covid-19.

Afin de lutter efficacement contre l’épidémie et ses effets néfastes sur les plus précaires, le collectif Alerte insiste sur la nécessité de préserver les droits de l’ensemble des personnes présentes sur le territoire, quelle que soit leur situation administrative.

L’accès aux soins doit être garanti pour tous. Les récentes dispositions réduisant l’accès aux soins des étrangers privent de nombreuses personnes d’un accès à la santé en instaurant un délai de carence de 3 mois pour la couverture maladie des demandeurs d’asile, et en imposant de nouvelles restrictions pour accéder à l’Aide médicale d’Etat pour les étrangers sans titre de séjour. La crise actuelle démontre qu’un accès facilité au système de santé est plus que jamais nécessaire : ces dispositions restrictives doivent être remises en cause. Lever ces mesures ne sera toutefois pas suffisant, au vu des délais d’obtention de la couverture maladie : il est indispensable que l’accès aux soins soit possible dès maintenant pour tous, même sans couverture maladie, afin de rendre possible l’intégration précoce dans un parcours de soins et de faire face aux défis de l’épidémie.

Par ailleurs, la fermeture annoncée des guichets uniques pour demandeurs d’asile, faute de personnel suffisant en préfecture, ne rend pas seulement impossible l’enregistrement des demandes d’asile : elle va avoir des conséquences dramatiques en empêchant les personnes d’accéder aux conditions matérielles d’accueil, c’est-à-dire aux ressources et à un hébergement, durant le temps de la procédure de demande d’asile. En pleine crise sanitaire, elles ne pourront ni se nourrir, ni se loger, ni se protéger et risquent de rejoindre les campements et bidonvilles, avec des risques majeurs pour leur santé et la santé publique. On regrettera ensuite que l’ordonnance du 25 mars dernier sur la prolongation des droits sociaux ne fasse aucune mention de l’aide aux demandeurs d’asile et de son versement aux bénéficiaires actuels et primo-accédants.

On citera également les très nombreux Mineurs non accompagnés, et les centaines de personnes exilées sur le littoral franco-britannique, qui souffrent encore aujourd’hui d’une absence de protection et de mise à l’abri par un hébergement adapté.

Les associations du collectif Alerte ont constaté que ces personnes vulnérables, et l’ensemble des personnes à la rue, avaient parfois fait l’objet de verbalisations pour non-respect du confinement par la police nationale ou municipale. Le gouvernement a invité les forces de l’ordre à faire preuve de « discernement lors des contrôles de publics sans domicile fixe ou en situation de grande précarité » ; le collectif demande fermement à ce qu’aucune personne contrainte de vivre à la rue ne soit, en plus, victime d’une amende ou d’une éviction de l’espace public.

Cette crise sanitaire et les mesures de confinement qui en découlent ont enfin de lourdes conséquences sur le pouvoir de vivre des plus précaires. Arrêts maladie, chômage partiel, non accès la cantine des enfants, hausse de consommation d’électricité, de gaz et d’eau affectent directement les ressources des ménages les plus modestes. Le confinement s’avère également dramatique pour les personnes qui ne rentrent pas dans la norme : vivant de l’aide alimentaire, de travaux informels, sans forfait téléphonique, sans internet, sans carte bancaire ou vivant dans des logements insalubres ou sur-occupés.

La diffusion de chèques-service aux personnes sans domicile fixe pour pallier en urgence les carences alimentaires est une bonne mesure, mais elle est très loin de couvrir tous les publics en difficulté, et tous les besoins. Afin de permettre aux plus précaires de subvenir à leurs besoins essentiels pendant cette période délicate, le collectif Alerte souhaite l’instauration d’une prime exceptionnelle, en faveur des allocataires des minima sociaux et des familles bénéficiaires de l’allocation de rentrée scolaire, d’un montant de 250 euros par mois par personne, renouvelable mensuellement durant la période de fermeture des écoles et des cantines. Les associations de solidarité demandent également qu’un fonds d’urgence d’aide au paiement des quittances soit mis en place pour permettre à tous les ménages modestes de payer leur loyer et leurs charges et ainsi éviter tout risque d’expulsion locative à l’issue de cette période difficile.

Par ailleurs, il est essentiel de garantir un accès aux aides sociales pour toutes les personnes qui en font la demande : même si le mode de fonctionnement des organismes sociaux est aujourd’hui dégradé, l’accès aux droits des personnes faisant une demande d’ouverture aux aides sociales doit demeurer opérationnel. En outre, durant celle période de crise, toute sanction à l’encontre des allocataires de minima sociaux doit être suspendue.
Face à l’urgence sanitaire, il faut agir immédiatement et c’est le sens des dispositions qui ont été prises, comme de celles que nous vous demandons de prendre. Mais il faut également anticiper la suite pour éviter que cette crise sanitaire ne se transforme en crise sociale durable avec des milliers de personnes à faibles revenus qui basculeraient dans la pauvreté et corriger les failles de notre système de solidarité auprès des plus précaires que cette crise a révélées.

En effet, l’épidémie de Covid-19 et les mesures de confinement ont entraîné la fermeture de nombreux dispositifs tels que la distribution alimentaire, mettant en lumière la dépendance à l’aide alimentaire d’un nombre important de ménages très modestes et l’impossibilité pour un certain nombre de personnes de vivre dignement. Le système social actuel ne permet donc pas de les soutenir convenablement.

C’est pourquoi, le collectif Alerte demande, dès la sortie de la crise, la mise en oeuvre d’un plan de relance sociale ambitieux pour améliorer le pouvoir de vivre des plus modestes, avec notamment une revalorisation des minima sociaux et des aides au logement. La relance se doit d’être à la fois sociale et écologique, en investissant dans la rénovation des passoires thermiques, l’accès de tous à une alimentation saine et durable, ou encore à des modes de transport non polluants. Un tel plan aurait des effets positifs immédiats sur la consommation, dans un contexte économique affaibli par la crise sanitaire, tout en contribuant à réorienter l’activité pour faire face aux défis écologiques qui, eux non plus, n’attendent pas.

Il sera également primordial de soutenir fortement les services publics relevant du système de santé, ainsi que l’ensemble des associations positionnées en première ligne dans la gestion de cette crise et qui fonctionnent aujourd’hui avec des moyens réduits et des bénévoles de moins en moins nombreux.

Plus largement, il nous faut capitaliser sur les enseignements de cette crise pour corriger les failles de notre système de solidarité auprès des plus précaires qu’elle a révélées et concevoir ensemble une société réellement solidaire, avec des politiques publiques ambitieuses qui permettent l’accès de tous aux droits de tous :

– une école qui permette la réussite de tous les enfants, en résorbant les inégalités aggravées pendant le confinement ;

– une politique du logement qui garantisse vraiment un logement digne et bien isolé à chacun, avec un programme ambitieux de construction de logements sociaux ;

– un accès aux soins inconditionnel et des dispositions permettant en pratique cet accès aux soins pour tous ;

– des moyens d’existence convenables garantis pour tous, sans contrepartie, qui permettent aussi une alimentation saine et durable, un accès aux droits culturels et aux vacances ;

– l’extension du droit à ces moyens convenables d’existence aux jeunes de 18 à 25 ans ;

– une redéfinition des règles de l’assurance chômage dont la réforme récente risque de faire basculer dans la précarité de très nombreuses personnes ;

– l’admission au séjour et au travail d’un nombre important de familles et de personnes étrangères actuellement sans papiers mais ayant commencé leur intégration, et le rétablissement sans délai du droit au travail pour les demandeurs d’asile.

Paradoxalement, la crise sanitaire que nous vivons a montré, à la fois, l’importance cardinale de notre modèle de protection sociale et ses failles. Il convient de s’appuyer sur cette expérience douloureuse pour repenser ce modèle, au profit des personnes les plus pauvres d’entre nous.
Nous restons à votre disposition pour travailler ensemble pour construire des réponses adaptées qui placent les personnes les plus vulnérables au coeur du plan de relance sociale et écologique.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, en l’expression de notre haute considération.

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Source: Lettre ouverte sur les personnes en situation de précarité