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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Mort du streameur Jean Pormanove : « Il aura fallu un drame et une tempête médiatique pour contraindre les autorités politiques à l’action » 26 août, 2025

25 août 2025 – tribune «Mort du streameur Jean Pormanove : « Il aura fallu un drame et une tempête médiatique pour contraindre les autorités politiques à l’action »», publiée sur le monde
25 août 2025 – tribune «Mort du streameur Jean Pormanove : « Il aura fallu un drame et une tempête médiatique pour contraindre les autorités politiques à l’action »», publiée sur le monde
25 août 2025 – tribune «Mort du streameur Jean Pormanove : « Il aura fallu un drame et une tempête médiatique pour contraindre les autorités politiques à l’action »», publiée sur le monde

Tribune de Nathalie Tehio, présidente de la LDH

Lire la tribune sur le monde.

Le système de régulation des contenus ne peut fonctionner sans une volonté politique forte, affirme, dans une tribune au « Monde », la présidente de la Ligue des droits de l’homme, qui avait saisi en vain l’Arcom, en février, au sujet du streameur violenté à mort en direct sur la plateforme Kick.

Un homme, Raphaël Graven, alias Jean Pormanove, est mort après douze jours de violences sous l’œil des caméras de quelques très mauvais « réalisateurs » et sous ceux de milliers d’internautes voyeurs. Cette fois, il ne s’agit pas d’une fiction telle que filmée par le cinéaste Bertrand Tavernier (1941-2021) en 1980 dans La Mort en direct, dans lequel il dénonçait le voyeurisme et la société du spectacle. La violence est une donnée inhérente aux sociétés humaines et, des jeux du cirque aux exécutions en public, les individus ont souvent payé pour regarder souffrir leurs congénères.

Mais le numérique a amplifié ce phénomène. Les contenus haineux et violents sur les plateformes sont d’une telle intensité qu’elle atteint la santé mentale des modérateurs. Dans le cas de la plateforme Kick diffusant la chaîne « Jean Pormanove », un cran a été franchi, puisque les voyeurs payaient non seulement pour assister au spectacle d’humiliation et de violence, mais aussi pour l’encourager.

Pour la LDH (Ligue des droits de l’homme), au-delà des questions morales que posent ces phénomènes, plusieurs problèmes doivent être traités. Contrairement à ce qu’a pu dire la ministre chargée du numérique, Clara Chappaz, Internet n’est pas une zone de non-droit. Les créateurs de contenus peuvent ainsi être amenés à répondre de leurs propos (en l’occurrence homophobes et handiphobes, mais ce peut être également des propos racistes, antisémites, sexistes, etc.) ou de leurs actes.

Ainsi, la LDH avait dénoncé, dans sa saisine de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de février, des violences commises et le délit de diffusion de ces images. Par ailleurs, l’Union européenne (UE) a laborieusement mis en œuvre règlements ou directives pour protéger les données personnelles et pour réguler les plateformes.

Défaut d’impulsion

Le règlement sur les services numériques contraint en effet la France à la surveillance et à la régulation des plateformes en ligne : protection des utilisateurs, obligation de transparence, suppression des contenus illégaux. La mise en œuvre de ces obligations a été confiée à l’Arcom, autorité administrative indépendante censée disposer de pouvoirs suffisants à cette fin. Il y a pour autant un fossé entre théorie et pratique.

Le traitement de la plateforme australienne Kick met en lumière les obstacles auxquels l’Arcom est confrontée. Alertée dès février par la LDH, mais ne disposant que de 23 salariés pour le contrôle des plateformes, elle n’a pas pu entamer un dialogue efficace avec Kick du fait de l’absence de désignation par celle-ci d’un représentant légal sur le sol européen, et alors même que le règlement sur les services numériques l’y contraignait. Or seule la volonté politique de faire pression sur cette plateforme a permis d’aboutir à une telle désignation, à Malte. Il aura fallu un drame et une tempête médiatique pour contraindre les autorités politiques à l’action.

Ce défaut d’impulsion et de soutien à l’Arcom est rendu d’autant plus inquiétant au regard du caractère transfrontalier des problématiques du numérique. Et ce, d’autant plus que l’UE n’a pas voulu encourager le développement d’un secteur du numérique européen. En 2018, la LDH avait pourtant plaidé, en vain, pour une souveraineté numérique de l’Europe, qui serait d’ailleurs utile pour lutter contre les attaques et ingérences numériques, et la manipulation des algorithmes qui favorisent des contenus nocifs (comme sur X, ex-Twitter).

Ces manques profitent largement à une extrême droite qui, ayant compris que la violence, l’invective et la haine favorisent la viralité, utilise ces plateformes peu ou pas modérées pour promouvoir des idées nationalistes, racistes, xénophobes ou antiféministes qui rassemblent les utilisateurs partageant ces idées, renforçant ainsi son influence dans le débat public.

Malgré les nombreux scandales touchant au fonctionnement démocratique (Cambridge Analytica, « Macron Leaks »…) et les liens des dirigeants des Gafam [Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft] avec le président des Etats-Unis, nos dirigeants continuent de s’exprimer sur X et ne montrent pas de volonté de faire appliquer les règlements.

Le principe de liberté d’expression justifie l’absence de responsabilité des plateformes sur les contenus dont l’Arcom ne contrôle pas la licéité, sauf cas manifestement illégal. Cette dernière saisit alors [la plateforme de signalement] Pharos ou la justice. Mais ce système équilibré ne peut fonctionner que si elle a les moyens humains d’imposer aux plateformes une régulation et une modération adéquates, sans traiter correctement les cas de violences. Il faut aussi que la justice ait les moyens de réagir, et que les policiers soient formés. Au-delà des campagnes de communication gouvernementales, il faut en faire une priorité politique.

Sur Internet, la liberté d’expression doit rester une valeur essentielle, et les réactions immédiates, face au choc de cette mort en ligne, réclamant l’augmentation des interdictions ne sont pas pertinentes dans une société démocratique. En revanche, l’Etat doit de toute urgence mettre les moyens d’y faire respecter le droit. En finir avec l’absence d’une modération exigeante est donc un enjeu crucial pour une société inclusive, dont le fonctionnement démocratique permette de rejeter les discours de haine.

Nathalie Tehio, présidente de la LDH.

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