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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Un régime sous tutelle de l’armée 30 avril 2011

République algérienne démocratique et populaire, telle est l’appellation officielle de l’Algérie. Son actuel Président, Abdelaziz Bouteflika, âgé de 74 ans, est à la tête de l’état depuis 12 ans et 2 mois. Il exerce son troisième mandat présidentiel successif. Jusqu’en novembre 2008, l’article 74 de la Constitution algérienne de 1996, limitait à 2 le nombre de mandats présidentiels successifs. Le 12 novembre 2008, soit quelques mois avant les présidentielles, le parlement algérien réuni en congrès votait par 500 voix contre 21 une révision de la constitution. Un des amendements adoptés abrogeait l’article 74 ; fin de la limitation des mandats présidentiels. Logiquement, Abdelaziz Bouteflika fut candidat aux élections du 9 avril 2009. Ce jour-là, il a été élu avec 90,24 % des suffrages et un taux de participation de 75 %. Aucun observateur n’a cru à la réalité de ces chiffres (surtout celui de la participation), ce qui n’a pas empêché les félicitations de Nicolas Sarkosy (et de l’Union Européenne) au nouveau/ancien Président. Les opposants au régime quant à eux ont dénoncé un scrutin truqué (25% de participation selon les estimations) et des scores a la soviétique ou à la tunisienne.

Commencer par ces faits, permet une première caractérisation du régime algérien : un régime présidentiel, quasi monarchique, dominé par un chef d’état illégitime mais tout-puissant, soutenu par des assemblées et des institutions soumises -ici le Conseil constitutionnel. D’où le président algérien tient–il un tel pouvoir ?

Toute analyse sur le régime algérien en vient nécessairement à évoquer le pouvoir de l’argent dans ce pays. Cet argent, fruit de l’exportation du pétrole et des hydrocarbures, entre par centaines de milliards tous les ans dans les caisses de l’état via la Société nationale Sonatrach. Cette manne alimente une corruption qui gangrène tous les rouages de l’état du haut en bas de l’appareil. En 2010, l’indice de perception de la corruption, publié chaque année par Transparency International, classait l’Algérie au 105ème rang sur les 178 pays évalués (à titre de comparaison, la Tunisie et le Maroc ont été classés respectivement en 59e et 85e position). Dans tous les domaines administrés par l’Etat et dans l’immense réseau économique dépendant de l’Etat, l’objectif principal des responsables politiques, militaires, administratifs, judiciaires etc. est de préserver le système qui est à l’origine de leurs privilèges et la principale source de leur fortune. Dés lors, la vie politique algérienne est le théâtre des luttes sans merci que se livrent le Président, l’armée, le parti et la sécurité militaro-policière pour conserver et développer leurs avantages. Dans ce scénario complexe, l’armée occupe, depuis longtemps, le premier rôle.

Le pouvoir de l’Armée

Depuis 1962 tous les présidents algériens (5 au total) sont issus de l’armée (Colonel Boumediene, Colonel Bendjedid, Général Zeroual) ou mis au pouvoir par elle (Ben Bella, Bouteflika). Selon un dicton bien connu « Tous les pays ont une armée, sauf l’Algérie où c’est l’armée qui a un pays ».

La lutte pour l’indépendance algérienne dans les années 50 a été conduite par une force militaire organisée, l’Armée de Libération Nationale (ALN). Les luttes fratricides et sanglantes qu’a connues le mouvement de libération avant et après l’indépendance (juillet 1962) avaient entre autres pour enjeu la place de l’armée dans le futur pouvoir algérien. Face aux différentes forces politiques et idéologiques en conflit, c’est l’armée qui a gagné. Elle institue un régime fort, une République démocratique et populaire sur le modèle des républiques satellites de l’URSS. Depuis 1965, année de l’accession à la présidence, par un coup d’état militaire, de Houari Boumediene, l’Armée nationale Populaire ( ANP) a joué un rôle capital dans tous les grands événements qu’a connu la politique de l’Algérie, un rôle de force de sécurité intérieure. Ce fut notamment le cas lors des journées d’émeutes populaires du début d’octobre 1988, qui ressemblaient beaucoup à celles que l’Algérie vient de connaître en janvier 2011. Face à ces révoltes, l’état de siège est décrété et toutes les autorités civiles, administratives et de sécurité sont placées sous commandement militaire. Les émeutes sont férocement réprimées à l’arme lourde par les soldats ; on dénombrera plus de 400 morts. Sous l’impulsion du président Chadli, cet épisode excessivement violent et qui voit la montée inexorable du courant islamiste, est suivi, via une révision de la constitution en 1989, de la légalisation du multipartisme. Comme on le sait, cette ouverture démocratique devait profiter au Front islamique du salut (FIS) qui arrive en tête du premier tour des élections législatives de décembre 1991. C’est l’ANP qui provoque l’interruption du processus électoral puis, en 1992, la dissolution du FIS et la démission de Chadli. Pendant 2 ans l’Algérie n’aura pas de Président de la République, la direction du pays étant confié, à l’initiative de l’armée, à un Haut Comité d’Etat. Le HCE est composé de 7 personnes dont 4 sont des militaires et 3 des cadres du FLN. Le HCE désigne son président qui a les attributions publiques d’un chef d’état sans en avoir la liberté d’action politique. Le premier président du HCE, Mohamed Boudiaf, qui avait dénoncé « la mafia politico-financière », meurt assassiné 6 mois après sa désignation. La décennie 90 est la période la plus dramatique de la courte histoire de l’Algérie indépendante ; la guerre civile qui oppose le Groupe islamique armé (GIA) et l’Armée islamique du salut (AIS, branche armée du FIS) aux forces de sécurité algériennes provoquera 200 000 morts et des milliers de disparus. De 1994 à 1999, c’est le Général Zéroual qui préside le pays. L’ANP est au premier rang de la lutte contre les islamistes ; mais on la soupçonne aussi d’avoir manipulé le GIA et organisé elle-même des attentats sanglants dans le triple but de retourner l’opinion publique contre les islamistes, justifier la restauration d’un état autoritaire et limiter de nouveau les libertés publiques.

En 1994, en pleine guerre civile à l’issue incertaine, les militaires proposent à Abdelaziz Bouteflika, figure historique de la guerre d’indépendance mais exilé hors d’Algérie entre 1981 et 1987 de revenir aux affaires. Ils lui offrent la présidence, il refuse. L’offre est renouvelée en 1999. Cette fois il accepte et est élu. Mais la période est délicate et les relations se compliquent entre l’ANP et le Président. Ce dernier, estimant qu’il ne pourra se passer politiquement de la force du courant populaire islamiste, instaure contre la volonté d’une grande partie des militaires qui s’y opposeront par tous les moyens, une politique dite de concorde nationale. Bouteflika est confortablement réélu en 2004, en apparence sans l’appui de l’ANP, mais en fait sur la base d’un pacte de non-agression avec elle : il s’engage en particulier à ne pas déposséder les généraux de leurs abondantes ressources pécuniaires puisées à la source de la rente pétrolière. Déjà chef suprême de toutes les forces armées et ministre de la Défense nationale en vertu de ses pouvoirs constitutionnels, Bouteflika est élevé au grade de général de corps d’armée (le plus haut grade de l’ANP), en juillet 2006.

Aujourd’hui, il est difficile de savoir comment s’établit exactement le rapport de force entre Bouteflika et l’ANP. Certains pensent que le processus de rajeunissement et de professionnalisation des forces armées entamé à partir des années 2000 a conduit à leur retrait effectif du champ politique. Ce processus s’est accompagné d’un découplage entre l’état-major de l’ANP et les services de renseignement (le DRS sur lequel il faudra revenir dans un prochain Eclairage). Un découplage que le Président de la République a entretenu pour éviter la constitution d’un pôle de pouvoir trop puissant au sein du ministère de la Défense Nationale. Bouteflika ne manque pas d’affirmer la subordination de l’armée au pouvoir civil, c’est à dire lui-même. D’autres pensent que c’est toujours l’armée qui gouverne en Algérie et que l’après Bouteflika est d’ores et déjà dans les cartons des généraux. Cette hypothèse est la plus réaliste, mais on voit qu’elle peut se réaliser sous deux formes différentes. L’une de ces formes est la perpétuation du « Système » par la mise en place d’un homme de confiance qui conduirait le changement sans changer la réalité du pouvoir (les militaires seraient en particulier intéressés par les dividendes juteux qu’il y aurait à retirer d’une privatisation de l’économie bien contrôlée). L’autre forme que pourrait prendre l’intervention de l’ANP dans le processus politique est envisagé par certains démocrates algériens qui en substance tiennent le discours suivant : puisque depuis 1962, l’armée pratique le coup d’état permanent en Algérie, qu’elle poursuive dans cette tradition en destituant le Président Bouteflika et ….en rendant le pays au peuple.

1- Le 22 décembre 1981, Bouteflika est poursuivi pour « gestion occulte de devises au niveau du ministère des Affaires étrangères » (entre 1965 et 1978) par la Cour des comptes. Dans son arrêt définitif du 8 août 1983, la Cour des comptes donnait son verdict : « M. Abdelaziz Bouteflika a pratiqué à des fins frauduleuses une opération non conforme aux dispositions légales et réglementaires, commettant de ce fait des infractions prévues et punies par l’ordonnance n° 66-10 du 21 juin 1966 et les articles 424 et 425 du Code pénal. » (El Moudjahid du 9 août 1983.). Entre 1981 et 1989, Abdelaziz Bouteflika vécut entre Paris, Genève et Abu Dhabi, après une tentative d’exil ratée à Damas.