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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Exaspération populaire et incertitudes politiques 28 février 2012

Actualité sociale.

Le 26 janvier à Tiaret, Hichem Gacem (22 ans), vendeur “informel”, s’immole par le feu après que les policiers aient renversé son étal de lunettes. Il succombe des suites de ses brûlures au CHU d’Oran le 31 janvier. Son enterrement le 2 février a donné lieu à des manifestations violentes et des affrontements très durs avec les forces de l’ordre : plus de trente blessés et des arrestations. Les émeutes et les heurts entre manifestants et forces de l’ordre restent les symptômes les plus visibles du climat de frustration dans lequel vivent les algériens aujourd’hui. Les problèmes de logement et de relogement constituent le motif le plus fréquent de ces manifestations. Depuis le début de l’année, on a dénombré, à Mostaganem, à El Oued, à Alger, à Oran, à Laghouat, et ailleurs des émeutes quotidiennes liées aux critères et aux méthodes d’attribution des logements sociaux. Sur tout le territoire algérien, la vétusté des logements anciens (A Constantine par exemple, de nombreux immeubles menacent de s’effondrer) et l’essor d’une population venue se réfugier en masse dans les villes depuis les années 90 provoque une explosion des besoins de logements ; de vastes programmes de construction sont actuellement en cours (concédés à des entreprises chinoises et turques) et des listes d’ayant droits sont constituées. Rien que pour Oran et les localités attenantes, plus de 45.000 demandes de logements sont en attente. Figurer sur ces listes et se voir attribuer un appartement est un combat de plusieurs années pour beaucoup d’Algériens qui constatent que la corruption, les fausses promesses, les retards de construction font reculer indéfiniment leurs chances d’être logés. Les réactions de la population sont d’une extrême violence (comparables à celles que la France connaît aussi, à la Réunion lors des émeutes contre la vie chère) à chaque fois que les listes ne sont pas publiées ou qu’elles ne sont pas respectées, et les affrontements aux forces antiémeutes font chaque semaine des centaines de blessés et d’arrestations. D’autres motifs comme le chômage, les problèmes d’équipement en eau et en électricité mais aussi, par exemple, la mort de deux jeunes contrebandiers poursuivis par la police, l’interpellation d’un footballeur connu, l’insatisfaction à l’égard d’une cantine scolaire, des conflits de voisinage, dégénèrent en combats de rue extrêmement brutaux.

Cette exaspération ambiante et chronique a été aggravée ces dernières semaines par un épisode de très grand froid et d’enneigement aux conséquences dramatiques pour une partie importante de la population (au minimum une cinquantaine de morts). Selon la LADDH, « Les intempéries qu’a connu le pays ont montré les limites d’un système de gouvernance quant à la prise en charge des citoyens et la protection de leurs droits sociaux économiques les plus élémentaires ».

Dans ce contexte, faut-il s’étonner que le phénomène des harragas, plutôt réservé aux saisons clémentes de l’année ait connu cet hiver une recrudescence inhabituelle ? Le 15 janvier le journal L’Expression titrait : « L’année 2012 s’annonce mortelle pour la jeunesse algérienne. Chaque jour, des candidats à l’émigration clandestine, dont des jeunes, des femmes et des enfants sont interceptés au large de nos côtes. » Ainsi rien que pour la région de Mostaganem (à l’ouest, vers l’Espagne), plus de 50 harragas ont été arrêtés en mer pendant le mois de janvier. Quarante-deux en 24 heures au large de Annaba (à l’est, vers la Sardaigne). Combien ont réussi à échapper aux gardes-côtes ? Combien ont survécu ? Combien croupissent dans des centres de rétention en Espagne ou en Italie ?

Dans le même temps, la position financière de l’Algérie n’a jamais été aussi favorable : grâce au marché des hydrocarbures, les réserves algériennes de change, qui ont franchi les 182 milliards de dollars en 2011, atteindront un niveau spectaculaire en 2012.

Islamisme armé

Selon les chiffres officiels, les attentats ont coûté la vie à 200 algériens en 2011 (la petite criminalité a fait 300 victimes durant la même période). Il semblerait que la fréquence des attentats revendiqués par les islamistes armés accuse une baisse significative ces derniers mois. Mais la Kabylie et les Aurès restent le foyer d’affrontements meurtriers entre l’armée et des groupes armés identifiés à l’ex-GSPC ou à AQMI selon les sources. Ces affrontements ont été particulièrement intensifs début janvier quand l’armée a entrepris le ratissage et le bombardement de zones de maquis islamistes dans la région de Tizi Ouzou. Deux maquisards ont été tués et d’importantes caches d’armes et d’explosif auraient été découvertes lors de ces opérations. Dans la même semaine trois militaires ont été blessés lors de l’explosion d’une bombe placée sur le passage de leur véhicule. Plus récemment, le 19 février, près de Boumerdés, quatre passagers d’un car suivant un convoi des forces de sécurité ont été tués et plusieurs autres grièvement blessés. La riposte de l’ANP ne s’est pas fait attendre puisque dans les 4 jours qui ont suivi, 17 maquisards ont été tués et autant ont été blessés et faits prisonniers. Le ministère de la Défense semble craindre l’action de kamikases dans cette région et a mis à contribution trois opérateurs téléphoniques pour envoyer des SMS aux citoyens, leur demandant de signaler une éventuelle menace ou présence terroriste.

Le 23 janvier quatre condamnations à mort par contumace ont été prononcées pour des actes terroristes par la Cour criminelle d’Alger.

Les élections législatives

La préparation des élections du 10 mai suscite un débat récurrent en Algérie au moment des élections : le débat sur la fraude. Comme pour les scrutins précédents, des gages ont été donnés par le gouvernement (des urnes transparentes, la présence d’observateurs étrangers par exemple), mais avec 45 000 bureaux de votes à surveiller qui peut croire que le bourrage des urnes et les doubles inscriptions seront évités cette fois. La principale innovation est la création d’une commission de magistrats désignés par le Président de la République pour assurer le contrôle du déroulement du scrutin ; l’indépendance de la justice (cf Eclairage n°9) étant loin d’être garantie en Algérie, cette mesure n’a pas vraiment rassuré. Pratiquement tous les partis (mis à part ceux qui gouvernent actuellement) considèrent la fraude en faveur du régime comme inéluctable. Les partis islamistes (cf Eclairage n°7) mettent en garde contre les risques de guerre civile qu’entraîneraient des irrégularités qui les écarteraient du suffrage. Quant aux partis de gauche (cf Eclairage n°3), depuis vingt ans qu’ils prennent part aux élections, ils ont une longue tradition de non participation à des scrutins qu’ils estiment truqués, mais aussi qu’ils sont sûrs de perdre. Cette fois, c’est le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie de Saïd Sadi) qui le premier a décidé de boycotter ; la question est encore en débat dans les instances du FFS (Front des forces socialistes de Hocine Aït Ahmed). La possible abstention des “démocrates” ne fait pas l’affaire des “nationalistes” du gouvernement (FLN et RND) qui craignent la victoire des “islamistes”. En effet, alors que le FLN affiche ses divisions internes, trois partis islamistes (Ennahda, El Islah et le MSP) viennent de réaliser une alliance électorale avec l’engagement de présenter des listes communes et de constituer un seul groupe parlementaire dans la prochaine assemblée. Bouteflika mène une campagne résolue contre l’abstention par des discours (Arzew, 23 février : « L’algérie est en danger ») et par des moyens plus inhabituels comme l’envoi massif de SMS encourageant la participation au scrutin.

En vrac : Instauration d’un quota de 33% de femmes sur les listes électorales aux élections législatives et locales. Agrément de 17 nouveaux partis autorisés à présenter des candidats aux élections. Interdiction à tout citoyen algérien ayant une double nationalité d’être candidat aux élections locales, législatives et présidentielle. Le nombre des députés à élire passe de 389 à 462, soit une augmentation de 73 sièges. Enfin, sur décision du Président, chaque député de l’assemblée actuelle touchera une prime de 30 millions de dinars (300 000 Euros) à la fin de son mandat…pour services rendus ?

Une semaine ordinaire à la LADDH

Le conseil national de la LADDH, s’est tenu les 17 et 18 février à Zeralda. Voici une présentation de ses conclusions par Ahmed Selmane dans le journal La Nation du 21 février. Les “amis” d’occident, c’est nous…

« Des faux témoins de la “civilisation”

Le conseil national de la LADDH, réuni à Zéralda les 17 et 18 février, a résumé, de manière succincte dans son communiqué, pourquoi il ne faut accorder aucun crédit à un régime qui, fondamentalement, ne fonctionne que sur le double levier de la répression et de la corruption. Sans efficacité minimale au plan de la gestion économique et administrative. Dans l’atmosphère de rapine qu’il a instituée comme norme et malgré une conséquente disponibilité des ressources financières, le service public ou le service du public n’existe pratiquement plus. Quelques flocons de neige et l’on a redécouvert de très nombreux Algériens esseulés et les niveaux de pauvreté que les temps cléments permettent de cacher. Les perturbations climatiques, indiquent le communiqué de la LADDH, ont montré « les limites du système de gouvernance en matière de prise en charge du citoyen et de la protection de ses droits sociaux et économiques fondamentaux ». Le langage des militants des droits de l’homme est fortement marqué par la volonté de faire du « constat ». Il ne rapporte que très faiblement le niveau de l’écœurement de très nombreux Algériens face à la gabegie d’un système si « présent » pour surveiller, contrôler, réprimer et empêcher le mouvement naturel de la société vers l’émancipation, la liberté et la citoyenneté. Le régime ne fonctionne qu’à la manœuvre, la manipulation et aux faux semblants. Il réprime les Algériens et négocie, avec les occidentaux, pas avec les forces politiques du pays, des opérations cosmétiques qui n’illusionnent que ceux qui veulent bien faire semblant d’y croire. Depuis que le régime a entrepris ses fausses réformes en faisant mine de modifier les textes – et en le verrouillant davantage le plus souvent – nos « amis » d’occident ont multiplié les exclamations d’admiration… Comme d’habitude, ils ont leurs propres soucis et les tenants du régime savent y répondre. On finira, bien sûr, par saisir la « contrepartie » qui a été concédée, pour obtenir le faux témoignage de « civilisés » sur les réformes « impressionnantes » menées par le gouvernement algérien. Le conseil national de la LADDH a appelé, avec une certaine pudeur, la communauté internationale « à faire preuve de réserve et à s’abstenir de prendre des positions dans le sens d’un soutien aux soi-disant réformes, attentatoires, dans les faits, aux libertés » ». On peut penser que les militants des droits de l’homme prêchent dans le désert. Les occidentaux privilégient leurs intérêts et non les valeurs des droits de l’homme. Mais la LADDH n’a pas tort d’envoyer ce message à nos très « chers amis » pour leur signifier que nous ne sommes pas dupes. Et que nous prenons acte de leurs faux témoignages et de leur long compagnonnage avec des autocraties et des dictatures bien commodes. C’est sans doute cela la supériorité de la « civilisation » de M.Guéant si fortement « impressionné » par les virgules que le régime algérien a déplacées dans des textes de loi qui ne s’appliquent jamais. »

Dans l’Eclairage n°10 on trouvera un long entretien de Mostefa Bouchachi, président de la LADDH, auquel fait écho un texte de Ali Yahia Abdenour, président d’honneur de la Ligue, publié dans EL Watan du 22 février

http://www.djazairess.com/fr/elwatan/360021 le pouvoir judiciaire est inconditionnellement soumis au pouvoir exécutif-22-02-2012-160021_120.php

Le thème de ces interventions est celui de l’indépendance de la justice en Algérie.

Le même jour, Taher Belabes du comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) et Malika Fallile affiliée au Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (SNAPAP), ont été arrêtés par la police, alors qu’ils voulaient interpeller le ministre du travail Taid Louh à l’occasion d’une conférence sur l’emploi.

Quatre jours plus tard, le 26 février, le président et le secrétaire général du Conseil national des enseignants contractuels ainsi que 40 enseignants contractuels syndicalistes affilié au Snapap étaient arrêtés lors d’un sit-in devant la présidence pour faire entendre leur protestation contre le mépris du ministre de l’Education nationale qui refuse l’intégration des enseignants hors spécialité qui ont exercés cette fonction depuis 5 a 13 ans.

A la ligue algérienne de défense des droits de l’homme, la mobilisation est permanente car « Le régime a fabriqué des hommes et des femmes qui ne croient pas à la souveraineté de la loi » (M. Bouchachi)