Tribune collective signée par Nathalie Tehio, présidente de la LDH
A l’initiative du média « Problematik », un collectif d’organisations LGBTQI et de personnalités publiques, parmi lesquelles Virginie Despentes, Anna Mouglalis et Ian Brossat, se positionne, dans une tribune au « Monde », contre la participation du groupuscule d’extrême droite Eros à la Marche des fiertés de Paris, le 28 juin, et dénonce l’ingérence de l’Etat et du gouvernement dans les mobilisations sociales.
Partout dans le monde, les personnes LGBTQIA+ [pour lesbiennes, gays, bisexuels, transexuels, queers, intersexués, asexués + tous les autres] sont la cible d’attaques menées par des gouvernements et mouvements d’extrême droite.
Aux Etats-Unis, plus de 400 projets de loi visant à restreindre les droits des personnes trans ont été déposés en 2023, selon le Human Rights Campaign — un record. En Russie, en novembre 2023, la Cour suprême a classé le mouvement LGBT parmi les organisations « extrémistes », criminalisant tout engagement en sa faveur. En Hongrie, la police a interdit la pride de Budapest cette année, invoquant une récente loi anti-LGBT+ du gouvernement nationaliste de Viktor Orban. Une loi de 2021 y interdit de fait toute représentation de l’homosexualité ou de la transidentité dans les médias destinés aux mineurs ; et les études de genre y sont désormais proscrites. En Italie, le gouvernement Meloni tente d’entraver la reconnaissance parentale des couples de même sexe.
Dans ce climat d’hostilité, la tentative d’un groupe identitaire français d’investir la Marche des fiertés de Paris s’inscrit dans une stratégie plus vaste de banalisation de l’extrême droite et de ses codes, y compris au sein de mobilisations historiquement construites contre elle.
Le 12 juin 2025, Yohan Pawer, fondateur du groupuscule masculiniste et homonationaliste Eros, a annoncé publiquement la participation de son organisation à la Marche des fiertés de Paris. Cet ancien candidat du parti d’Eric Zemmour, Reconquête !, est aussi proche du Rassemblement national, et s’est fait connaître en 2023 en attaquant des événements organisés par des drag-queens. Depuis plusieurs mois, Eros multiplie les actions de rue contre des événements culturels LGBTQIA+ et se revendique d’une vision identitaire, viriliste et sécuritaire. Le maire de Nice, Christian Estrosi, a même déposé une plainte, en mai 2025, à la suite d’une de leurs actions, lors d’un événement municipal local.
Cette volonté d’intégrer la Pride parisienne intervient alors que le mot d’ordre choisi cette année par les organisateurs et organisatrices est sans ambiguïté : « Contre l’internationale réactionnaire ». Pour Yohan Pawer, ce mot d’ordre serait « trop politique ». Il a indiqué vouloir déposer une plainte contre l’inter-LGBT, tout en affirmant avoir sollicité le cabinet du ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, et obtenu un encadrement policier — une cinquantaine de CRS — pour imposer la présence de son groupuscule au sein de la marche.
Une évolution préoccupante
De tels dispositifs ont déjà été observés dans d’autres mobilisations. Le 25 novembre 2024, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, la participation de groupes identitaires comme Némésis, qui n’étaient pas les bienvenus dans le cortège organisé à Paris, a été préparée et facilitée par la Préfecture, qui leur a offert la protection d’un cordon de police. Un dispositif similaire a été mis en place, le 8 mars, après que Bruno Retailleau a indirectement exprimé son soutien à Némésis.
Ces exemples témoignent d’une évolution préoccupante : l’idée, de plus en plus présente au sein des pouvoirs publics, que les manifestations publiques pour les droits humains devraient être des lieux ouverts à la participation de l’extrême droite, indépendamment de sa compatibilité avec les valeurs portées par les luttes elles-mêmes. Au nom du respect du pluralisme, on tend à effacer les frontières entre les mouvements d’émancipation et ceux qui en nient les fondements.
Or, les marches des fiertés sont tout sauf apolitiques. Elles s’inscrivent dans une histoire précise : celle des émeutes de Stonewall, en 1969, déclenchées par les violences policières contre des personnes homosexuelles et trans qui fréquentaient et fréquentent toujours ce bar à New York. Les marches des fiertés ont été, dès l’origine, des lieux de résistance face à plusieurs systèmes de domination : homophobie, transphobie, sexisme, racisme, classisme. C’est dans cette tradition que s’inscrit le mot d’ordre de la marche organisée cette année.
Imposer dans ces marches la présence de collectifs comme Eros, contre l’avis des autres associations, revient à mettre en danger les participantes et participants de la Pride, à court et moyen terme. La présence d’un groupe affilié à l’extrême droite affaiblit la capacité des mobilisations à porter un message clair, cohérent, compréhensible par l’opinion publique. Cela crée une dangereuse confusion, car l’extrême droite peut se présenter comme une force parmi d’autres, voire comme une alternative légitime au sein même des luttes sociales.
Ingérence
La responsabilité des pouvoirs publics est ici déterminante. En s’impliquant dans l’organisation d’une mobilisation — comme l’illustre l’intervention planifiée des forces de police lors des défilés de novembre 2024 et mars 2025 et, selon Yohan Pawer, lors de la Marche des fiertés du samedi 28 juin —, l’Etat entend peser sur la composition des cortèges, et délibérément favoriser la présence de groupes identitaires.
Cette ingérence doit être nommée pour ce qu’elle est, tout comme la décision de la région Ile-de-France de retirer 50 000 euros de subventions à la Marche des fiertés parisienne à cause de l’affiche choisie. Quoiqu’on pense de l’illustration, il n’est pas normal de sanctionner aussi durement une organisation LGBT historique. Cette décision compromet l’organisation d’un événement essentiel, et elle agit comme un avertissement pour toutes les organisations minoritaires.
On ne peut demander aux mouvements sociaux de rester muets face à celles et ceux qui œuvrent méthodiquement à leur disqualification ni d’ouvrir leurs rangs à ceux-ci. Imposer l’extrême droite dans les cortèges LGBTQIA+ ou féministes est bien plus qu’un simple affront : c’est offrir à des forces réactionnaires les moyens de s’approprier des espaces construits par et pour celles et ceux qu’elles ont toujours marginalisés — afin de les annihiler de l’intérieur.
Accepter la présence d’un groupe identitaire au sein de la Pride revient à acter une forme de renoncement, non seulement à l’égard des luttes passées, mais aussi de celles à venir. Car l’extrême droite ne cherche pas à dialoguer : elle avance pour conquérir. Et si l’on ne marque pas de ligne claire, elle finira par être la seule à pouvoir occuper le terrain.
Premiers signataires : Ian Brossat, sénateur (PCF) de Paris (75), coprésident du groupe communiste au Conseil de Paris ; Virginie Despentes, écrivaine et réalisatrice ; Grégory Doucet, maire (Les Ecologistes) de Lyon (69) ; Bilal Hassani, chanteur ; Mélissa Laveaux, chanteuse ; Anna Mouglalis, actrice ; Danièle Obono, députée (LFI) de la 17e circonscription de Paris (75) ; Paloma, drag queen ; Jean-Luc Romero-Michel, adjoint (PS) à la maire de Paris ; Mélanie Vogel, sénatrice (Les Ecologistes) des Français de l’étranger, Nathalie Tehio, présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)…
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Cette tribune est à l’initiative de et a été rédigée par « Problematik », évolution collective du média « Mécréantes ».
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