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Ligue des droits de l'Homme

Section du Pays d'Aix-en-Provence

L’Action française hier et aujourd’hui 7 mars 2016

Voici  un document qu’André Koulberg présente sous l’égide de la LDH, section d’Aix-en-Provence. Intitulé « L’Action française hier et aujourd’hui » (mars 2016)  il développe un historique de ce mouvement et de ses valeurs anti-démocratiques, anti-républicaines, racistes et antisémites. Il fournit un argumentaire précieux pour nos militants.

 

L’Action française, une résurgence. Mais de quoi ?

Depuis près de deux ans, un groupe de jeunes gens, se réclamant de l’Action française, cherche à perturber un certain nombre de réunions ou de manifestations politiques, culturelles, associatives, ouvertes et pacifiques, en usant de la provocation et quelquefois de violence envers les personnes présentes. Ils ont ainsi perturbé une réunion publique de l’association Résister aujourd’hui qui se déroulait au théâtre Toursky en février 2014, s’en sont pris physiquement à des militants communistes dans le local du Parti communiste aixois en octobre 2015, ont hurlé des slogans hostiles en face, puis à l’intérieur, du Cercle du silence d’Aix en septembre 2015, ont manifesté pour réclamer l’arrêt d’une exposition d’art contemporain à Marseille réclamant « la corde » pour les artistes traités de « pédophiles » en septembre 2015, ont interrompu violemment une réunion publique, consacrée à la question du Front national, organisée par le Parti socialiste en décembre 2015, ont fait intrusion au théâtre d’Aix où le député Jean-David Ciot présentait ses vœux, brutalisant plusieurs personnes et hurlant « à mort Ciot », ont perturbé le déroulement d’une réunion publique des Jeunes républicains en février 2016, etc.
Au cours de leur intervention contre le Cercle du silence ceux qui subissaient leur démonstration virile les ont entendus ironiser sur l’âge des participants à ce Cercle. Eux sont jeunes. Mais leurs idées et leurs pratiques ne le sont pas. Elles sont vieilles de plus d’un siècle.
En se rendant au cimetière de Roquevaire pour se recueillir sur la tombe de Maurras (et commémorer le 6 février 34), les militants royalistes se sont explicitement référés à ce vieil héritage. Ce mouvement dont le dirigeant a été condamné à la dégradation nationale et à la réclusion à perpétuité en 1945 est-il donc si séduisant ?
L’Action française, avant de devenir groupusculaire après guerre, a été de 1899 au milieu des années 30 le principal mouvement d’extrême droite en France. Pour l’extrême droite, elle représente un passé prestigieux, avec ses écrivains célèbres (Maurras, Léon Daudet, l’historien à succès Jacques Bainville…), ses campagnes nationales tonitruantes, sa longévité avant le discrédit, etc.
Ce long processus historique, ainsi que les prises de position de Charles Maurras, son prolixe dirigeant qui n’a jamais cessé de s’expliquer et d’argumenter, nous ont laissé un abondant matériau qu’il peut être utile d’analyser pour comprendre en quoi consiste cet héritage aujourd’hui réactualisé. Sans prétendre étudier exhaustivement ce mouvement en quelques pages nous pouvons, malgré tout, rappeler quelques éléments décisifs qui éclaireront la démarche des jeunes disciples contemporains. Maurras nous servira de guide.
La haine de la république et de la démocratie

AF image

Une caricature de Forain dont Maurras s’est servi pour exprimer sa haine de la république, de la démocratie, des protestants et des juifs

La vision du monde très singulière de l’Action française ne se résume pas à une simple prise de position royaliste. Elle est d’abord un rejet violent de la démocratie, de la république et de tout ce qui s’y rapporte : les valeurs démocratiques, les droits de l’Homme, etc. Pour en prendre la mesure, observons une caricature de Forain que Maurras a insérée dans l’ Enquête sur la monarchie . Sous le titre ironique « La Belle Jardinière », Forain dessine une femme hideuse. C’est la République. Maurras commente longuement cette œuvre. Elle l’inspire…
Comment sait-on que la jardinière est effectivement une représentation de la République ? Cela se voit, assure Maurras, non seulement au fait qu’elle est coiffée d’un bonnet phrygien mais à sa laideur physique (signe d’une laideur morale). Eléments clefs de cet enlaidissement, un nez énorme et crochu désignant une « République enjuivée ». Le commentaire du leader de l’Action française prolonge le trait du dessinateur : Pour l’arroseuse, à défaut du bonnet phrygien, ce nez crochu, ce gros œil bombé de juive trentenaire feraient reconnaître notre troisième République. Laide à susciter l’horreur (je vous fais horreur), incarnation de la bêtise (je suis la bêtise), la jardinière avouerait par la voix de Maurras : je suis bien cette juive que vous appelez République. Et avec de tels attributs, nous devinons que cela est affreux.

La démocratie
Cette exécration de la république atteint son point culminant au moment où est évoqué le plus détesté de ses fondements : la démocratie. C’est lorsqu’il s’agit de la démocratie que Maurras choisit les images et les comparaisons les plus dégradantes, les plus susceptibles de susciter dégoût et mépris. Oui, te voilà Démocratie ! épais arrière-train et croupe de bête mystique, grave accumulation de ce poids de bassesses qui te tirent, à chaque instant, un peu plus près de ton élément naturel ! La démocratie est représentée par l’élément de l’anatomie traditionnellement désigné comme le plus bas, le plus indigne, prenant en outre une forme d’énorme protubérance dans la caricature. La démocratie, c’est dégoûtant !
En octroyant cette place de choix au sein de ses détestations, pourtant particulièrement nombreuses, Maurras nous met sur la voie : le plus grave dans une république c’est qu’elle est démocratique. Une république totalement élitiste, gouvernement des « meilleurs », pourrait être, à la rigueur, tolérée, mais une république démocratique, mal général, œcuménique et planétaire, ne peut tendre qu’à la mort .

La souveraineté du peuple
Sur quoi se fonde cette vision démoniaque de la démocratie ? L’œuvre de Maurras apporte tous les éclaircissements voulus. C’est l’ensemble des institutions, des principes, des valeurs démocratiques qui provoquent la rage de l’Action française. A commencer en tout premier lieu par cette idée saugrenue d’une possible souveraineté du peuple, cette doctrine de mythologie politique en vertu de laquelle la volonté populaire est souveraine .
Le peuple n’a ni les compétences ni la dignité nécessaire pour participer aux décisions collectives. Maurras ne cache pas son mépris : Un régime qui vit des « volontés du peuple » est le paradis des crétins. Seule l’élite, et, au dessus de l’élite, le roi, ont la légitimité et les compétences pour gérer les affaires publiques. Même indépendant, même probe, même intelligent (même : on devine qu’il s’agit d’un cas de figure exceptionnel), l’électeur sera toujours incompétent sur la plupart des sujets qui lui seront soumis. Cette incompétence le rend violent et aveugle ou hésitant et versatile, souvent même ceci et cela à la fois. Le citoyen est sommé d’abandonner ses droits politiques, il abandonnera par un fidei-commis solennel et irrévocable à la branche survivante de la famille capétienne l’exercice de la souveraineté . Ce n’est plus un citoyen, c’est devenu un sujet.

Le pluralisme
Deuxième élément des démocraties perçu comme intolérable et constamment vilipendé par Maurras et ses acolytes : le pluralisme. Que ce soient les initiatives des individus , l’existence d’une pluralité de partis , la « lutte des classes » (terme très large englobant jusqu’à la simple revendication syndicale) , etc. toutes les velléités de pluralismes sont rejetées.
Mais l’Action française, objectera-t-on, ne défend-elle pas une conception décentralisatrice ?
L’idée de décentralisation, héritée des doctrines monarchistes traditionnelles, aurait effectivement pu faire exception, mais, justement, pas dans l’interprétation qu’en fait Maurras. Là où nous imaginons une pluralité de communes, de régions, de « provinces » (en langage maurrassien) où régnerait le débat démocratique, en leur sein aussi bien qu’entre elles ou avec l’Etat, Maurras ne voit qu’un désordre anarchique. C’est la principale raison pour laquelle, selon lui, la décentralisation ne peut être envisagée en « république démocratique » : Si par miracle la décentralisation se faisait, la France, tiraillée entre les grandes compagnies divergentes, disparaîtrait en tant qu’unité politique, faute d’un organe vivant et puissant de l’intérêt général. La décentralisation fantasmée par Maurras n’a rien à voir avec cette libre diversité, elle constitue au contraire un ordre rigide composé de « cercles » concentriques allant de la famille à la nation sans aucune confrontation et sans anicroche, une pyramide de pouvoirs pénétrant dans l’intimité des foyers et, à la fois, dirigée tout en haut par un roi. Un ordre parfait.
La diversité n’est pas perçue ici comme le signe d’un système pluraliste mais comme l’organisation parfaite d’un système de pouvoir immuable.

Les valeurs
Enfin, cette furie antirépublicaine vise l’ensemble des valeurs fondamentales de la démocratie, en tout premier lieu la liberté et l’égalité (et la fraternité, évidemment, les haines de Maurras en représentent l’antithèse absolue) : La République démocratique consiste en premier lieu à n’avoir pas de tête, et en second lieu, à loger un peu partout dans son corps la plus haute dose possible de déraison. La liberté d’abord ou l’absence de chef ! Ensuite l’égalité ou le manque d’ordre !
On imagine aisément qu’un tel ressentiment antidémocratique conduira Maurras et l’Action française à prendre constamment pour cible les droits de l’Homme. Et, effectivement, dès le premier numéro du journal « L’Action française » en 1899, ses fondateurs Pujo et Vaugeois affirmaient : Il est temps de renoncer à mettre l’abstraction des « droits de l’homme » à la place des droits historiques de notre belle race française. Cette condamnation des droits de l’Homme restera une constante tout au long de l’histoire du mouvement.
Les inégalités de droit et de statut deviennent sous la plume de Maurras si « naturelles » qu’il en vient à jeter un regard complaisant sur les dominations les plus extrêmes comme l’esclavage. Ainsi, croit-il pouvoir affirmer, le visage de l’esclave était ami au maître (…) en vertu de la réciprocité des services, l’esclave se tenait pour un membre secondaire, mais nécessaire, de la famille. Touchant tableau familial !

La logique antidémocratique et ses conséquences
Cet acharnement contre la démocratie, ses références à une souveraineté populaire, son pluralisme, ses libertés et ses droits fondamentaux, toutes ses valeurs, n’est pas anodin. Cela explique l’ ambivalence et, plus d’une fois, le soutien de l’Action française au fascisme italien, pourtant étatiste et fort peu décentralisateur. Cela explique ses discours sur la nécessité d’une dictature qui, à l’imitation de tous les postulants dictateurs, est présentée comme temporaire. Les auteurs du manifeste « dictateur et roi » (Maurras et son ami Amouretti), affirment (…) que le gouvernement du roi de France ne peut manquer d’être répressif et vengeur dans ses premiers actes de dictature, afin de pouvoir être réparateur dans ceux qui suivront. Les prétendants au trône ont raison d’affirmer que le chef de la Maison de France leur apparaît Dictateur nécessaire autant que roi légitime . Le texte, bien que très général, prévoit d’ailleurs un régime clairement autoritaire : l’anarchie politique et ses théoriciens seront donc surveillés, et s’il existe des confessions religieuses qui tendent à cette anarchie, elles seront soumises à cette surveillance, qui est de droit naturel . Cela explique enfin que le régime autoritaire du maréchal Pétain soit apparu à Maurras, malgré l’antigermanisme viscéral de l’Action française, comme une « divine surprise ».

Le sens des violences d’hier et d’aujourd’hui
L’Action française n’a jamais eu le pouvoir, même si, indirectement, de nombreuses mesures prises par le gouvernement de Vichy sont d’inspiration incontestablement maurrassienne, illustrant parfaitement les dérives et les politiques criminelles auxquelles peuvent conduire ces idées. Mais même dans le cadre que lui imposait son statut de simple opposant au sein de la République, elle affichait ses options et manifestait ses inquiétantes potentialités par son style et ses pratiques.
Outre ses manifestations, souvent violentes, elle se singularisait d’abord par les nombreuses campagnes qu’elle menait contre des personnes (et non seulement contre des idées). Dans bien des cas cela consistait à mener des campagnes de calomnies et des chasses aux sorcières, laissant derrière elles existences et réputations en lambeaux Ainsi, par exemple, la campagne menée, avec d’autres journaux d’extrême droite, contre Roger Salengro en 1936, accusé à tort d’avoir été un déserteur, qui l’accula au suicide ; ou celle menée contre l’ex-président du conseil Joseph Caillaux, accusé à tort d’avoir trahi la France en temps de guerre, qui conduisit à son incarcération en 1918 et son jugement par la Haute cour en 1920, dont il ne sera amnistié qu’en 1925.
Dès sa naissance en 1899, le mouvement s’acharna sur le capitaine Dreyfus, mêlant sa voix à celle des antidreyfusards les plus fanatiques. Ce type d’attaques personnelles, de cibles en cibles, ne s’est jamais arrêté..
Une autre action caractéristique de l’Action française, dont s’inspirent encore aujourd’hui les jeunes agitateurs aixois, consistait à intervenir collectivement et brutalement pour faire taire, ou au minimum perturber les paroles, débats, manifestations culturelles et expressions de toute sorte qui ne leur plaisaient pas. Qu’il s’agisse de perturber des cours ou des conférences universitaires dont le contenu ne leur convenait pas, s’acharnant, par exemple, contre les conférences à la Sorbonne de François Thalamas professant des idées non conformes sur Jeanne d’Arc ; de frapper quelquefois des professeurs ; de saccager les locaux de journaux défendant d’autres points de vue que les siens ; d’interrompre la projection de films ou de pièces de théâtre ; de molester les hommes politiques aux idées opposées aux leurs … toutes ces exactions et ces brutalités expriment chaque fois la même visée : agresser et réduire au silence des individus exprimant des opinions autres que celles de l’Action française, et quand l’occasion se présente, de les humilier, de les rabaisser (le goudron, l’huile de ricin…).
De la propension de Maurras à menacer de mort ses adversaires (ou perçus comme tels) à ces violences répétées contre qui pense autrement, règne le même esprit. Dans cette vision du monde il n’existe pas de débat démocratique ou d’opposition, les opposants sont une maladie, des traîtres, l’anti-France, des assassins…la rhétorique de l’Action française y revient constamment. Il faut donc les mettre hors d’état de nuire sans égard pour leur personne et commencer par leur couper la parole, les faire taire. Ce lourd héritage s’est manifestement transmis à ses émules provençaux contemporains. Ceux-ci auraient pu chercher à défendre leurs idées en participant aux débats, ouverts à tous, les débats qu’ils ont interrompu. Mais au lieu de participer à une discussion publique où chacun peut s’exprimer tout en respectant la liberté de parole des autres, ils s’imposent de force, arrêtent brutalement les débats, introduisant la violence et l’intimidation dans des réunions ouvertes et pacifiques. Oui, de ce point de vue, ils sont bien les héritiers des Camelots du roi et des diverses milices d’extrême droite des années 30 qui voulaient imposer un ordre nouveau dont la démocratie serait définitivement bannie. Leurs violences en constituent les prémices, une sorte de préfiguration.

La haine des protestants et des autres
Continuant à interpréter le dessin de Forain en y projetant ses exécrations, Maurras poursuit : Le bouquet de vieux poils enroulé tumultueusement sur la nuque fait sans doute quelque allusion à cet idéalisme protestant qui assaisonne les démarches et les discours de la mauvaise fée ; à la sottise naturelle elle ajoute ce grain de folie religieuse, acquis à l’école primaire. Que signifie cette phrase étonnante ? Pour l’essentiel, que les idées des protestants sont sottes et follement désordonnées à l’image des cheveux outrageusement mal coiffés de la « belle jardinière » et que l’école laïque, fortement influencée par le mode de pensée protestant selon Maurras, diffuse ces manières de penser pernicieuses jusque dans les cerveaux innocents des petits Français.
Tout ce qui constitue la spécificité du protestantisme, aux yeux de Maurras, est haïssable. Sa néfaste doctrine du « libre examen » génératrice d’individualisme et d’anarchisme effréné ainsi que ses tendances démocratiques en font un ferment de rébellion contre les autorités traditionnelles immuables et indiscutables, celle de l’Eglise, celle des rois… Nous n’excuserons plus la séparation d’avec Rome ni ces longues rébellions dont le trait commun a été de produire toutes les idées qui ébranlèrent notre unité : libéralisme, parlementarisme, République, démocratie, romantisme, on peut même dire hervéisme et dreyfusisme.
Les protestants sont avant tout des destructeurs. Ils sont l’autre. Bien que Français, ils sont constamment décrits comme des représentants de l’étranger. Leurs idées « anti-romaines » sont « plus ou moins sorties des forêts de la Germanie » .
Le pluralisme religieux s’avère finalement aussi illégitime que le pluralisme politique. Ceux qui s’écartent du catholicisme romain le plus intransigeant sont aussitôt accablés d’injures et accusés des pires turpitudes. L’historien Gabriel Monod, protestant et de surcroît en désaccord intellectuel avec Maurras, en a fait l’amère expérience. L’auteur de l’Enquête sur la monarchie lui a consacré un texte incroyable, un véritable monument de haine. Maurras ne discute quasiment pas son œuvre qui est pourtant substantielle, se contentant de la qualifier de « nullité » et son auteur d’imbécile … Il l’attaque par ses origines, cherchant à le disqualifier par un récit malveillant centré sur la famille Monod depuis plusieurs siècles. Il n’est que le représentant d’une « horde » peuplée de « fous » à face de « singe » , de non catholiques déloyaux, hostiles « aux intérêts et aux traditions de la France » , des sortes de traîtres, des Allemands dissimulés parmi nous, Maurras dénonçant en Gabriel Monod « cet Allemand secret » . Et il trouve même au sein de cette famille une « féministe » !
L’altérité, dans cette conception du monde, est devenue une abomination. Du constat d’une différence on passe sans transition aux accusations les plus graves. Et à chaque nouvelle divergence les mêmes dénonciations rageuses ressurgissent. L’intolérance est au fondement de l’Action française.

L’intolérance
Dans la France du XXème siècle, les personnes et les courants politiques ou culturels qui ne se conforment pas au modèle brandi par l’Action française (royaliste autoritaire, catholique intransigeant, vomissant la démocratie…) sont légions. Et ils sont effectivement légions à être non seulement critiqués mais couverts d’insultes et accusés d’ourdir les projets les plus criminels contre la France et les Français. Rappelons deux cas, canoniques dans le corpus de l’Action française. Les romantiques (ainsi que tous ceux qui peuvent y être associés), en rupture avec le classicisme cher à Maurras, sont accusés d’être une forme d’ « invasion étrangère ». Quant aux francs-maçons, leur anticléricalisme est lu comme une « ardente haine militante pour le prêtre catholique », leur esprit critique comme une « entreprise de destruction » génératrice de la pire d’entre elles selon Maurras : la Révolution française.
Cette intolérance furieuse, transformant tout écart aux dogmes maurrassiens en crime inexpiable, ne se lit pas seulement dans les diatribes acerbes du leader royaliste et de ses amis. Elle transparaît tout autant dans leurs prises de position d’apparence les plus conciliantes. Quelques protestants échappent à cette vindicte. Faisant exception, ils sont tolérés. Qu’ont-ils de particulier ? Ils sont « patriotes » (c’est-à-dire nationalistes), « royalistes », ils ont rejoint L’Action française… Maurras veut bien reconnaître une personne autre lorsqu’elle s’est dépouillée de sa singularité, de son altérité, lorsqu’elle est devenue exactement comme lui. La tolérance de Maurras s’arrête à lui-même. Sa manière d’être tolérant est un comble d’intolérance.

La haine des Juifs
Dans la caricature de Forain, nous l’avons vu, les traits hideux qui exhibent la laideur de la république sont en tout premier lieu les traits classiques désignant les juifs dans les caricatures antisémites. Ce qui fait de la république un régime odieux, c’est d’abord le fait qu’elle est une république « enjuivée ».
Un simple coup d’œil à la caricature, avec à l’esprit les commentaires de Maurras, suffit à réduire à néant tous les efforts de certains de ses disciples pour présenter son antisémitisme comme un antisémitisme modéré. La célèbre distinction entre antisémitisme de peau (l’antisémitisme biologique des nazis) et antisémitisme d’Etat (celui de l’Action française), ne signifie pas que Maurras ne haïrait pas les Juifs et ne leur voudrait pas de mal. Non seulement ses prises de position sont souvent particulièrement malveillantes mais, à un moment où les enjeux humains sont dramatiques, sous l’occupation, il cautionne (et comment ! ) la politique criminelle de Vichy envers les Juifs. Nulle compassion pour les victimes, il approuve bruyamment les mesures discriminatoires, multipliant les surenchères verbales au moment même où se déroulent les persécutions.
Réagissant au premier statut des Juifs, il commence par minimiser, voire nier totalement l’oppression et la souffrance des victimes : Il ne s’agit nullement, en effet, d’une persécution et rien n’est plus sage que d’interdire aux Juifs les postes d’administration, de direction, de formation des intelligences . En effet, insiste Maurras, Il n’est écrit nulle part, entre les étoiles du ciel ni dans les profondeurs de la conscience, qu’il soit offensant pour une personne humaine de ne pouvoir accéder à la direction ou à la gérance d’un théâtre ou d’un cinéma, d’une publication ou d’une université .
Ce ne sont pas ces peccadilles (les malheurs d’autrui) qui préoccupent le vieux dirigeant, mais le fait que certains risquent d’échapper à la pleine rigueur de ces mesures, les Juifs ne sont-ils pas rusés et dissimulateurs ? Les Juifs nous ont tant roulés . Le « maître » de Martigues relaie l’inquiétude de ceux qui pensent que les Juifs sont malins, qu’ils ont bien caché leur trésor . Ils ont raison de s’inquiéter mais au lieu de se décourager ils devraient se mettre en chasse résolument pour récupérer ces dépouilles . Encore en 1944, ce qui inquiète le leader de l’Action française c’est que peut être certains Juifs pourraient échapper à la répression. On serait curieux de savoir si la noble famille (juive) est dans un camp de concentration, ou en Angleterre, ou en Amérique, ou en Afrique, — ou si par hasard elle a gardé le droit d’épanouir ses beaux restes de prospérité dans quelque coin, favorisé ou non, de notre Côte d’Azur ? (…) si la tribu nomade était restée en France, il faudrait faire cesser à tout prix une hospitalité scandaleuse et une tolérance qui touche à la folie. Dans la suite du texte, Maurras propose d’appliquer la loi du talion aux hordes juives soupçonnées de violences de parole et d’attitude .
Les vociférations haineuses du vieux leader royaliste ne sont pas des vociférations dans le vide, elles ont accompagné et soutenu l’oppression des Juifs (ainsi que beaucoup d’autres victimes de ces temps barbares), avec une ardeur sans faille.
En une période décisive l’antisémitisme de l’Action française a été un pousse au crime. Il n’avait rien d’anodin.

Le racisme
Les Juifs ne sont pas perçus ici comme des individus ayant fait des choix mais comme les représentants d’une ethnie, étroitement déterminés par cette origine . L’antisémitisme de Maurras, même s’il ne s’exprime pas en termes biologiques à la façon de Gobineau et des nazis, a tout les traits du racisme : individu déterminé par son origine ethnique, identités ethniques éternelles, séparation absolue entre populations issues d’origines différentes, etc. Et le racisme est effectivement un autre fondement de la pensée d’Action française. Si le racisme anti-Juif est le plus obsessionnel il est loin d’être le seul. Un exemple, tout à fait caractéristique suffira à le suggérer.
En avril 1910 plusieurs journaux relatent un fait divers particulièrement choquant. Des marins blancs embarqués sur un bateau, la Moulouya, ont déserté , prétextant qu’ils ne pouvaient supporter la proximité avec les « chauffeurs » (chargés d’entretenir la chaudière) noirs. Un certain nombre de journalistes s’indignent devant cette manifestation de racisme primaire. Maurras, au contraire, prend la défense des marins. S’ils ont eu tort de déserter, leur protestation contre la situation qu’on leur imposait était légitime. Il oppose ces revendications légitimes de citoyens français aux pirouettes des pédants qui crient au racisme : Un travailleur français n’a pas le droit de se sentir chez lui sur un vaisseau français (…)Il ne lui est même pas permis de trouver qu’un nègre sent mauvais. Maurras, lui, se le permet sans que ça lui pose le moindre problème de conscience. Au contraire, de cette agression olfactive supposée, il tire des conséquences ségrégatives radicales : la cohabitation avec les Noirs est impossible. Des Français blancs n’ont pas à supporter la promiscuité des indigènes, il y a des différences à respecter.
Les Noirs aussi sont affligés collectivement d’une différence disqualifiante qui justifie les discriminations, la ségrégation, rejoignant la cohorte de toutes les communautés, peuples, ethnies, confessions, courants politiques, littéraires, artistiques… que Maurras abomine et qu’il voudrait exclure, censurer, discriminer, réprimer, etc.

L’Action française hier et aujourd’hui
On pourrait ironiser sur cet homme autoritaire qui hait tout ce qui n’est pas lui Mais ce n’est pas qu’un homme, c’est tout un mouvement politique qui a réagi pendant de nombreuses années ainsi. Et nous savons que la haine de la démocratie, des droits de l’Homme, les tentations autoritaires, l’intolérance exacerbée, le racisme obsessionnel, ensemble ou séparément, ont parsemé l’histoire d’épisodes dramatiques et sanglants. Ces haines ont déjà souvent frappé.
Nous ne nous demanderons pas comment des jeunes gens du début du XXIème siècle ont pu prendre cet ensemble d’idées morbides et paranoïaques pour des idées fraiches et joyeuses pleines de promesses mais leurs agissements donnent à penser que, même s’ils n’ont pas lu les 25 fascicules du Dictionnaire politique et critique de Maurras, ils s’efforcent de marcher sur les traces de leurs aînés. Leurs slogans « A bas la République », « vive le roi » ainsi que les attaques répétitives contre la démocratie sur les différents sites de l’Action française sortent tout droit de la naphtaline maurrassienne. La dénonciation véhémente de «la politique immigrationniste qui détruit la France par sa haine de notre pays » correspond parfaitement aussi à la vision du monde que nous avons décrite dans les chapitres précédents. Mais c’est surtout leur style d’intervention négateur du débat, du pluralisme, des personnes, cherchant à briser la vie démocratique et à imposer, ne serait-ce qu’un instant, leur ordre par la force, qui témoigne de leur état d’esprit Action française. Leur royalisme, comme celui de leurs sinistres prédécesseurs, ne consiste pas seulement à remplacer un régime républicain par un roi, c’est, en profondeur, tout ce qui constitue la vie démocratique qui est visé, nos valeurs, nos droits fondamentaux.
Haine de la démocratie, haine de l’étranger, haine du différent , etc. la vieille
ritournelle a trouvé de nouveaux adeptes.

 

Pièces jointes

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