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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Répression syndicale, guerre du Mali et crises des partis politiques 8 mars 2013

Le début de l’année 2013 est marqué par de fortes mobilisations sur le front du chômage, surtout dans le sud où la répression du mouvement syndical est particulièrement forte. La prise d’otages de Tiguentourine a fait monter d’un cran la tension dans les régions frontalières du Mali soumises à des menaces extérieures mais aussi à des conflits communautaires internes. Dans le même temps, les principaux partis politiques de l’alliance présidentielle ou de l’opposition, privés de leurs leaders charismatiques, se livrent à des guerres de succession destructrices

Émeutes

Émeutes du logement et du cadre de vie

Deux janvier : A Biskra (450km au sud-est d’Alger), la publication d’une liste de 522 bénéficiaires de logements sociaux (pour plus de 14.000 dossiers de demandes en attente) a provoqué l’occupation du siège de la sous-préfecture (daïra) par des centaines de protestataires contestant les critères d’attribution. L’émeute s’est propagée aux autres administrations dont l’accès était bloqué par des troncs d’arbre et des pneus enflammés. Au moins 7 blessés parmi les forces de l’ordre et plusieurs dizaines d’arrestations de manifestants.

Le même jour, le même scénario s’est déroulé à Khenchela (Aurès), à Skikda, à Constantine… Dans deux villages de la région de Skikda, les tensions ont duré plusieurs jours ; à Tamalous les exclus du relogement sont passés à une attaque en règle contre la résidence du Chef de Daïra (sous-préfet) qui a dû fuir avec sa famille pour échapper à un lynchage.

Dans la première semaine de janvier c’est la région de Mostaganem qui a connu des journées d’émeutes pour des problèmes de relogement (comme à Hadjadj, bourgade qui s’est barricadée pendant plusieurs jours) et des problèmes d’aménagement public (comme à Rehailia douar aux rues non bitumée et non éclairées, sans centre de santé etc…)

Le 12 janvier, près d’une vingtaine de blessés ont été enregistrés parmi des jeunes qui sont sortis dans la matinée protester contre la dégradation de leur cadre de vie à Boudouaou El Bahri (wilaya de Boumerdès). Le pire est que la plupart de ces blessés ont été victimes de l’affrontement entre manifestants, certains réclamant le revêtement des routes et d’autres le raccordement au réseau du gaz de ville !

Emeutes du chômage

Les chômeurs de Ouargla (900 km au s-e d’Alger) organisent presque chaque semaine des manifestations pour revendiquer leur droit au travail dans les nombreuses entreprises pétrolières du pays. Le 2 janvier, pendant toute la journée des centaines d’entre eux ont occupé le centre de la ville et se sont affrontés aux forces de l’ordre (en 2011 pareilles émeutes avaient failli embraser tout le sud Algérien). La manifestation était encadrée par le Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC). Tahar Belabbes, coordinateur du CNDDC a été arrêté par la police avec d’autres manifestants. Après plus de quatre jours d’emprisonnement, les chômeurs de Ouargla ont été relâchés après leur présentation devant le procureur de la République. Le 3 février Tahar Belabbes a été condamné à un mois de prison ferme et 50 000 DA d’amende par le tribunal de Ouargla. Amnesty International a dénoncé ces arrestations. Le 24 février plusieurs milliers de chômeurs de Ouargla ont entrepris une marche vers Hassi Messaoud qui a été bloquée par la police au bout de 20 km. Une grande marche est annoncée à Ouargla pour le 14 mars.

Du 20 au 22 février la tension a été extrême à Laghouat (400 km au sud d’Alger), à la suite de l’arrestation de jeunes chômeurs qui faisaient un sit-in devant le bureau de la main-d’œuvre. La réaction d’autres chômeurs ne s’est pas fait attendre et les heurts se sont soldés par l’arrestation de 18 jeunes et l’hospitalisation de 13 blessés. Certains blessés parmi les émeutiers ont refusé d’êtres transférés à l’hôpital par crainte d’être fichés par les services de sécurité. Le 22 un important rassemblement devant le palais de justice, conduit en particulier par la LADDH a réclamé la libération des 18 militants et chômeurs qui ont été présentés la veille devant le procureur de la République. Au même moment, les échauffourées se poursuivaient dans la ville.

Le 19 février dans la zone industrielle de Fornaka (Mostaganem), très violente confrontation entre des jeunes chômeurs et les forces anti-émeutes, accompagnée de barrages et de saccages d’équipements publics. Seize manifestants ont été arrêtés et déférés en justice.

Affrontements communautaires

Ghardaïa (600km au sud d’Alger) est la capitale du M’zab, région berbérophone jalouse de son identité. Autour du 25 janvier, pendant plusieurs jours, des affrontements ont eu lieu entre les Mozabites (berbérophones) et les Chambis (arabophones). Ces tensions sont chroniques (elles avaient fait 2 morts en février 2009) ; cette fois, les affrontements ont éclaté suite à la construction par un membre de la communauté arabophone d’un mur de clôture sur un terrain situé à proximité d’un cimetière mozabite. Les agressions sporadiques entre membres des deux se sont multipliées, dans les rues et au lycée, causant de nombreux blessés ; des maisons ont été incendiées. Un mois plus tard, le 23 février, nouveaux affrontements, à la suite d’une agression de jeunes mozabites travaillant dans les champs, par plusieurs dizaines de jeunes Chambis venus à bord de camions pour les provoquer. Les militants locaux de la Laddh s’efforcent de jouer les médiateurs.

Attaques terroristes

La plus spectaculaire et dramatique est évidemment celle du site pétrolier de Tiguentourine survenue le 16 janvier à 40 kilomètres d’In Anemas, près de la frontière avec la Libye (1500 km au sud-est d’Alger). Une trentaine d’hommes (dont 11 tunisiens) ont investi la base et finalement gardé en otages plusieurs dizaines d’expatriés travaillant sur le site (Américains, Français, Britanniques, Japonais, Norvégiens, Philippins et Irlandais). L’assaut final donné par l’armée algérienne s’est soldé par la mort de 29 djihadistes, 37 otages étrangers et 1 otage algérien (voir Eclairage N°15). L’initiateur de ce raid, Mokhtar Belmokhtar, l’a revendiqué au nom d’Al-Qaida en déclarant qu’il visait le régime algérien « pour avoir permis au colonisateur d’hier d’utiliser son sol et son espace aérien pour tuer les nôtres au Mali ». Cette explication est discutable étant donné qu’il a fallu certainement plusieurs semaines au commando pour mettre sur pied l’attaque et pour arriver sur site. Les observateurs ont noté la méthode expéditive utilisée par les forces algériennes au mépris de la vie des otages ; ils ont aussi noté qu’il a fallu attendre un mois avant que le Président Bouteflika fasse allusion à cet événement dans une déclaration publique. L’armée est bien encore le premier pouvoir en Algérie.

Le 6 février au soir, une cinquantaine d’hommes lourdement armés (lance-roquettes antichars) ont attaqué la caserne de Khenchela (540 km au sud-est d’Alger). A l’issue d’un assaut qui a duré trois heures, la garnison a été dégagée grâce à l’intervention de d’avions de chasse et de tirs d’artillerie. Les assaillants (qui ont eu des tués) seraient des algériens, des tunisiens et des lybiens.

On aura noté que sous des formes et pour des motifs divers (émeutes, attentats), les régions du sud du pays, aux portes (Biskra, Laghouat, Ouargla, Ghardaïa, Hassi-Messaoud) ou au cœur du Sahara (Tiguentourine), sont sujettes à une agitation qu’on observait plutôt dans les banlieues surpeuplées du nord ou en Kabylie. Le sud algérien est devenu une région hautement sensible. C’est l’objet de l’Éclairage (n°15) de ce mois-ci.

Liberté d’expression, libertés syndicales

Nasreddine Rarrbo, est un militant de 25 ans, membre du Mouvement des Jeunes du 8 mai 1945, un groupe qui dénonce la corruption et appelle à l’instauration de la démocratie par des moyens pacifiques en Algérie. Son activité politique sur facebook lui a valu d’être arrêté le 5 février à Larbaa (Blida) par des agents des services de sécurité algériens et torturé pendant deux jours au commissariat de police avant d’être inculpé de « troubles à l’ordre public » et d’ « outrage à corps constitués » . Son cas a été soumis au Rapporteur spécial sur la torture des Nations unies et au Rapporteur spécial sur la liberté d’expression.

Mais les atteintes aux droits de l’homme en ce début d’année 2013 ont surtout concerné les chômeurs (notamment à Ouargla, cf. ci-dessus) et ceux qui les défendent, les militants syndicaux.

Le 18 février, une dizaine de syndicalistes membres de plusieurs syndicats autonomes ont été arrêtés à Alger alors qu’ils tentaient d’organiser un sit-in devant le ministère du Travail pour protester contre la non délivrance du récépissé d’enregistrement de leurs organisations pourtant actives sur le terrain depuis des années. « Les arrestations ont été très musclées. Des dizaines de camions de police ont été stationnés devant le ministère du Travail. Des policiers ont contrôlé les papiers de tous les passants et dés qu’ils s’apercevaient qu’une personne n’habitait pas à Alger, ils l’embarquaient. » Le secrétaire national aux mouvements sociaux du FFS, Youcef Aouchiche a été également embarqué par la police.

La répression antisyndicale a pris un tour particulièrement radical à l’occasion du 1er forum maghrébin pour la lutte contre le chômage et le travail précaire. Cette conférence a été empêchée dans des conditions que rapporte l’extrait suivant du communiqué du Collectif Vérité et Justice pour l’Algérie.

« Mercredi 20 février 2013 à 9h du matin, 11 chômeurs, de nationalité tunisienne, marocaine et mauritanienne, venus assister au premier forum des chômeurs et des travailleurs précaires, initié par le SNAPAP (Syndicat National Autonome de l’Administration Publique), se sont vu arrêtés à leur hôtel à Alger et reconduits à la frontière comme de vulgaires délinquants après avoir passer la journée au commissariat de Bab Ezzouar. Le siège du SNAPAP à Alger a été également encerclé pour empêcher toute participation à la rencontre. Deux des organisateurs algériens ont été arrêtés et ont passés la journée au commissariat avant d’être relâchés en fin d’après midi. Dans une déclaration rendue publique le 21 février, la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme dénonce « cette tentative de réprimer une réunion pacifique portant sur le droit au travail et appellent les autorités algériennes à mettre un terme aux violations des libertés de réunion, d’association, d’expression ainsi qu’aux libertés syndicales dont sont victimes les défenseurs des droits de l’Homme en Algérie ».

Les partis politiques en crise de renouvellement

A un an d’une élection présidentielle évidemment cruciale, le tissu des partis politiques se déchire de toute part.

Au FLN. La destitution d’Abdelaziz Belkhadem secrétaire général du FLN le 31 janvier a révélé la profonde division interne du parti : le vote de défiance du Comité central s’est joué à 4 voix (160 contre 156). Ses adversaires lui reprochaient d’avoir utilisé « les institutions de l’État pour assouvir ses ambitions personnelles », une accusation assez cocasse en Algérie. Un successeur consensuel provisoire (jusqu’à la tenue du 10ème congrès ordinaire prévu au second semestre 2013) avait été trouvé en la personne d’Abderrazak Bouhara. Malheureusement, le nouveau secrétaire général, âgé de 79 ans, est décédé dix jours plus tard emporté par une crise cardiaque. A défaut de pouvoir trouver un nouveau personnage qui fasse consensus, le parti envisage de faire voter ses militants : 8 candidats dont deux femmes se sont d’ores et déjà déclaré.

Au RND. A la tête du Rassemblement national démocratique (2ème parti de l’Alliance présidentielle) depuis 1999, l’ancien Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, a démissionné de ses fonctions le 3 janvier. Depuis juin 2012 un mouvement de “redresseurs” s’opposait au secrétaire général, mais sa démission peut aussi être vue comme le signe d’une course à la présidentielle de 2014. Jusqu’au mois de mai quand se déroulera le prochain congrès du parti, c’est Abdelkader Bensalah, actuel Président du Conseil de la nation qui assure l’intérim.

Au FFS. Hocine Aït Ahmed (86 ans), créateur et leader historique du Front des forces socialistes a annoncé sa décision de quitter la présidence du parti le 21 décembre 2012. Le premier secrétaire national du FFS depuis 2011, Ali Laskri doit faire face à des démissions de plusieurs dizaines de militants ; il prépare le 5ème congrès du FFS qui se tiendra avant juin prochain à Alger et qui devra procéder à l’élection du nouveau président du parti.

Au RCD. Après 23 ans à la tête de ce parti d’opposition en Algérie, Saïd Saadi, démissionnaire, a été remplacé par Mohsen Belabbas en mars 2012 lors du quatrième congrès du parti. Des cadres et militants du RCD ont dénoncé, le 9 février dernier « les dérives » de l’actuel président du parti qu’ils accusent notamment de vouloir soutenir le président Abdelaziz Bouteflika pour un 4e mandat ; ils exigent le retour de Saïd Sadi.

Une page se tourne donc, les crises de “redressement” suscitées par ces changements laissant craindre, malheureusement, que les guerres de clans et de factions, principales sources du renouvellement du personnel politique algérien ne permettent pas vraiment à des visions d’avenir ambitieuses et rénovatrices de voir le jour.