Twitter Facebook Accueil

Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

Grèves de la faim, immolations : les gestes du désespoir. 7 mai 2013

Emeutes du logement et de l’emploi, répression des manifestants, le cycle des relations de violence entre l’état et les citoyens se poursuit inexorablement sans que rien ne change fondamentalement dans la société algérienne. Devant les injustices, les humiliations et le mépris dont ils sont victimes les algériens les plus démunis retournent la violence contre eux et mettent leur vie en jeu. Jusqu’où iront-ils ? Qui les écoute ? Quelle crédibilité auront les partis politiques qui vont bientôt prétendre à la succession de Bouteflika ?

Emeutes et résistances

Emeutes du chômage dans les wilayas du sud

Le taux de chômage indiqué par le FMI pur l’Algérie avoisine les 10%, mais il est donné en fonction de la méthode de calcul proprement algérienne et sur la base des données fournies par le gouvernement. Estimé par des économistes algériens appliquant des normes de calcul internationales le taux réel serait situé entre 23 et 30% de la population active.

Alors que le 12 mars, 4 chômeurs ont été condamnés par le Tribunal de Laghouat à 2 mois de prison, et que 15 autres attendaient d’être déférés devant le tribunal de Ouargla, les émeutes du chômage dans les wilayas du sud n’ont pas cessé. Le 14 mars, à Ouargla, une marche organisée par le Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) a rassemblé plusieurs milliers de manifestants venus de toute la région pour protester contre les discriminations et les injustices dont sont victimes les populations du sud. Pour calmer le jeu, le gouvernement a annoncé des mesures favorables aux chômeurs, mais ces derniers n’en voyant pas les conséquences concrètes, la tension n’est pas retombée ; les jeunes ont continué de se rassembler par centaines dans toutes les localités de la région. L’axe routier Ouargla-Ghardaïa a été bloqué pendant plusieurs jours jusqu’au 24 mars où la gendarmerie nationale est intervenue, a arrêté une dizaine de manifestants, et les a tabassés avant de les relâcher. Le 26 mars, à Ghardaïa, une vingtaine de militants de la LAADDH rejoints par des chômeurs ont manifesté lors du défilé d’ouverture de la fête annuelle du tapis la jugeant trop coûteuse au regard des difficultés économiques que connaît la ville (environ 1,9 million d’euros pris sur les impôts locaux). La suite est racontée par une des manifestants « À peine dix minutes après le début de la manifestation, la police a commencé à charger et ça a dérapé : les policiers ont utilisé des gaz lacrymogènes, ont tiré avec des balles en caoutchouc et j’ai même retrouvé la douille d’une vraie balle – qui n’a heureusement touché personne. Nous avons dû utiliser les chaises disposées pour l’ouverture de la fête pour nous défendre. Il y a eu des blessés, avec des hématomes au niveau des yeux et du front. On les a soignés nous-mêmes, car s’ils s’étaient rendus à l’hôpital, ils auraient été très certainement cueillis par la police. D’autres manifestants ont été embarqués, dont le président de notre section de la LAADDH, nous sommes sans nouvelles d’eux depuis. Une commission doit se tenir et décider de leur sort. S’ils ne sont pas libérés, nous retournerons manifester ».

Emeutes du logement

Dans la même région des wilayas du sud, les émeutes du logement se sont ajoutées à celles du chômage, notamment à Ouargla. Suite à la publication d’une liste d’attribution de logements sociaux, des dizaines de citoyens exclus de la liste, et dénonçant la présence sur cette liste de « nombreux bénéficiaires indus » ont investi le centre de la ville le 10 avril. Les manifestants ont brûlé des dizaines de véhicules de particuliers et saccagé une agence de téléphonie (Mobilis), le siège de la CNEP-banque, la fourrière communale, l’unité de la SNTA et une aile de la daïra (sous-préfecture) de Ouargla. Les brigades de police anti-émeutes sont intervenues en usant de bombes lacrymogènes auxquelles les groupes de jeunes en colère répondaient par des jets de pierres et de cocktails Molotov. Les affrontements se sont poursuivis pendant plusieurs jours faisant un grand nombre de blessés de part et d’autre et laissant la ville dans un état “apocalyptique” d’après la presse. « Ouargla brûle » titrait le 12 avril un quotidien national d’information. Des scénarios identiques se sont déroulés le 14 avril dans la commune d’El Maqaria (banlieue d’Alger) et le 25 avril à Aïn Kercha (Est algérien) où le siège de la daïra (sous-préfecture) a été incendié.

Grèves de la faim

Une autre forme de protestation et de pression sur les autorités en matière de logement se déroule actuellement à Ksar el Boukhari (150 km au sud d’Alger, wilaya de Médéa) : 15 femmes et 10 hommes en attente d’un logement décent pour leurs familles depuis des années ont commencé une grève de la faim le 13 avril. Le 21 avril, alors que trois d’entre eux avaient déjà été hospitalisés dans un état critique, aucune autorité n’avait accepté de les recevoir. Ils ont, ce jour rendu publique la déclaration suivante.

« Nous grévistes de la faim à Ksar El Boukhari tenons à préciser ce qui suit :

· En ce Dimanche 21 avril 2013 nous renouvelons notre action, à savoir la grève de la faim et l’occupation du Palais de la daïra.

· Le Jeudi 18 avril suite à la rencontre avec le président de l’Assemblée Populaire de la Wilaya nous fut promis un rendez vous avec le Wali ce dimanche 21 avril. Concernant ce rendez vous nous tenons à préciser que nous n’attendons pas du Wali l’ouverture d’un dialogue sans fin mais l’apposition de son cachet à une liste de logements attribuable aux familles grévistes.

· Il nous fut signifié hier que le rendez vous avec le Wali était reporté. Face au désir des autorités de laisser trainer les choses, face à leur manquement à leur engagement, nous grévistes de la faim reprenons notre action. Nous sommes prêts à aller jusqu’au bout pour que soit appliqué notre droit légitime et international à un logement digne. Les autorités porteront la responsabilité de toute crise sanitaire et de mise en danger de la vie des grévistes ».

Depuis, pas de nouvelles…

Le suicide comme moyen de lutte

Le 2 février 2012, Le Monde, reprenant un article d’El Watan, titrait « Recrudescence de suicides en Algérie…le nombre de jeunes Algériens tentant de s’immoler prend des proportions tout à fait inquiétantes ». Un an plus tard, on peut dire que le phénomène s’est accentué et que sa signification sociale est désormais évidente : l’Algérie est frappée par une vague de menaces ou de tentatives de suicide individuels mais aussi collectifs de la part de personnes désespérées par leur condition sociale et l’absence de réponses des services des collectivités publiques.

Le 24 mars, des enseignants contractuels manifestant devant le palais présidentiel d’El Mouradia menacent (par la voix de la présidente de leur association nationale) de mettre fin à leurs jours collectivement en réponse à la passivité des autorités compétentes concernant leur demande d’intégration.

Le 28 mars à Guelma un garde communal qui souhaitait rencontrer le maire au sujet du traitement de sa demande de logement social déposée depuis des années, se voit refuser tout rendez-vous. Il s’enferme avec sa femme et ses trois enfants dans le studio leur servant de logement, il ouvre le gaz et met le feu au local. Retirées des flammes par des agents de la Protection civile, les cinq personnes ont dû être hospitalisées.

Le 28 mars encore, un homme de 29 ans s’est aspergé d’essence et a allumé son briquet devant le siège de la sûreté de daïra de Kherrata (60 km à l’est de Bejaïa). Des passants et des policiers sont intervenus pour éteindre les flammes. La victime a été évacuée vers l’hôpital de Kherrata, puis transférée au CHU de Bejaïa.

Le 28 mars, toujours, devant l’entrée de la base pétrolière de Skikda, un homme de 30 ans a menacé de s’immoler par le feu après avoir aspergé son corps de trois bouteilles d’essence. Il protestait contre le fait d’avoir été écarté des recrutements. Les services de sécurité ont réussi à l’empêcher de mettre le feu à ses vêtements.

Le 31 mars, des chômeurs de la commune de Sidi Amar (wilaya de Annaba), ont menacé de s’immoler par le feu, des briquets et des bidons d’essence à la main. « Nous demandons du travail et un salaire pour survivre. Nous n’exigeons pas grand-chose. Même un contrat à durée déterminée, nous l’acceptons car nous touchons le fond. Nous n’avons plus de quoi subvenir à nos besoins et manger à notre faim. Nous vivons la misère absolue et nos responsables locaux feignent de ne rien savoir ».

Le 14 avril, cinq travailleurs communaux de Khenchela (dans les Aurès) qui n’ont pas perçu de salaire depuis cinq mois, ont essayé de se donner la mort sur leur lieu de travail. Ils ont escaladé l’enceinte de l’Assemblée populaire communale, menacé de se jeter du haut de l’édifice avant de s’asperger d’essence et d’allumer un briquet.

Le 28 avril, à Alger, lors d’une manifestation d’anciens détenus politiques venus réclamer les indemnités prévues par la loi d’amnistie un des manifestants a tenté de s’immoler alors que deux autres se sont tailladé les veines ; les trois blessés ont dû être hospitalisés d’urgence.

Droits de l’homme

Des rapports internationaux accablants

Manque de transparence dans la passation des marchés publics, justice sous ordre et gangrenée par la corruption, impunité des services de sécurité et des parlementaires, restrictions des libertés individuelles et atteintes à la liberté de la presse : dans son nouveau rapport sur l’état des droits de l’Homme dans le monde, publié le 19 avril, le Département d’Etat américain n’épargne pas l’Algérie. Les USA avaient pourtant en 2012 donné des signes évidents de complaisance et d’indulgence à l’égard du pouvoir algérien en matière de gouvernance et de droits humains. Duplicité ou changement d’attitude ?

Début avril paraissait le rapport 2013 du Bureau international du travail (BIT). Selon le résumé qu’en donne le président du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap) « L’Algérie est citée avec une vingtaine d’autres pays qui ne respectent par la législation en vigueur concernant la liberté d’appartenance syndicale. Le gouvernement algérien est destinataire aussi de remarques concernant les inégalités salariales entre les hommes et les femmes dans les secteurs privé et public et est invité à renforcer sa législation en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et la refonte du code du travail ».

Nouveaux cas de disparition forcée

Le 25 mars, Mustapha Chouia a été enlevé à Msila (250 km au sud d’Alger) par des agents du DRS (Département du renseignement et de la sécurité) alors qu’il venait de quitter son lieu de travail. Des hommes des services de renseignement l’ont interpellé alors qu’il conduisait la voiture de son ami Abdallah Bouammar et ont pris possession du véhicule pour l’emmener vers une destination inconnue. Le lendemain, le propriétaire de la voiture a également été arrêté à son domicile par les mêmes agents. Depuis, leurs familles sont sans nouvelles des deux hommes et continuent à se heurter au silence des autorités qui nient leur détention. En 2009, Mustapha Chouia avait déjà été arrêté et détenu au secret par les services du DRS pendant plus d’un mois

Le 15 avril, Messaoud Boudene, jeune diplômé en ingénierie électronique âgé de 30 ans, a été enlevé par des agents du DRS près de Tahel (wilaya de Jijel dans l’est algérien). Ses voisins ont assisté à la scène : alors qu’il sortait de son domicile, trois voitures banalisées l’ont encerclé, des hommes en civil sont sortis de l’un des véhicules et ont forcé le jeune homme à monter à bord avant de démarrer vers une destination inconnue. A ce jour, on ignore toujours les raisons de l’enlèvement et le lieu de détention, mais le fait qu’il est aux mains des services de sécurité a été confirmé par la gendarmerie nationale. Il est plus que probable que Messaoud Boudene a été interpelé à cause de ses prises de position critiques vis-à-vis des autorités sur Facebook, d’autant plus que sa connexion Internet avait été coupée depuis plus d’un mois sans raison et que les services des PTT ont refusé de la rétablir sans donner de justification.

Depuis, pas de nouvelles…