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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Reconstruire ensemble une politique de sécurité 30 mars 2012

Le Syndicat des Avocats de France, le Syndicat de la Magistrature, l’Observatoire des délinquances et des contextes sociaux, la Région PACA ont organisé le 16 mars un colloque à Marseille sous ce titre . Les trois principaux intervenants étaient Pierre Joxe, avocat au barreau de Paris, Valérie Sagant, magistrate et co-auteur du rapport de la fondation Terra Nova sur la politique de sécurité et Laurent Mucchielli, Directeur de Recherches au CNRS et de l’Observatoire des délinquances et contextes sociaux.
Nous nous sommes inspirés des idées émises par ces trois conférenciers, des débats qui ont succédé à leurs interventions pour aborder ce sujet dans l’article qui suit.

Une vision de la politique sécuritaire.

La politique de sécurité appartient de droit à l’Etat qui en a la responsabilité et doit en définir les grandes lignes. Elle est aussi de la responsabilité de chaque acteur du champ social, non pas directement mais comme conséquence de son action. Un travailleur social, du fait qu’il aide des populations à vivre, qu’il gère des difficultés et des conflits, agit pour une société apaisée, et donc une société de sécurité.

Le but de la sécurité n’est pas de mener une guerre, victorieuse certes, contre le crime, le terrorisme ou d’autres déviances, mais d’instaurer des relations sociales dans lesquelles chacun trouve sa place pour un épanouissement personnel et collectif. La « guerre » peut être un moyen passager – c’est à discuter – elle ne peut être un état permanent de la société. La recherche de la sécurité peut passer par des actes de violence nécessaire, mais la mesure de la violence institutionnelle ne peut être le critère de réussite d’une politique de sécurité. On ne peut dire que la Principauté de Monaco soit un modèle pour nous, tant cette société est policée et surveillée. Il est cependant instructif de savoir qu’en ce pays chaque acte de violence institutionnelle, rendu nécessaire par un délit, est considéré comme un échec. La réussite de l’action policière est validée par l’absence d’interventions de la Police. On peut comparer cela à la gourmandise avec laquelle on nous rappelle qu’en France le plan Vigipirate rouge est toujours en vigueur, et que même on vient pour la première fois d’appliquer dans une région le plan écarlate. Ou encore avec la nécessité pour la Police de remplir des quotas de PV délivrés, de gardes à vue exécutées, de mises en examen obtenues. Bien sûr ce sont des mesures de l’activité des services qui ont leur valeur indicative, mais il ne faut pas oublier le but qui serait une société dans laquelle cette mesure ne serait plus pertinente, si l’activité répressive ne concernait plus qu’une partie marginale irréductible de la population . La politique du chiffre instaure une confusion entre résultat et activité. Non seulement elle mène à toutes les dérives ou abus, non seulement à chasser la délinquance la plus facile à atteindre et élucider – et par là la moins inquiétante – mais, plus grave encore, elle instaure dans la société un renversement des valeurs : est honoré le « superflic », le « Rambo » qui « terrorise les terroristes » comme cela a été demandé par un Ministre de l’Intérieur, est déconsidéré l’acteur de la sécurité qui apaise les tensions et les relations.

Cette politique est liée directement à la notion de guerre introduite ces dernières années, depuis la « guerre au terrorisme » de Georges Bush. Nous sommes en guerre contre les criminels, puis contre tous les délinquants, et pourquoi pas contre les marginaux pour finir récemment contre les Roms. La politique de sécurité a été contaminée par la sécurité extérieure : nous faisons une guerre intérieure alors que nos opérations militaires à l’extérieur s’apparentent à des actions de police (inaugurées par l’armée, à son corps défendant, pendant la « bataille d’Alger » voici plus de 50 ans). Même la Sécurité Civile se militarise, jusqu’à introduire des uniformes de type militaire. Combien de vigiles habillés en quasi-CRS, même lorsqu’il s’agit de gardiens de barrières ? Dans le fameux plan Vigipirate écarlate, la Sécurité Civile est de fait incorporée à l’action militaire.

La politique des dernières années.

A ces considérations il faut ajouter une politique spécifique développée depuis une dizaine d’années. On a surfé sur les peurs et le désir d’un « toujours plus de sécurité ». A la politique du chiffre qui ne concerne pas seulement la sécurité, tous les fonctionnaires y sont soumis, s’est ajouté le « toujours plus » de lois. A chaque événement une nouvelle loi. Un exemple parfait est donné par le discours du Président le 22 mars dernier, une heure après la mort du tueur de Toulouse et Montauban : c’est toute une série de mesures, toutes plus coercitives les unes que les autres, qu’il a annoncées, comme si cette affaire dramatique avait dans l’instant éclairé la société sur les causes de son insécurité et sur les remèdes devant lui apporter la paix. Ces lois ne sont quasi jamais évaluées, jamais avant la promulgation de la suivante qui les corrige. Elles ne sont mises en œuvre que très partiellement faute de décrets d’application ou parce qu’on a changé d’idée avant de les promulguer, elles se marchent les unes sur les autres, introduisant nombre de contradictions qui rendent le Droit illisible. Il s’agit d’une politique brouillonne, donc incompréhensible et souvent inapplicable, mais de plus cela induit une atmosphère sécuritaire allant à l’envers d’un apaisement des relations dans la société. Il n’y a pas mieux pour attiser les peurs irrationnelles, faire de chacun l’ennemi de l’autre et sa victime potentielle. Beaucoup d’argent est dépensé pour la sécurité, mais de façon erratique. Comment mener une action cohérente quand les crédits sont alloués en dents de scie ? On se vante d’allonger des millions, mais pour quelle action ? Les deux tiers des crédits alloués actuellement à la sécurité sont donnés pour la vidéosurveillance dont l’efficacité n’a jamais été évaluée sérieusement en France (et les évaluations étrangères ne sont guère encourageantes sur son efficacité). Son coût non plus n’est pas pris en compte, l’exemple de la ville de Cannes est instructif : sept millions d’euros pour l’installation et…600 000 euros annuels pour l’utilisation et la maintenance. Il serait intéressant de savoir quels autres types d’action ces sommes permettraient d’envisager, qui seraient peut-être plus efficaces.

Le traitement judiciaire des affaires.

La vision répressive des pouvoirs publics a entraîné une forte augmentation des peines de prison, en contradiction par exemple avec la loi de 2009 destinée à alléger le nombre de détenus. On a instauré une standardisation des réponses pénales, en contradiction avec le principe d’individuation de la peine qui était une des avancées essentielles de la Justice moderne. A cela il faut ajouter les transferts de charges de la Police nationale vers les polices municipales et les polices privées. Ce renoncement de l’Etat à son pouvoir régalien est très inquiétant pour la démocratie, mais de plus tant les polices municipales que les officines privées ne bénéficient pas d’une formation suffisante pour le rôle qu’on leur laisse.

On a introduit aussi la notion de « traitement en temps réel » (TTR). La raison en est un désir d’efficacité accrue, et si l’on compte en nombre de dossiers traités, cela est une réussite. On comprend que dans une administration, quelle qu’elle soit, le nombre de dossiers traités soit un critère d’évaluation. Mais il semble que l’efficacité d’une administration soit liée principalement au résultat obtenu par le traitement des dossiers. On ne traite pas des dossiers pour le plaisir de les traiter et d’augmenter leur nombre. Et dans ce domaine le TTR a révélé des limites fortes, des lacunes, des dérives. On n’a plus le temps de se préoccuper de la personnalité des individus mis en cause. Quelle est la justice d’un jugement qui ignore celui qu’elle juge ? Les peines automatiques n’ont pas besoin de magistrats pour les prononcer, elles déshumanisent la Justice, détruisent les individus, compromettent l’amendement des délinquants qui devraient accepter leur peine (ou pour le moins en reconnaître le bien-fondé, la logique), en percevoir le sens. Pour les mineurs, le TTR est encore plus catastrophique, il enlève toute once de mesure éducative. Quant aux victimes, il constitue pour elles, dans la plupart des cas, une violence supplémentaire. Encore sous le choc de ce qu’elles ont subi, sans avoir le temps de prendre le moindre recul, elles sont sommées de venir s’expliquer devant une Cour. Il n’est pas rare, lorsqu’on donne du temps, de rencontrer des victimes apaisées, désirant que justice soit rendue tout en ne rejetant pas le délinquant. Alors la peine permet de tourner la page en leur rendant justice, permet au délinquant d’entamer une réhabilitation. Cette Justice rendue atteint alors son but, mais avec le TTR ceci est strictement impossible. Avec le TTR, la grande majorité des affaires passe en comparution directe, avec donc toute cette violence et cette injustice commise tant envers les victimes que les délinquants. Les moyens de la Justice étant trop faibles – le peu de crédits alloués sont absorbés prioritairement par les constructions et la gestion de prisons – les délais sont beaucoup trop longs si on évite la comparution directe, d’où une nouvelle injustice envers les personnes impliquées qui vivent fort mal ce temps d’attente, qui demeurent dans leur délit ou dans la violence subie sans pouvoir en sortir. La quadrature du cercle dirait-on ? Oui, mais il est possible d’en sortir si l’on a une autre vision de la Justice et que l’on en prend les moyens.

Faiblesses de la politique répressive.

La politique sécuritaire actuelle coûte très cher, il faut se pencher sur les comptes pour comprendre où va tout cet argent qui devrait servir à apaiser la société. Les prix des constructions de prison, de la gestion des places en détention sont sans commune mesure avec l’argent octroyé aux actions qui feraient baisser la délinquance. Mais ce ne sont pas les mêmes caisses, alors on ne fait pas de comparaisons…Pour un mineur en EPM (« Etablissement pénitentiaire pour mineurs », les nouvelles prisons pour mineurs), combien d’enfants en danger pourraient être suivis en milieu ouvert … et prendre une voie qui ne les mènerait pas à terme en détention ? Bien sûr il existe des irréductibles pour lesquels on ne trouve pas d’autre solution que l’enfermement. Ceux-là feront partie de notre part d’échec à l’aune de la façon de compter en Principauté de Monaco, mais combien sont-ils ? Que signifie de condamner à de la prison, puis de jouer sur les sursis, ou sur d’autres possibilités afin de ne pas enfermer les condamnés ? Très souvent on ne libère pas avec anticipation parce que le délinquant aurait fait un chemin lui permettant sa réinsertion, mais simplement pour libérer de la place … et le délinquant libéré dans ces conditions augmente toutes ses chances de venir réoccuper la dite place ! Si c’est pour l’effet d’annonce, tout est parfait, le bon peuple saura que nos édiles veillent au grain et les protègent en faisant condamner un maximum de déviants. On annonce ainsi au peuple qu’on incarcère, et dans la foulée on libère en douce. Quand cette façon de faire coince, qu’il y a bavure, on accuse la Justice de laxisme.

Ce double langage du pouvoir politique est insupportable : on édicte des lois (une trentaine en dix ans !!) chaque fois plus répressives, tellement embrouillées qu’elles sont souvent inapplicables, et parallèlement on expédie aux magistrats des circulaires dont la majorité des citoyens ignorent l’existence qui contredisent les dites lois . Qu’il applique la circulaire, le Magistrat, en cas de problème, peut être vilipendé pour n’avoir pas appliqué la loi dans toute sa rigueur, qu’il ne l’applique pas, il se trouve devant le mur d’une loi inapplicable et en conflit avec sa hiérarchie. Ce double langage a aussi un effet dévastateur sur les justiciables. Les peines et leur application devenues incompréhensibles perdent leur légitimité. Seul reste le bâton pour mettre tout le monde au pas, et personne n’y croit.

Connaître la délinquance.

Si le traitement de la délinquance a perdu toute clarté et se dirige comme un bateau ivre, reste le fait de la délinquance, reconnu par tous, et la connaissance que nous pouvons en avoir. Là encore les choses sont biaisées. On ne le dira jamais assez, « la » délinquance n’existe pas. Quand on parle de « la  » délinquance, on cite les crimes horribles, les viols d’enfants, etc. Mais comment confondre cela avec un vol de portable ou de portefeuille, une fausse déclaration d’impôts, une bagarre ou le fait de fumer un joint ? La vie est infiniment plus complexe que cette vision simplifiée donnée par les journaux et renforcée par les déclarations des autorités. Quand on parle de victimes, on évoque les victimes de meurtres, de viols, si possible qui appellent à la vengeance la plus sévère, et on fait de grandes déclarations pour les protéger. « La Justice pénale, c’est d’abord celle des victimes » a déclaré le président de la République. Alors que l’on nous dise quel est le rôle des juges. Le Juge est-il encore cet arbitre entre le Procureur, défenseur de la société, la Partie civile, représentant les victimes, et les avocats de la Défense ? La grande majorité des victimes sont de petites gens qui ont subi une violence (arrachage de sac, vol, effraction, agression, etc.) qui n’ont jamais voulu se trouver au centre d’un procès pénal et de toutes les déclarations qui l’entourent, qui désirent seulement que « Justice leur soit rendue », c’est-à-dire que par quelque moyen la société reconnaisse leur souffrance et dise leur Droit. On légifère pour les victimes de meurtre, en promulguant des lois qui vont d’abord s’appliquer à des victimes tout-à-fait ordinaires. Pas plus que « la » délinquance, « la » victime n’existe pas.

« La » délinquance augmente, dit-on, de manière vertigineuse. Il serait bon de se tourner vers les historiens pour le savoir. La délinquance est un concept construit. La grande majorité des crimes actuels sont des viols, pédophiles ou non. Et la plupart des viols se déroulent « en famille » (inceste, relations entre frères et sœurs, viols conjugaux). Voici cinquante ans l’inceste était tu, le viol conjugal était une notion inconnue, les affaires entre frères et sœurs (ou cousins) ne sortaient pas de la famille. De la pédophilie, il n’était quasi pas question, la police ne désirait pas s’en mêler et renvoyait à l’autorité parentale. Quant aux autres violences non crapuleuses (n’ayant pas pour but un vol), les violences conjugales n’étaient pas comptabilisées, les bagarres entre jeunes étaient courantes et rarement soumises à la Justice. Outre qu’elles étaient régulées dans les cours de récréation par les adultes présents (c’était le temps où les » pions » existaient), celles qui se déroulaient à l’extérieur n’émouvaient pas trop les adultes qui savaient que l’adolescence est une période difficile. Restaient les grosses bagarres rangées, telles celles qui se réglaient à coups de chaînes de vélo entre des blousons noirs ou auparavant les Apaches, elles n’avaient rien à envier à ce qui se passe aujourd’hui et seules concernaient les forces de Police. La question n’est pas de savoir si c’était mieux alors (sauf la présence d’adultes dans les établissements scolaires qui ont disparu depuis deux ou trois dizaines d’années et font cruellement défaut, pas seulement pour la sécurité), mais il est fait que la plus grande partie de la délinquance qui remplit nos journaux aujourd’hui passait inaperçue par manque d’intérêt voici quarante ans. Par ailleurs il existe toute une délinquance non comptabilisée ou très peu médiatisée : la délinquance routière, les atteintes au code du travail (qui peuvent avoir des conséquences très graves, les accidents du travail sont très nombreux, y compris les morts ou handicapés graves), la délinquance fiscale. Les escroqueries sont très peu poursuivies et encore moins pénalisées : il vaut mieux escroquer un million que voler mille euros en arrachant un sac ! La délinquance des riches semble mieux supportée par la société que celle des pauvres.

Alors la délinquance augmente-t-elle ? La question est vide, non pertinente. On peut mesurer telle sorte de délinquance et voir comment elle était ressentie autrefois, mais les comparaisons avec des chiffres sont assez vaines tant est variable le ressenti de la société devant ces phénomènes. On peut sans nul doute comparer les crimes de sang, ils diminuent fortement en nombre. Pour les autres types de délinquance, mieux vaut s’attarder sur ce qu’on doit faire que s’égarer dans des comparaisons non pertinentes. Les discours de nos autorités surfent sur un sentiment d’insécurité qui sert leurs intérêts, politiques et aussi financiers, mais sont hors de la réalité.

Le sentiment d’insécurité.

Le sentiment d’insécurité, lui aussi, est bien réel et doit être analysé pour le comprendre et y répondre. Les habitants de l’immeuble dans lequel vivait le « tueur au scooter » de Toulouse seraient terrorisés à l’idée de revenir y habiter. Mais qui les terrorise ? Tout le monde est d’accord pour dire que de tels phénomènes sont très rares, uniques, les chances qu’une même population les subisse une nouvelle fois sont quasiment nulles. Seulement les medias ont scénarisé, minute par minute, l’hallali opéré contre lui, y compris en repassant sur les ondes la minute et demie de tir nourri qui a achevé l’assaut…et l’assiégé. Qui a construit ce sentiment d’insécurité ? Pour lutter contre le sentiment d’insécurité, ne faudrait-il commencer par apaiser les relations entre les gens ? Montrer les vrais dangers (il en existe, évidemment) et dégonfler les baudruches ? On ne construit pas une politique sécuritaire sur le sentiment d’insécurité, sinon on va à l’échec, même si cela permet de gagner une élection. Les études menées montrent que le sentiment d’insécurité, la peur, sont très souvent déconnectés du réel. Ce sont d’abord les personnes vulnérables (personnes âgées, précaires, personnes isolées) qui ont peur de façon totalement des risques qu’ils pourraient courir. On a peur de l’inconnu, du fantôme agresseur qui pourrait fondre sur nous, venant de nulle part. Or dans 90% des cas recensés, la victime connaissait son agresseur qui était assez proche. A Marseille la ville serait prise par la peur à la suite de règlements de compte sanglants dans le grand banditisme. Mais si l’on y réfléchit bien, en quoi cela induit-il des dangers véritables pour la population ? On exagère la peur qu’elle éprouve pour justifier une politique (les problèmes des Marseillais sont plus le chômage que ces épisodes sanglants), et s’il et vrai qu’il existe une peur rémanente, elle est plus liée au traitement médiatique de ces faits qu’à des risques encourus. Ce n’est donc pas avec des annonces sécuritaires qu’on peut lutter contre ces peurs, ce n’est non plus pas en développant une politique répressive. La source du mal est ailleurs.

Quelques pistes de solution.

Alors que faire ? Certainement pas renoncer à poursuivre les crimes et les délits, il serait même bon de se montrer plus sévère pour nombre de délits qui coûtent très cher à la société et sont étrangement absous. Mais il faut renoncer à le faire de façon brouillonne, à coups d’effets d’annonce, en instaurant la société une culture de la guerre, de l’affrontement. Il est possible de tout sécuriser, de ne plus trouver de délinquants (visibles) ni de marginaux, cela s’appelle la dictature. Le Procureur de Marseille, au cours du colloque, disait que le taux de démocratie d’un pays est parallèle à son taux de marginaux…

Il est temps de définir une doctrine qui oriente l’action des pouvoirs publics. Cette doctrine doit guider la Justice et la Police. Par exemple veut-on la paix civile ou la guerre aux délinquants et aux marginaux ? Il semble que le plus urgent soit d’établir une doctrine pour la Police : lorsque la Justice est laissée libre elle trouve des ressources pour se diriger plus facilement que la Police qui travaille au plus près du terrain, où il est difficile d’avoir du recul. Qu’attend-on des forces de sécurité ? Désire-t-on une police de proximité, une police de médiation, une police à la poursuite des délinquants ? Ce genre de missions ne s’excluent d’ailleurs pas mutuellement, encore faut-il les préciser. Il est nécessaire d’édicter des règles sur la violence légitime. Les armées ont une doctrine qui guide leurs interventions. La Police semble étrangement en manquer. La Police Municipale doit-elle être armée ? Comment ? Pour quelles opérations ? Qui des armes létales ou à l’opposé des Tasers ou autres armes de dissuasion ? Actuellement on arme à tout va sans se demander à quoi cela sert. Cela semble une sorte de reconnaissance de statut, un policier sans « pétoire » ne serait qu’un moins que rien ! Le débat est renversé, on arme puis on se demande quoi faire. Dans le déroulement des actions peuvent se produire de la part des forces de l’Ordre des excès, quelle est la limite qui en fait des abus, voire encore des délits ? Il serait bon qu’une doctrine précise ces notions.

En plus d’établir une doctrine, il est nécessaire de s’attacher à une saine gestion du personnel. Quelles sont les « forces de sécurité » ? Certainement la Police Nationale, mais quelle est la place des Polices municipales, des officines privées ? Quelle doit être la structure de ces forces (combien d’hommes de troupes, de sous-officiers, d’officiers, de commissaires ?). Quelle répartition sur le territoire ? Quelles sont les qualifications nécessaires ? Et donc on touche aux questions de formation initiale et permanente, aux perspectives de carrière. Comment demander fidélité et dévouement à des troupes si ces questions sont éludées, si les réponses se font au gré des situations, sans continuité ? Mutatis mutandis ces questions doivent aussi être posées et trouver des réponses pour la Justice.

Les personnels travaillent avec du matériel. On rit du sous-équipement de la Police, de l’état des commissariats. Mais le problème est sérieux, et pour la Justice tout autant. Les Magistrats et les Policiers ont le droit, le besoin, de travailler dans des locaux respectables et respectueux de ceux qui les occupent. Les greffes sont sous-dotés, n’ont pas les moyens de travailler correctement. La Police a besoin de voitures correctes et en état de marche, de réseaux informatiques performants, etc. Non seulement cela est essentiel pour leur travail, mais leur fournir du matériel correct est une bonne façon de leur montrer de la considération (bien plus qu’en armant certains policiers quand ce n’est pas nécessaire). Sans considération on ne peut attendre un travail efficient. La Mairie d’Aix l’a bien compris qui a équipé sa Police Municipale d’un parc de voitures et de motos (pour quel genre d’interventions, au fait ?) qui n’a rien à envier à la meilleure brigade de gendarmerie routière. Enfin il faut mentionner aussi les développements technologiques. En face de certaine délinquance, ou encore plus du crime organisé, la Police doit avoir accès à une technologie sans cesse en évolution.

Ces considérations relèguent bien loin la trentaine de lois sécuritaires promulguées depuis une dizaine d’années, des effets d’annonce, des proclamations de guerre au terrorisme ou aux délinquants, aux Roms ou aux Sans-papiers. Il est temps de reconsidérer, de redéfinir les rôles de la Police et de la Justice, de leur assigner des buts et leur en donner les moyens. Il est temps de travailler à un apaisement des conflits dans la société au lieu de les attiser. Tout cela est bien connu des spécialistes, les rapports, livres et études ne manquent pas, mais il semble que bien souvent les décideurs se contentent d’un digest des rapports commandés. Il ne suffit pas de savoir que les études sont réalisées, encore faut-il une volonté politique forte pour les mettre en œuvre, une volonté qui s’étale dans le temps en oubliant un peu les échéances électorales, une volonté qui ose avancer malgré tous les obstacles…On peut toujours espérer.