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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Chacun joue sa partition 30 avril 2011

Le mouvement social : manifestations et émeutes

Les émeutes locales contre des conditions de vie intenables (et pour l’emploi, le logement, les réseaux d’adduction en eau potable et d’évacuation des eaux usées, l’amélioration de l’état des routes, la revendication de centres de santé, d’école à proximité, de transport scolaire…) continuent à un rythme quotidien et dans tout le pays. Elles prennent très souvent la forme de barrage de routes comme, pour ne prendre qu’un exemple, le 11 avril dans la région de Tizi Ouzou. Ce jour-là, près de Fréha plus d’une centaine de familles ont protesté contre les lenteurs administratives des aides à l’autoconstruction en milieu rural. Les forces de l’ordre sont intervenues pour disperser les manifestants parmi lesquels, au terme d’une journée d’affrontement on comptait une vingtaine de blessés et une dizaine d’arrestations. Le même jour, non loin de là, les habitants du village de Chaoufa ont bloqué une route pendant plusieurs heures ; ils réclamaient des autorités la mise en service du réseau d’alimentation en gaz de ville. Quant aux habitants du village voisin de Yakouren, ils fermaient un autre axe routier afin de presser les autorités d’accélérer les travaux d’amélioration urbaine qui s’éternisent sans justification. Ils avaient déjà fermé la route en question 15 jours avant et pour les mêmes raisons.

Les mobilisations catégorielles ne faiblissent pas non plus pendant ce mois d’avril. Ces manifestations prennent souvent la forme de sit-in devant les ministères concernés. Quand il ne s’agit pas de catégories professionnelles en quête de revalorisation de leur situation (gardes communaux, médecins en spécialisation dans les hôpitaux, appelés “médecins résidents”, personnels de l’administration publique, etc), il peut s’agir de groupes d’intérêts particuliers comme les 800 personnes qui ont fait le 14 avril un sit-in devant le Ministère de l’Habitat pour demander pourquoi, souscripteurs dans le cadre d’un programme de logement, ils ne savent toujours pas, au bout de 10 ans, quand ils pourront entrer dans l’appartement qu’on leur a promis.

Au nombre de ces mouvements catégoriels, le mouvement étudiant s’est manifesté en ce mois d’avril de façon spectaculaire, dans un contexte de grèves nombreuses et prolongées dans les universités d’Algérie, parfois durement réprimées comme à Boumerdès et à Oran les 6 et 7 avril. La coordination nationale autonome des étudiants (CNAE) avait décidé, lors d’un rassemblement le samedi 26 mars, à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, d’organiser une marche le mardi 12 avril à Alger. Cette manifestation, interdite malgré la levée de l’Etat d’urgence depuis le 24 février a rassemblé environ 15000 étudiants venus de tout le pays. Aucune manifestation politique depuis janvier 2011 n’a rassemblé un nombre aussi important de protestataires. En outre, cette foule a pu, et c’est aussi une première, forcer l’imposant dispositif policier et atteindre le siège de la Présidence sur les hauteurs d’Alger. Aux revendications de nature pédagogique (la valorisation des diplômes universitaires et leur reconnaissance par la fonction publique, l’assurance d’emploi décents pour les étudiants diplômés, la possibilité pour les titulaires de diplôme de licence d’accéder aux postes de l’enseignement secondaire, l’augmentation de la bourse d’études, etc.) se sont ajouté des slogans politiques nettement hostiles au pouvoir (pouvoir assassin, gouvernement terroriste, Harouabia – ministre de l’enseignement supérieur – dégage ! Halte à la répression des étudiants, etc.). La manifestation s’est terminée sous les coups des policiers chargeant les étudiants à coup de matraques et de boucliers. Des dizaines d’étudiants souffrant de fractures ont été admis dans les hôpitaux d’Alger.

Une grève générale des journalistes des médias publics est annoncée pour le 2 mai.

Quant aux manifestations proprement politiques initiées le 12 février à Alger par la CNCD (Coordination nationale pour le changement et la démocratie), on se rappelle qu’elles ont lieu tous les samedi matin à Alger. On se rappelle aussi que ce principe de manifestations hebdomadaires a été un des motifs de divergences au sein de la CNCD qui a abouti à un CNCD « partis politiques ». Les marches des 2, 9 et 16 avril se sont déroulées selon un rituel désormais immuable : ces marches étant interdites, un important service d’ordre neutralise rapidement les manifestants, peu nombreux, et interdisent les lieux aux journalistes. Le 20 avril a pour une partie de la population algérienne une signification particulière : chaque année à cette date, les algériens se réclamant de l’identité berbère ou amazigh (particulièrement représentée en Kabylie mais aussi ….) célèbrent par des marches dans toute l’Algérie le « printemps berbère » de 1980. L’interdiction, le 10 mars 1980 à Tizi Ouzou d’une conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle provoquera jusqu’au 23 avril une réaction identitaire de masse (manifestations, grève générale, occupations) très durement réprimée sur fond d’intolérance de l’état algérien (Chadli Bendjedid est Président) à l’égard du régionalisme linguistique (30% de la population algérienne est berbérophone) et plus largement culturel de l’entité berbère. Ce 20 avril 2011…

Vendredi 15 avril : discours du président Abdelaziz Bouteflika

Première intervention nationale et télévisée du président depuis le début des « événements » en Algérie et dans le « monde arabe ». C’est d’abord l’image qui frappe http://www.youtube.com/watch?v=Tsgq-chiivk, celle d’un homme affaibli ne détachant pas son regard des feuilles qu’il lit de façon monotone pendant 20 minutes. Le contenu du discours (qui commence par « Au nom de Dieu le Clément le Miséricordieux, Que le salut de Dieu soit sur le plus noble des messagers, ses proches et ses compagnons jusqu’au jour du jugement dernier ») est accessible en français à l’adresse http://www.consulatalgerielille.org/pr_discours.htm. Après l’exposé des réformes sociales et économiques qui à ses yeux ont d’ores et déjà répondu à l’essentiel des revendications populaires, le président algérien expose les grandes lignes d’un « programme de réformes politiques, visant à approfondir le processus démocratique et à permettre aux citoyens de contribuer davantage aux décisions dont dépendent leur avenir et celui de leurs enfants ». Ce programme tient en une série impressionnante d’annonces, mais sans indication de calendrier.

- Annonce d’une révision de la constitution pour « renforcer la démocratie » ; « Ceci passera par la création d’une commission constitutionnelle, à laquelle participeront les courants politiques agissants et des experts en droit constitutionnel ».

- Annonce d’une révision de la loi électorale pour « permettre aux algériens d’exercer leurs droits dans les meilleures conditions, empreintes de démocratie et de transparence »

- Annonce d’une révision de la loi sur les partis « à travers la révision de leur rôle, de leur mission et de leur organisation, afin qu’ils contribuent plus efficacement au processus de renouveau »

- Annonce d’une « révision prévue de la loi régissant l’activité des associations » ; « Le respect des droits de l’homme doit devenir une préoccupation permanente des différentes ligues et associations nationales chargées de cette question « 

- Annonce d’une révision du code communal qui actuellement accorde un rôle tout puissant au préfet (wali)

- Annonce d’une révision de la loi sur l’information « notamment à travers la dépénalisation du délit de presse ».

Ces annonces, ajoutées à d’autres aveux (« Des fléaux sociaux tels la corruption, le népotisme et le gaspillage sévissent et l’Etat s’emploie à les combattre avec vigueur et détermination ») constituent, en creux, un état des lieux accablant de la « démocratie » algérienne. Pour finir on trouve encore dans ce discours, une mise en garde contre le retour de la violence, une mise en garde contre les ingérences étrangères et le rappel que les prochaines élections législatives auront lieu dans un an.

Comme on peut l’imaginer, les réactions politiques à ce discours ont été nombreuses et celles de l’opposition particulièrement critiques. En bref, aucun parti d’opposition ne croit que Bouteflika va défaire l’arsenal législatif de fermeture politique et le dispositif d’enfermement des libertés qu’il a lui-même mis en place depuis avril 1999. Le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), Mustapha Bouchachi : « Le problème en Algérie n’est pas dans les textes, mais dans les attitudes et comportements des institutions, lesquelles agissent en dehors de la loi. Quelle que soit la nature des législations, elles ne conduisent pas forcément à des réformes politiques » « Est-ce qu’on peut faire confiance à un Parlement illégitime et un gouvernement qui ne respecte pas les lois de la république ? »

L’opinion très répandue est que Abdelaziz Bouteflika ne pourra aller au bout de son mandat qui expire en 2014. La thèse d’une présidentielle anticipée, en 2012, se pose avec insistance et sa concrétisation ne tient plus qu’un seul détail : Le nom du successeur de Bouteflika. Car le résultat des élections présidentielles (le nom de l’élu et son score) est toujours connu avant le dépouillement en Algérie…

Vendredi 15 avril : reprise du terrorisme islamiste.

Lors de son adresse à la nation, le président Bouteflika s’est félicité de sa politique de la main tendue aux islamistes armés. Le président algérien a indiqué une nouvelle fois que sa politique de réconciliation nationale a ramené la paix et la sécurité en Algérie. Or le jour-même de cette déclaration, l’une des plus sanglantes embuscades tendues aux services de sécurité par un groupe armé depuis les trois dernières années se déroulait à quelques kilomètres de la ville d’Azazga, à l’est de Tizi Ouzou. Les cibles étaient des militaires de l’Anp stationnés dans cette région, précisément pour en éradiquer les maquis islamistes. Après avoir placé des engins explosifs et bloqué les routes avoisinantes avec des arbres pour empêcher l’arrivée de renforts militaires, au moins 50 terroristes ont attaqué un poste de l’Anp (Armée nationale populaire) avec des mitrailleuses, des bombes et des grenades. Les affrontements se sont poursuivis pendant plus de deux heures. Quatorze soldats ont trouvé la mort lors de cette attaque. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a revendiqué l’attaque contre les « maléfiques apostats » dans un communiqué rendu publique le 20 avril. D’autres attentats ont fait 5 victimes entre le 15 et le 17 avril.

Les violences impliquant des islamistes armés ont considérablement baissé d’intensité ces dernières années, elles reprennent ces jours-ci, près de deux mois après la levée de l’état d’urgence et sont tournées vers le bras armé de l’état lui-même soumis à de fortes contestations populaires. Il est clair que les islamistes d’Aqmi ou de sa branche algérienne le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc) saisissent l’occasion des événements qui secouent le Maghreb pour rappeler qu’ils sont toujours actifs et qu’en Algérie il faudra compter avec eux sur le plan politique. Il est clair aussi que d’ores et déjà le gouvernement algérien tire argument de ces attentats pour justifier la poursuite de sa politique sécuritaire et la mise en veilleuse des projets de démocratisation ; faisant d’une pierre deux coups, le gouvernement algérien, notoirement pro-Kadhafi, critique les insurgés libyens en les accusant d’armer massivement les maquisards du Gspc (ingérence étrangère).

Entre le 18 et le 23 avril, l’assassinat de Ahmed Kerroumi

Ahmed Kerroumi, âgé de 53 ans, enseignant à l’Université d’Oran et chercheur au CRASC (Centre de Recherches en Anthropologie Culturelle) a disparu dans la journée du 18 avril. Militant du Mouvement démocratique et social (MDS) et de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie section d’Oran (CNCD), Ahmed Kerroumi était très engagé dans la défense des droits de l’home en Algérie. Le 23 avril, son corps a été retrouvé dans le local du MDS. Son enterrement a eu lieu le 26 avril. A ce jour, les autorités algériennes tant politiques que judiciaires n’ont toujours pas réagi, ni pour condamner, ni pour informer l’opinion sur les causes présumées de l’assassinat ou sur l’avancement des investigations. Des indiscrétions, de source médicale (CHU d’Oran), font état de blessures à la tête ayant entrainé la mort. Les journaux proches du régime se sont empressés de distiller des hypothèses sur un vol de voiture qui aurait mal tourné ou même sur une affaire de mœurs. Les démocrates algériens et la LADDH n’ont aucun doute sur l’origine politique de l’exécution d’Ahmed Kerroumi. C’est aussi la conviction de Frank La Rue, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression qui avait rencontré Ahmed Kerroumi le 15 avril, lors d’une réunion à Oran sur la situation des droits humains dans le pays. Dans un communiqué du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies diffusé hier sur le site de cette instance, le rapporteur onusien appelle le Gouvernement algérien à mener « l’enquête la plus détaillée et indépendante qui soit sur ce meurtre tragique afin de traduire ses auteurs en justice ». Une telle action, dit-il « doit être couplée à une indispensable condamnation publique de la part du Gouvernement pour garantir que cet acte odieux n’aura pas d’effet dissuasif sur la liberté d’expression dans tout le pays ». L’opposition s’attend, elle, à la publication prochaine d’une « version téléguidée » par le pouvoir, pouvoir soupçonné d’être le commanditaire de cette exécution. Ce samedi 30 avril, les marches hebdomadaires organisées par la CNCD devaient rendre hommage à Ahmed Kerroumi. A Oran, environ deux cent personnes se sont rassemblées en silence autour des portraits de Kerroumi, mais la police a empêché la marche qui avait pourtant fait l’objet d’une demande légale.

Pièces jointes