Tribune commune signée entre autres par Nathalie Tehio, présidente de la LDH
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Parce qu’elle a écouté les voix qui montent des ruines de Gaza. Parce qu’elle a fait parler les décombres. Parce qu’elle a nommé l’innommable. Parce qu’elle a documenté, analysé, qualifié et révélé l’anatomie d’un génocide en cours, en décrivant les mécanismes du déplacement, de la dépossession, de l’effacement des Palestinien-nes. Parce qu’elle a exposé l’architecture des profits qui soutiennent l’entreprise coloniale israélienne.
Pour toutes ces raisons, ils veulent non seulement réduire au silence Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’Homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, mais également la briser.
Depuis deux ans, les attaques pleuvent, féroces, diffamatoires, voire injurieuses. Le puissant lobby juridique International Legal Forum, fort de plus de 4 000 avocats à travers le monde, demande sa démission. Israël l’a déclarée persona non grata et refuse de lui délivrer un visa pour exercer son mandat onusien. En mars dernier, 43 députés français de droite avaient écrit au ministre des Affaires étrangères pour s’opposer à la reconduction de son mandat. Les États-Unis viennent d’annoncer des sanctions officielles à son encontre, un acte inédit contre une experte indépendante de l’ONU.
Ces sanctions ne sont pas une première. Elles s’inscrivent dans la lignée de celles imposées à la Cour pénale internationale, lorsque cette dernière osa enquêter sur des crimes de guerre commis par les forces américaines en Afghanistan et décida d’émettre des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et Yoav Gallant, l’ancien ministre de la Défense d’Israël, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans les territoires palestiniens.
Médias, groupes de pression et États ne s’en prennent pas seulement à la personne de Francesca Albanese, mais également à la légitimité même de son mandat, à ce qu’il représente : l’indépendance, la rigueur juridique et le courage de nommer les crimes là où ils sont commis, même quand les responsables sont puissants. Ce n’est pas uniquement la voix de Francesca Albanese qu’on cherche à étouffer, mais plus largement tous les mécanismes internationaux de protection des droits humains.
A quoi mènent ces campagnes et cet acharnement, sinon au refus de reconnaître toute justice qui échapperait à la volonté des puissants ? Un État qui se permet de sanctionner un organe onusien ne viole pas seulement un principe, il ébranle tout l’édifice du multilatéralisme. Devons-nous accepter que demain, chaque État sanctionne à sa guise les enquêteurs·rices, rapporteurs.es, juges ou procureurs.es qui le gênent ? À quoi servirait alors le droit international ? Devons-nous renoncer à cette promesse fragile née des cendres d’Auschwitz et d’Hiroshima, ce rêve de paix qui a donné naissance à l’ONU, aux Conventions de Genève, aux mécanismes des droits humains ?
En s’attaquant à elle, on criminalise l’impartialité, on délégitime le droit international, on envoie un message glaçant à tous ceux qui, dans d’autres contextes, pourraient être tentés de dire l’indicible. Ce n’est plus seulement une campagne contre une experte, c’est une entreprise de démolition de tout ce qui reste du rêve universaliste né des horreurs du XXe siècle.
Face à cela, Francesca Albanese n’a jamais baissé les bras. Elle a poursuivi son travail avec dignité et précision. Elle n’a jamais appelé à la haine. Elle a seulement exigé la justice. Son dernier rapport, rigoureux et accablant, ne se contente pas d’accuser à la légère. Il documente, méthodiquement et identifie des entreprises qui soutiennent concrètement le projet colonial israélien, un crime au regard du droit international. Il n’a fallu que quelques jours pour que la riposte s’organise.
Aujourd’hui, la faire taire serait enterrer un peu plus les voix de Gaza qui sombrent dans le déni de justice, et avec elles, les fondements mêmes du droit international.
Mais Francesca Albanese n’est pas seule. Nous sommes par milliers, femmes et hommes à travers le monde, à ne pas nous tromper de côté de l’histoire. Nous portons l’humanisme, les valeurs universelles, et nous refusons de céder à la loi du plus fort, du dominant, du colonisateur. Malgré les failles que nous dénonçons, nous continuons de croire à un monde meilleur, à la force du droit, et aux outils disponibles pour préserver la paix, tout en exigeant leur réforme profonde, afin qu’ils garantissent enfin une paix juste et durable.
Défendre Francesca Albanese, c’est défendre le droit. Notre silence aujourd’hui serait un abandon.
Il nous faut choisir : le silence complice ou le courage de la vérité.
Signataires : Yosra Frawes, Avocate, ex-présidente de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates, Tunisie ; Guissou Jahangiri, Directrice exécutive d’OPEN ASIA/Armanshahr, Secrétaire générale de la Fédération internationale des droits humains (FIDH), Iran-France ; Sonia Dayan-Herzbrun, Sociologue, France ; Diana Alzeer, feministe, Al Haq, Vice-présidente de la FIDH, Palestine ; Azadeh Kian, Professeure de sociologie à l’Université Paris Cité, Directrice du CEDREF, France ; Hela Ben Youssef, Vice-présidente internationale socialiste des femmes, Tunisie ; Pinar Selek, Féministe antimilitariste, Turquie-France ; Nathalie Tehio, Présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme), France ; Gloria Gano, Avocate, directrice exécutive, Asociación Pro Derechos Humanos (APRODEH), Sécretaire generale de la FIDH, Peru ; Khadija Ryadi, Secrétaire générale de l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH), lauréate du prix de l’ONU pour les droits de l’Homme en 2013, Maroc ; Nassera Dutour, Présidente du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie et de la Fédération Euro-Méditerranéenne contre les Disparitions Forcées, France-Algérie ; Sophie Bessis, Féministe, historienne et philosophe, France-Tunisie ; Kati Verstrepen, avocate et présidente de la Liga voor Mensenrechten, Belgique ; Alice Mogwe. Présidente de la Fédération internationale des droits humains (FIDH), Directrice de DITSHWANELO – The Botswana Centre for Human Rights, Botswana ; Gerard van Vliet, Dutch League for Human Rights (LvRM), Pays-Bas ; Safa Chebbi, Militante décoloniale à Tiohtià:ke-Montréal, Canada ; Kaari Mattila, Secrétaire générale de la FIDH, Finland ; Shahinda Ismail, Fondatrice du Maldivian Democracy Network, Maldives ; Kawther Alkholy Ramadan, Directrice exécutive de Women for Justice Foundation, Egypte ; Bernedette Muthien, chercheuse, Institute for African Alternatives, WASL, Afrique du Sud ; Joumanah Merhy, Féministe et défenseure des droits humains, Liban ; Horia Mosadiq, Directrice générale Conflict Analysis Network (CAN), Afghanistan ; Marie-Christine Vergiat, LDH, Euromed Droits, ex-députée européenne, France ; Abdallah Lefnatsa, Association Marocaine des Droits de l’Homme, Maroc ; Adel Boucherguine, Président du Collectif de sauvegarde de la ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (CS-LADDH), Algérie-France ; Aida El Amri, Médecin, Présidente de l’Association Tunisie Culture et Solidarité, Tunisie ; Aissa Rahmoune, Avocat au Barreau d’Alger, Vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme, Secrétaire générale de la FIDH, Algérie ; Alaa Talbi, Directeur du Forum Tunisien des Droits Économiques et Sociaux, Tunisie ; Amina Izarouken, militante féministe, Algérie ; Alexis Deswaef, Avocat, Président d’honneur de la Ligue des Droits Humains, Vice-président de la FIDH, Belgique ; Ali Ait Djoudi, Président de Riposte Internationale, France-Algérie ; Alice Santinelli, Éditrice et consultante de photographie, Italie ; Amel Hadjadj, militante féministe, Algérie ; Anne-Marie Bence, ancienne rédactrice en chef de la revue Missive, France ; Bianca Shanaa, Entrepreneuse, Palestine-France ; Cahors@ldh-france.org pour LDH 46 ET AFPS 46, France ; Catherine Choquet, LDH 93, France ; Christian Eypper, la Ligue des droits de l’Homme, France ; Dada Azouz, Activiste Queer Féministe, France ; Daisy Schmitt, documentariste, France ; Denis Richard, militant Ligue des droits de l’Homme, France ; Evelyne Sire-Marin magistrat honoraire, Vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), France ; Fabienne Messica, Ligue des Droits de l’Homme, France ; Fatiha Fadil, retraitée, France ; Fatma Chérif, Cinéaste, Tunisie-France ; Fatma Oussedik, Sociologue, Algérie ; La Fondation du journal féministe algérien, Algérie ; Gilles Manceron, Historien, France ; Hajer Chraiti, féministe, France ; Hakima Naji, professeure retraitée Maroc ; Hélène Henry, militante à la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), France ; Jacques Rigaudiat, Conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, France ; Jacqueline Charretier, militante des droits de l’Homme et du droit, France ; Kaouther Ben Azouz, Enseignante, Artiste plasticienne, France-Tunisie ; Khadija Ainani, Association Marocaine des Droits de l‘Homme, Maroc ; Khadija Bahyaoui, Association Marocaine des droits humains, Canada ; Khadija Chérif, militante féministe, Tunisie ; Khaoula Taleb Ibrahimi, professeure des universités, Algérie ; Laurent Aspis, militant de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), France ; Leila Kannouda, Génération.s 46, France ; Ligue iranienne de défense des droits de l’Homme (LIDDH), France ; Maitre Mustapha Bouchachi, Ancien Président de la LADDH, Algérie ; Manel Mabrouk, Artiviste, France ; Martine Rigo Sastre, éditrice Voix-Tissée, France ; Marwa Frawes, féministe intersectionnelle, France-Tunisie ; Maryam Ashrafi, Photographe documentaire sociale, France ; Maryse Artiguelong, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Vice-présidente de la FIDH, France ; Mohammed Ghafri, Coordonnateur national du Réseau démocratique de solidarité avec les peuples, Maroc ; Mouad El-Johri, Membre du secrétariat national du Front marocain de soutien à la Palestine et contre la normalisation, Maroc ; Moumene Khelil, Ancien Secrétaire générale de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), Algérie ; Naima Benwakrim, Militante féministe et pour les droits humains, Maroc ; Naima Naim, activiste, Maroc ; Nicolas Puig, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), France ; Norman Tjombe, militant des droits humains, Namibie ; Pascal Maillard, universitaire, poète, co-fondateur de l’Académie des écrivain·es pour les droits humains, France ; Patrick Navaï, Artiste, Citoyen du monde ; Philippe Leclercq, activiste, France ; Rania Majdoub, activiste décoloniale, France-Tunisie ; Sahar Talaat Elbassiony, Professeur d’Université, Egypte-Grande Bretagne ; Said Ourabah, Président de la Fédération des travailleurs Africains en France et en Europe (FETAFE), France ; Samia Fraouis, activiste, France ; Serpilekin Adeline Terlemez, Dr. en art de la scène, poète, écrivaine-traductrice, co-responsable de la collection « Regards turcs » l’Harmattan, Turquie-France ; Sevgi Türker-Terlemez, écrivaine-traductrice franco-turque et co-responsable de la collection « Regards turcs » l’Harmattan, Turquie-France ; Shawan Jabarin, Al-Haq, Palestine ; Simone Susskind, Actions in the Mediterranean, ancienne sénatrice fédérale et députée bruxelloise, Belgique ; Sylvie Forestier, artiste, France ; Vida Farhoudi, Poète, traductrice, membre de l’Association des écrivains iraniens en exil, Iran-France ; Zied Abidi, Défenseur des droits humains, Tunisie ; Zohra Koubia, Défenseure des droits humains, Maroc ; Zohra Oueslati, Conseillère en développement de la formation professionnelle, France-Algérie
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